Pour le Think Tank rémois Droits de Cité, l’architecture n’est pas seulement l’art de construire mais également celui de donner du sens à la construction, aussi bien pour celui qui va l’habiter que pour la ville dans laquelle elle va s’inscrire en participant à un tout cohérent, respectueux des règles de vie communes d’une société.
Avant de constater la situation actuelle et d’envisager des pistes de réforme du logement social, il semble pertinent de prendre un peu de recul et de partir de l’histoire pour mieux appréhender l’avenir.
HISTOIRE, FONDEMENTS ET ÉVOLUTIONS DU LOGEMENT SOCIAL EN FRANCE
Le logement social trouve son origine avec les utopies de la révolution Française. La Saline Royale d’Arc-et-Senans conçue par l’architecte Claude Nicolas LEDOUX, constitue le premier archétype de la cité industrielle idéale, mêlant outil industriel, équipements nécessaires à la vie sociale et logements.
Le XIXème siècle verra l’avènement de logements sociaux en tant que tels, à l’initiative d’industriels éclairés, paternalistes et Saint Simoniens, provoqué aussi déjà par la pandémie de choléra à Paris en 1832, ou bien encore par la nécessité de fédérer les différentes initiatives philanthropiques.
Le début du XXème siècle verra l’implication des collectivités locales et de la puissance publique pour permettre aux particuliers d’accéder au logement social. On verra, après la première guerre mondiale, des offices d’H.B.M. s’engager dans une politique de cité-jardin dans la région parisienne mais aussi dans plusieurs villes françaises.
La deuxième guerre mondiale et ses destructions modifieront profondément l’échelle et la nature du logement social. On peut toutefois retenir du siècle et demi écoulé que les motivations des acteurs privés ou publics étaient sanitaires, sociales, humanistes et économiques, dans le sens ou la productivité des ouvriers était liée à leurs conditions de vie.
Pour répondre aux champs de ruines laissés par la deuxième guerre mondiale et l’arrivée de 600 000 rapatriés d’Algérie, la France va s’engager dans une reconstruction massive. Le logement social répondra à cette nécessité par de nombreux grands ensembles hors la ville historique. Le premier ministre de la reconstruction, Claudius PETIT, étant sensible aux thèses de la charte d’Athènes et son exégète Le Corbusier.
La reconstruction des villes proprement dite sera plus respectueuse des tissus urbains et des caractéristiques locales de l’architecture. Ainsi donc, la France va hériter d’un parc de logements sociaux, sous la forme de grands ensembles, mal isolés phoniquement, thermiquement, hors agglomération, hors de l’emploi, de la vie sociale de la cité et bien souvent des services publics.
Le coup d’arrêt est alors signifié par le Ministre Olivier GUICHARD en 1973 et en 1975 par l’Union Nationale des Fédérations d’Organismes d’H.L.M. Le constat sera le même : manque de logement et la très médiocre qualité de l’habitat, dès lors ce dernier quart du XXème siècle sera celui de la recherche, de l’innovation de nouvelles formes urbaines, spatiales, d’expérimentations techniques menées par le ministère de l’équipement et le plan construction.
Le logement social sera le fer de lance d’une politique sociale et d’aspiration à plus d’urbanité, d’espace, de confort, de singularité, à l’opposé de la politique des grands ensembles.
MAIS QUID DE CES DERNIERS ?
Les années 2000 seront celles du renouvellement urbain des grands ensembles. Les alternances politiques verront des politiques différenciées en la matière.
Pour répondre aux besoins en nombre de logement, le ministre Gilles DE ROBIEN remanie fortement la loi SRU et met en place un dispositif fiscal en faveur des investisseurs, malheureusement, ces mesures seront sans contrepartie sur la nature de l’opération, sa situation, l’équilibre sociologique et tous les éléments permettant de penser que la construction répondra à un besoin sociétal et pas seulement économique, si bien que l’on verra se répandre sur le territoire des constructions « hors sol » mal construites, exogènes par rapport à leur environnement, générant des difficultés de gestion, voire de sociabilité, parce que densifiant dans le même lieu de petits types de logements correspondant à la capacité d’endettement des acheteurs.
Sur le plan sociétal, les aspirations au développement durable font apparaître des préoccupations environnementales tant dans l’isolation des bâtiments que dans leur conception et les éco-quartiers font florès, éco-quartiers souvent éloignés de l’emploi et des services…. L’ensemble des règles thermiques, d’isolation par l’extérieur, de ventilation double flux au grè des différents lobbies font apparaître des logements « thermos » en contradiction avec toutes les pratiques sociales de ventilation naturelle du logement.
Les surfaces se réduisent au fil des années, les cuisines ne sont plus des pièces à vivre mais intégrées aux séjours, l’éclairement des pièces fluctue au gré des réglementations sur la surface d’éclairement, l’orientation de la façade au même titre que l’accessibilité des personnes à mobilité réduite ou dans les petits appartements les toilettes sont plus grandes que les cuisines. Le logement devient un lieu d’affrontement entre les lobbies financiers, techniques et sociétaux.
Par ailleurs, la crise de 2008 où de nombreux bailleurs sociaux avaient été obligés d’acheter des logements en VEFA à des promoteurs privés, ont confondu les pratiques.
Aujourd’hui, les paramètres de conception, spatiaux, techniques, financiers sont les mêmes, d’autant que de nombreux bailleurs par le jeu des filiales font de la promotion privée. Au fil des années, nous assistons à une confusion dans les rôles et progressivement les bailleurs perdent leurs compétences d’aménageur, de constructeur pour acheter en VEFA des opérations standardisées, banalisées, loin des attentes des locataires et des besoins des territoires. Les grands groupes du bâtiment ne s’y trompent pas et fournissent directement des opérations.
Les professions intermédiaires, en premier lieu les architectes qui habituellement faisaient l’intermédiaire entre le maître d’ouvrage et l’entreprise et donnaient du sens à l’ouvrage, sont écartées, réduites aux rôles de façadier, de signataire de permis de construire. Des officines, filiales des Groupes ou des bailleurs deviennent maître d’oeuvre d’exécution.
On assiste ainsi à une financiarisation totale de l’acte de construire au détriment de la qualité, de la pérennité, de la réponse aux besoins des populations, à la marginalisation des territoires ruraux qui sont condamnés aux lotissements, faute d’une maîtrise foncière des bourgs et villages.
QUELLES PERSPECTIVES POUR QUE LE LOGEMENT SOCIAL DEVIENNE UN OUTIL D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ?
Il faut, en premier lieu, considérer que la capacité des territoires à s’adapter aux mutations sociétales, au réchauffement climatique, aux risques liés à ce dernier, dépend des outils dont ils disposent.
Ainsi, pour répondre d’une manière sensible, contextualisée, aux questions locales, les territoires doivent disposer de bailleurs sociaux ayant une connaissance fine de ces derniers. Le regroupement sans limite et la financiarisation vont à l’encontre de réponses propres et adaptées.
Il faut également considérer que, comme l’hôpital, le logement social doit échapper à une logique purement financière pour retrouver son utilité publique. Loger les plus démunis et permettre aux hommes d’habiter, c’est-à-dire au sens philosophique de s’enraciner. Le maître de l’ouvrage social et l’architecte doivent renouer un dialogue humaniste sur la sociabilité, l’échelle du voisinage, les nouvelles pratiques de co-partage, l’adaptation du logement aux pratiques sociales, aux formes diverses de la cellule familiale, ce dialogue doit intégrer celui qui va « habiter ». Considérer non plus comme un consommateur, mais comme celui qui va faire sens avec l’espace, l’architecture, dont il disposera.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’architecture n’est pas seulement l’art de construire mais également celui de donner du sens à la construction, aussi bien pour celui qui va l’habiter que pour la ville dans laquelle elle va s’inscrire en participant à un tout cohérent, respectueux des règles de vie communes d’une société.
COMMENT LE LOGEMENT SOCIAL PEUT ÊTRE UN MOTEUR DE LA REPRISE ÉCONOMIQUE ?
Ce dernier doit retrouver sa vocation d’utilité publique en se distinguant nettement de l’offre privée.
Pour retrouver le sens perdu, il faut avoir une pleine conscience que ce dernier peut recoudre les tissus urbains déstructurés, retrouver une sociabilité perdue en offrant des mixités typologiques et sociales et mettre fin à la mono fonctionnalité. Cela peut devenir un outil de reconquête territoriale où des maîtres de l’ouvrage éclairés, s’appuyant sur des architectes compétents et respectés dans leurs missions, auront à coeur de répondre à une mission à caractère public.
AVEC QUELS OUTILS ?
Les maîtres de l’ouvrage sociaux doivent avoir le droit à l’innovation, qu’ils redeviennent le moteur du développement qualitatif du logement à contrario du secteur privé qui ne cherche que le bas de bilan. Innovations architecturales, spatiales, sociales, techniques, pour répondre aux attentes de nos concitoyens. Pour cela, il faut déréglementer le logement et fixer des objectifs de résultats, exemple : coût annuel d’énergie au m. habitable, nombre de logements adaptés ou adaptables au PMR sur leur parc, absence d’obligation de place de stationnement ou mutualisation de ces dernières, locaux communs, espaces de partage, etc…
Ainsi, suivant la situation géographique, la connaissance du tissu social, les bailleurs pourront adapter leur réponse pour les insérer finement dans leur environnement. Cela signifie également être à l’écoute de la filière bâtiment et mettre en oeuvre des techniques localement usitées en retrouvant l’environnement de la construction dans son terroir et ainsi faire fonctionner les clusters locaux.
Les maîtres de l’ouvrage sociaux doivent pouvoir accéder au foncier à des prix compatibles avec leur destination publique. Pour cela, les collectivités locales doivent, dans chaque bassin de vie significatif, former des établissements publics fonciers. Ces derniers auraient plusieurs objectifs : de réguler le foncier, comme cela existe dans certains territoires, dans les zones tendues, mais aussi permettre des acquisitions par la préemption dans les bourgs et villages, évitant ainsi l’étalement urbain par les lotissements, la consommation de terres agricoles et ses conséquences en termes d’écologie.
Les maîtres de l’ouvrage sociaux doivent pouvoir bénéficier d’une autonomie dans leur gestion et aussi dans leur objectif de construction, pour cela, la tutelle de l’état ne doit plus s’exercer, opération par opération, mais par agréments annuels comme cela a déjà existé, un temps considérable serait ainsi trouvé, cela à l’échelle du SCoT.
Pour limiter la concentration de constructions à la périphérie des agglomérations, il faut donner la possibilité de construire dans les zones rurales, hors ces dernières sont en zone C, ce qui implique une base de loyer de 20 % moins élevée que dans les autres zones, alors que le coût de construction est le même !!! D’où les difficultés pour revitaliser ces territoires.
Pour répondre à cette question et limiter les effets réglementaires, on pourrait envisager deux possibilités, une bonification des prêts de 0,20 % (cdc) et une source publique de fonds propres à hauteur de 10 %.
L’isolation thermique est aujourd’hui abordée que par un seul et unique dogme « l’encapsulage » au détriment, comme nous l’avons vu précédemment, des pratiques sociales, voire sanitaires de ventilation de son logement. Réhabilition technique qui n’aborde pas les questions de la ville, de l’urbanisme, de la plurifonctionnalité, de sociabilité, etc…
Pour rester sur ce champ thermique, nous ne pouvons que constater que le parc ancien des logements représente un gouffre, source de consommation d’énergie, de pollution atmosphérique et d’un coût de charges important pour les locataires les plus démunis.
Le financement de la réhabilitation/isolation du parc ancien doit être totalement revu. Comme dans la construction neuve, les bailleurs doivent bénéficier du droit à l’innovation, l’ensemble étant encadré par un contrat d’objectifs, notamment par la consommation d’énergie/année/logement. A cet effet, on pourrait envisager plutôt que de travailler sur les effets, de travailler sur la cause, c’est-à-dire équiper les toitures de panneaux photovoltaïques pour réduire les charges communes de l’immeuble et si la surface le permet ainsi que l’assouplissement du monopole de ENEDIS, produire une énergie propre et bon marché pour les locataires.
Dans le contrat d’objectifs, un projet social devrait figurer, c’est l’occasion pour s’interroger sur le sens de l’argent mis en oeuvre. La réduction des pollutions, des charges des locataires sont les objectifs premiers, on peut toutefois s’interroger sur ce qui fait sens et c’est aussi le projet social : jardins partagés, bourses d’échanges et de services, espaces partagés, intergénérationnel, etc…
Pour que le logement social devienne le ferment d’un aménagement de territoire résilient, il doit bien sûr répondre urbanistiquement, architecturalement, techniquement aux nouveaux besoins. Il doit également accompagner le locataire dans son parcours résidentiel pour accéder à la propriété et permettre des modes de construction singuliers, l’auto-construction, la co-construction/réhabilitation, etc…
Enfin, pour clore ce chapitre des outils dont devrait disposer le logement social, pour mener une politique dynamique d’aménagement du territoire, l’on ne peut qu’évoquer un taux généralisé à 5,5 % de T.V.A.
L’ensemble de ces outils a pour objectif de donner de l’air, des moyens aux organismes, en contrepartie, ces derniers doivent retrouver leurs savoir-faire, leurs compétences, étoffer leurs équipes pour faire de la conduite d’opération de construction, de réhabilitation, d’aménagement, des programmations éclairées en partenariat avec les élus, les urbanistes, architectes, locataires.
Pour cela, les achats de logements en VEFA (Vente en Etat de Futur Achèvement) doivent être réellement limités. Pourquoi ?
Parce qu’ils font abstractions des savoir-faire, des réflexions, des bailleurs sociaux. Parce qu’ils génèrent des logements exigus, mal construits, mal intégrés dans leur environnement et ayant été réalisés par dumping sur toute la chaine de la construction et de l’ingénierie. Parce qu’ils considèrent le logement comme un produit de consommation banalisant les pratiques entre public et privé. Reste quelques exemples où ils apportent de la mixité de financements, locatif/accession, à des opérations privées où ils peuvent avoir du sens.
Enfin, parce que les ventes en VEFA s’adressent en très large majorité aux périphéries des agglomérations, ignorant les territoires ruraux et les centres-villes.
Pour retrouver une chaîne économique de production, une forme de circuit court, propre à un territoire, un bailleur social, en porosité avec son environnement, à l’écoute des besoins, pourra apporter des réponses fines et circonstanciées en développant des emplois et en alimentant les clusters locaux des filières bâtiment et ingénierie.
A TITRE DE CONCLUSION PROVISOIRE
Nous sommes à un moment très particulier, sans doute à la fin d’un cycle de pratiques et d’habitudes.
Si chacun d’entre nous dépasse l’approche dogmatique qui peut être faite du logement social pour s’attacher uniquement à l’outil que cela peut représenter pour l’aménagement du territoire et pour les plus démunis, nous sommes devant un champ de développement extrêmement important et positif.
Il faut, pour cela, que le législateur prenne la mesure de l’enjeu économique, social et environnemental, l’on doit retrouver deux logiques répondant à des besoins différents.
Pour le logement privé, les défiscalisations doivent être conditionnées au respect des règles, d’équilibre typologique, d’adéquation par rapport à la situation géographique, de qualité et pérennité de l’ouvrage, de gestion, parce que construire du logement privé est aussi d’utilité publique (Loi sur l’Architecture), par son urbanisme, son architecture et pas seulement un produit financier ou commercial.
Pour le logement social, les bailleurs doivent disposer de moyens économiques et d’une liberté technique formalisés par des contrats d’objectifs. Les effets induits seraient nombreux et répartis sur l’ensemble du territoire.
Le traitement thermique du logement collectif doit faire sa révolution copernicienne et ne plus mettre les effets avec les causes. Comment réduire les pollutions, le bilan carbone lié à ces bâtiments passoires, sans aucun doute, en jouant sur l’énergie concomitamment avec l’isolation thermique.
Mais comme beaucoup de bâtiments concernés sont les grands ensembles d’hier, la question ne peut se limiter, pour ces derniers, à leur isolation thermique, voire même à une énergie vertueuse, parce que si ces ensembles sont loin de l’emploi, des services publics, du commerce et des transports en communs, c’est autant de véhicules privés qui seront nécessaires avec leurs lots de pollutions. La question doit donc être élargie à la mixité fonctionnelle à l’organisation de ces quartiers de la ville.
On notera, par ailleurs, que cette thématique est totalement absente du parc privé.
Enfin, le logement neuf doit redevenir un laboratoire de la modernité, de perception, des tendances sociales, des évolutions de la cellule familiale, de la façon de vivre, de l’enracinement dans un territoire.
La crise économique, écologique et sociale nécessite une réflexion commune de l’ensemble des acteurs sur l’évolution du logement. Il s’agit d’un enjeu sociétal où les lobbies, les postures n’ont plus cours devant la nécessité impérieuse de la transformation.
Le ministre en charge du logement est placé auprès de la ministre de la cohésion du territoire, preuve, s’il en est, que le logement est un outil de l’aménagement et de la cohésion des territoires, c’est donc bien le lieu pour organiser un Ségur du logement où tous les aspects seront examinés en toute liberté.
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