Le jour où le temps s’est arrêté…

Julien, Jean et Frédéric Humbert-Droz.

Pertes de clients, chômage partiel, rupture dans les moyens de production, problème dans l’approvisionnement en pièces… Le monde de l’horlogerie comtoise subit de plein fouet la crise liée au Covid-19. Témoignage de l’entreprise bisontine familiale Réparalux.

Selon l’Insee, fin 2018, près de 35.300 résidents non suisses de Bourgogne Franche-Comté exercent une activité professionnelle en Suisse. Le monde de l’horlogerie en région compte 18.000 salariés, dont 15.000 sont des travailleurs frontaliers. « Avec la crise liée au Covid-19, trois de ces emplois frontaliers sur quatre est à l’arrêt. Les marques horlogères représentent très peu de personnes en locale, l’essentiel de l’activité étant porté par les métiers de la sous-traitance. Or, ces derniers sont aujourd’hui coincés par manque de commande, notamment en provenance de la Suisse », détaille Laurent Sage, expert horlogerie à la CCI du Doubs. Une situation de crise qui touche notamment une entreprise bisontine iconique : l’atelier de réparation et d’assemblage de montres haut de gamme, Réparalux, également créateur, dès leur soixantième anniversaire, d’une gamme de montres baptisées Humbert Droz (HD). Un nom qui fait référence à cette lignée d’horlogers arrivée à Besançon en 1956. Aujourd’hui, c’est Julien Humbert-Droz qui a repris les rênes de l’entreprise familiale, aux côtés de son père Frédéric et de son grand-père Jean. Confronté à la crise, le jeune homme a publié sur les réseaux sociaux une émouvante lettre adressée à Marcel son défunt arrière-grand-père, fondateur de la société. En voici quelques extraits : « Comme tu le vois depuis là-haut, nous n’avons plus personne dans nos locaux à part deux de tes descendants. […] Marcel j’ai peur car je veux que cette belle entreprise fonctionne mais je n’ai aujourd’hui aucune réponse pour mes horlogers qui sont au chômage technique. […] Marcel j’ai peur car j’ai préféré leur santé au chiffre d’affaires, mais j’ai quand même les charges à payer. […] Marcel j’ai peur car je vois les industriels autour de moi dans le même cas […] Marcel, j’ai peur. Il y a plus de 64 ans, tu as créé cette magnifique société d’horlogerie. […] À toi notre fondateur, j’ai peur, mais je ne lâcherai jamais. Julien, ton arrière-petit-fils ». Des mots qui traduisent de réelles inquiétudes quant à l’avenir. « Nous réalisions 80 % de notre chiffre d’affaires sur le SAV. Or aujourd’hui toutes les boutiques, horlogers, bijoutiers sont fermés, il n’y a plus aucun trafic, nous n’avons jamais connu cela auparavant », affirme Frédéric Humbert-Droz, qui a dû mettre ses quinze salariés au chômage partiel. Face à cette situation inédite, ces horlogers passionnés espèrent que « la machine va se réalimenter après le confinement », même si « une grande inquiétude pèse sur l ’avenir… Les problèmes de trésorerie se font jour, le loyer reste à payer et les aides promises par l’État tardent à venir ». Optimiste, parce qu’il le faut bien, Frédéric Humbert-Droz espère que « nous saurons tirer les leçons de cette crise et qu’à l’avenir nous trouverons les solutions pour imaginer un marché de l’horlogerie, dominé aujourd’hui à 50 % par les Chinois, moins dépendant ». Un constat partagé du côté suisse où « les réseaux sociaux ont révélé au grand jour ce qui jusqu’ici était tabou : la question de l’approvisionnement parfois massif des entreprises Suisse en pièces détachées d’origine chinoise. Cette mise en lumière de ces pratiques devrait conduire au renforcement du label Suisse Made. Cette relocalisation, pourrait être une vraie opportunité pour nos entreprises sous-traitantes. Il faudra s’y préparer, anticiper, bâtir une offre pour pouvoir répondre à cette potentielle nouvelle demande helvète », appuie Laurent Sage.