De nombreuses voix (communauté académique, ONG, think tank, et autres cercles de réflexion) réfléchissent et pensent le monde d’après. Le président Emmanuel Macron précisait également, lors de sa conférence télévisée du 24 mars 2020 que « Le jour d’après, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant, rien ne sera comme avant… ».
Le think tank « Droits de Cité » réfléchit lui aussi à émettre des propositions pour que demain ne soit pas comme avant.
La crise sanitaire dite du COVID19 a montré que notre pays était fragile, qu’il n’était pas prêt, comme nombre d’autres pays, pour répondre à une crise sanitaire d’importance, crise sanitaire mondiale qui n’est sans doute que la première de celles que nous devrons affronter dans l’avenir. En effet, la déforestation à outrance ou encore l’absence désormais de frontières entre des espaces urbains et sauvages conduisent à une prolifération de zoonoses, source de virus pandémiques tels les coronavirus.
Mais au-delà de ses dimensions sanitaires, la crise a également mis au grand jour les failles – pourtant connues mais occultées jusqu’alors – de notre système social et économique, tant en termes de gouvernance qu’en terme d’organisation et fonctionnement.
C’EST MAINTENANT !
Il est temps, aujourd’hui, de rapprocher la décision du terrain en écoutant et en s’appuyant sur les acteurs territoriaux (élus ou simple citoyens) dans les prises de décision tout autant qu’il est temps de changer de paradigmes, ou mode de pensée, ou tout simplement de logiciel.
Urgence sanitaire, urgence environnementale, urgence économique et sociale, urgence industrielle, etc. C’est maintenant qu’il faut agir. « À force de sacrifier l’essentiel à l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel », écrit Edgar Morin dans son ouvrage Méthode. Il n’y a pas de personnes saines sur une planète malade avec des organisations et des modèles de fonctionnement pathogènes.
Alors posons-nous les bonnes questions pour apporter des bonnes réponses aux vrais problèmes.
MAIS COMMENT ?
1/ Comment une région peut-elle répondre à l’urgence sanitaire, urgence sanitaire qui préfigure l’urgence environnementale ?
La crise a révélé des problèmes d’approvisionnement de matériel médical et de médicaments ; la France en particulier, l’Europe en général, se sont trouvées dépourvues de masques notamment, révélant une dépendance ingérable, en période de pandémie, vis-à- vis de l’extérieur dont la Chine.
La France s’était dotée de centres mobilisateurs pendant les guerres dont l’idée a ensuite été reprise pendant la Guerre Froide. Il semble aujourd’hui opportun de reprendre ce principe en créant des centres mobilisateurs sanitaires à répartir sur le territoire selon un maillage territorial bien mené. Ces centres mobilisateurs sanitaires seraient alors chargés, sous le commandement de la sécurité civile, de :
– Stocker et entretenir des machines destinées à fabriquer des masques, ces machines qui devraient être mises en route en quelques jours en cas de pandémie ; ce qui nécessite l’entrainement réguliers des équipes constituées de professionnels (sécurité civile) et de volontaires (« garde sanitaire civile »).
– Stockage et entretien des matériels divers pour mettre en route les matériels indispensables à la mise en place des « hôpitaux de campagne » en deux/ trois jours (tentes, véhicules, matériel médical, respirateurs). Des lieux de stockage et d’entretien permettraient de disposer rapidement de ces toiles de tente, de ces véhicules de transports, etc., tout en permettant l’accueil des personnels nécessaires à cette mise en place.
– Organiser la production de gel hydroalcoolique, en liaison avec les professionnels du secteur.
2/ Comment protéger les agents économiques ?
La crise économique induite par la crise sanitaire est inéluctable, malgré les milliers de milliards injectés par les gouvernements et les banques centrales. Rappelons, à titre d’exemples, que la France est entrée en récession (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB) – son PIB a chuté de 5,8% au premier trimestre 2020, situation inédite depuis 1949, date à laquelle les statistiques ont démarré ; citons encore le nombre de chômeurs aux Etats-Unis, 22 millions, situation tout aussi inédite qu’en France. La crise économique a deux facettes : offre et demande. La crise de l’offre va durer tandis que la crise de la demande sera moins longue, la consommation pouvant repartir un peu plus vite ; pour autant, les deux agents économiques, entreprises et ménages, doivent être aidés et protégés pour éviter faillites et chaos.
• Les entreprises
– Aider le petit commerce et l’artisanat en complétant leur assurance perte d’exploitation : Chaque commerçant ou artisan ayant souscrit à ladite assurance se verrait doté automatiquement d’un complément régional.
– Créer un fonds de relance, avec possibilité d’appel public à l’épargne encouragé par un avantage fiscal. À l’échelle locale par exemple, il peut être envisagé qu’un souscripteur à un emprunt régional de relance de l’économie puisse bénéficier d’un abattement de sa taxe foncière. Ce fonds de relance doit se fixer comme objectif de réduire les futurs coûts économiques et environnementaux par des investissements dans la santé et l’environnement (énergie – transport – ressources naturelles).
À l’instar du Grand Paris, dont l’objectif et d’étendre les transports publics, on pourrait imaginer un plan : « Avenir Grand-Est » pour restructurer l’organisation de la Région notamment sur le transport carboné, la valorisation des ressources naturelles, eau, énergies vertes et le renouvellement des ressources publiques, dans le domaine de la santé.
– Valoriser les entreprises innovantes ou vertueuses en matière sociale et environnementale. Exemples : écart de salaire entre le plus haut et le plus bas très étroit, embauche exclusive de main d’œuvre régionale, etc.
– Réfléchir à un système universel d’aides aux entreprises (CIR, CICE, aides à l’emploi, aides à l’innovation) avec de véritables contreparties. Il conviendrait, dans un tel système, de focaliser tout particulièrement les PME et TPE régionales embauchant sur le territoire.
• Les particuliers
Il est temps d’admettre enfin que le plein emploi est une utopie ! La théorie de la destruction créatrice de J. Schumpeter est toujours d’actualité, mais il faut la replacer dans un environnement mondialisé. La révolution numérique crée des emplois, pour remplacer ceux qu’elle détruit, mais à plusieurs milliers de kilomètres de ceux qu’elle supprime.
En conséquence, la région doit être pilote pour la mise en place d’un « revenu universel » en lieu et place du maquis d’aides diverses et variées pour les particuliers. Pour éviter un éventuel « appel d’air », ce revenu universel serait accordé après un temps de séjour à déterminer sur le sol français.
Pour une économie territoriale
Si la mise en place d’un revenu universel n’est pas du ressort de la région, une région peut être le terrain d’un test. Dès lors, la région Grand-Est pourrait être pilote en la matière.
3/ Réviser nos modèles de consommation pour réduire la surconsommation de masse
En 2009, Michel Barnier proposait un plan d’action pour développer les circuits courts, (http://www.lafranceagricole.fr/r/Publie/FA/p1/I nfographies/Dossier/2009- 08-11/15372_1.pdf ), définis alors comme « un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire ».
Si certaines procédures et pratiques se sont développées (telles les AMAP par exemple), force est de constater qu’il s’agit de les développer davantage et avant cela de les faire connaître et inciter les parties prenantes à en user plus encore.
• Pour favoriser ces circuits courts, on peut envisager les éléments suivants :
– Aides fiscales spécifiques de la région : Aides à l’agriculture/viticulture « BIO », aide au remplacement de « traction carbonée » par la « traction animale », Réservation des aides à l’emploi à l’exploitation agricole/viticole vertueuse, etc.
– Obligation pour toutes les cantines scolaires et universitaires, restaurants d’EHPAD, restaurants d’Entreprises ou fournisseurs de plats et de repas, hôpitaux et cliniques, d’utiliser ces produits à hauteur d’au moins 50% ; si cette obligation peut sembler difficile à imposer, on pourrait concevoir que cette hypothèse soit strictement indiquée et prise en considération dans les appels d’offre et décisions qui s’en suivent.
– Création d’un label, « J’achète Grand Est ».
– Organisation d’un « marché virtuel numérique » avec livraison ou drive.
• Développer l’économie circulaire en créant une filière associative de remise en état/récupération (électroménager, automobiles, machines, etc…) sous la responsabilité de la région, dirigée par des bénévoles volontaires (anciens cadres ou chefs d’entreprises exclusivement bénévoles).
Cette filière pourrait bénéficier d’allègement fiscaux et, a minima, d’une mise à disposition gratuite de locaux. Au départ, elle devrait être aidée en termes de trésorerie pour amorcer son démarrage, puis pourrait être financée en partie par Pôle Emploi, car considérée comme entreprise formatrice au retour à l’emploi.
Pour écouler les produits, il conviendrait de rendre obligatoires les éléments suivants :
– Les entreprises et les collectivités locales consacrent un volume d’achats aux produits de récupération / réemploi.
– Les outils, machines, appareils électroménagers utilisés sur le territoire national doivent être recyclés sur le territoire français (plus question de polluer les pays du tiers monde), d’où récupération des métaux lourds ou rares…
Notons qu’au début des années 1970, le Club de Rome avait commandité le MIT pour rédiger un rapport sur les problèmes de la survie de la planète face au développement de la croissance. Le rapport dit Meadow a été rédigé en 1972. Il concluait alors qu’un monde en équilibre se devait de distribuer et non plus de produire. Quelques années plus tard, la Commission européenne rédigeait un autre rapport, « Jobs for tomorrow : The potential for substitution manpower for energy », les auteurs W. Stahel et G. Reday parlaient alors d’économie en boucle qui allait devenir économie circulaire.
4/ Plan de relance de la filière bâtiment
L’on peut distinguer les opérateurs publics et les opérateurs privés, pour ces derniers, il est trop tôt pour analyser les effets du COVID sur la demande, le niveau des prix, la stabilité ou pas du marché, il faut sans doute attendre septembre compte tenu de l’inertie des effets, avant de revendiquer une quelconque stratégie.
Concernant les opérateurs publics du territoire les freins à l’activité étaient connus avant la pandémie. La philosophie générale de nos propositions : que la région Grand-Est devienne pilote en la matière, c’est-à-dire en redonnant aux opérateurs la possibilité d’investir très rapidement sans passer par une chaîne de décisions beaucoup trop lourde.
• Une chaîne de décisions plus rapide
Chaque opération doit être validée par le service déconcentré de l’état, les collectivités et ainsi, autour des projets, s’engage une négociation plus ou moins longue, tant sur le volume, la nature voire même l’existence possible de cette dernière.
Pourquoi ne pas revenir à un système qui avait fait ses preuves dans les années 1990 (REX, SPIRR), celui des agréments annuels pour chaque organisme logeur, ainsi, l’état décide annuellement du nombre de logement pouvant être mis en œuvre par l’organisme, à charge de ce dernier, par délégation, de trouver les voies et les moyens de leur mise en œuvre.
Les bailleurs sociaux ont l’obligation de faire garantir leurs emprunts par les collectivités territoriales dont ils dépendent. Cette situation présente inertie et lourdeur, pourquoi ne pas simplifier ce processus en créant une caisse nationale de garantie (état, collectivités, bailleurs) ? (les collectivités ne perdent pas leur pouvoir puisqu’elles délivrent les permis de construire).
• Construire dans les zones rurales
La plupart des zones rurales est dans la zone C, ce qui implique une base de loyer d’environ 20 % moins élevée que dans les autres zones, alors que le coût de construction est le même, d’où la difficulté observée à revitaliser ces zones.
Pour cela, deux possibilités :
– une bonification des prêts de 0,20 % (cdc),
– une source publique de fonds propres à hauteur de 10 %.
• Réhabiliter du logement social tout de suite avec des effets sociaux et environnementaux
Le parc ancien des logements sociaux représente une passoire thermique, source de consommation d’énergie, de pollution atmosphérique liée à cette dernière et d’un coût de charges très important pour les plus démunis.
La Région pourrait abonder au financement de la réhabilitation mais en imposant plusieurs critères de développement durable tels que :
– Equiper les toitures de panneaux photovoltaïques pour réduire les charges communes de l’immeuble et si les surfaces le permettent, ainsi que l’assouplissement du monopole d’ENEDIS par sa taxation, produire une énergie propre et bon marché pour les locataires.
– Lier toutes restructurations à un projet social, jardin potager, bourse d’échange de services, espaces de pratiques sociales mises en commun, intergénérationnel, etc.
• Retrouver des savoir-faire et alimenter les clusters locaux
Le rachat par les bailleurs sociaux d’opérations en VEFA, aux promoteurs privés, a des effets délétères :
– Perte de savoir-faire des bailleurs, qui perdent progressivement toutes compétences dans la conduite d’opérations de construction, de réhabilitation, d’aménagement,
– Financiarisation du logement en détriment du sens de l’usage, de la pérennité,
– Achat de logements exigus, mal construits, ayant été réalisés par dumping sur toute la chaîne de la construction, de l’ingénierie à l’entreprise,
– Concentration de ces opérations en VEFA dans les métropoles au détriment de l’ensemble du territoire.
Pour retrouver une chaîne vertueuse permettant des emplois localisés pour les aménageurs et des conditions de marchés normales pour la chaîne de la construction, il faut que les territoires inversent le dispositif national entre grands groupes et l’achat en VEFA devienne exceptionnel.
L’Europe a souvent été précurseur en termes de développement durable et de nouveaux modèles, au moins dans les idées, qu’elle le soit aujourd’hui en termes de pratiques et avec elle, les régions françaises.
Le Grand Est fut à l’épicentre des guerres mondiales, il fut également au cœur de ce qui allait devenir l’Union Européenne, via la CECA – Communauté Européenne du Charbon et l’Acier.
Gageons que le Grand-Est soit en 2020, novateur et pourquoi pas leader territorial du monde d’après Covid-19.