Le crowdfunding à l’épreuve de la crise sanitaire

Nicolas Seres

Nicolas Sérès, président du conseil d’administration et co-fondateur de WiSEED.

Alors que les marchés boursiers s’effondrent, les plateformes de crowdfunding semblent plus résilientes face à la pandémie. Les explications de Nicolas Sérès, président du conseil d’administration et co-fondateur de WiSEED, un des pionniers du secteur.

WiSEED se présente comme « le leader du crowdfunding en France ». En quoi consiste votre métier ?

WiSEED finance des entreprises non cotées en haut de bilan, en fonds propres ou quasi-fonds propres, en mobilisant un réseau d’investisseurs particuliers. Active sur tout le territoire, elle réalise 5 M€ de chiffres d’affaires et emploie 30 collaborateurs. Depuis l’origine, nous avons financé ainsi plus de 500 projets, soit au total plus de 200 M€ investis, apportés par un réseau de 130 000 personnes physiques, investisseurs non professionnels. C’est ce qu’on appelle le financement participatif.

Nous avons d’un côté des clients investisseurs particuliers auxquels nous proposons des supports de placement de l’économie réelle et porteurs de sens avec différents couples rendement-risque et de l’autre des clients entreprises répartis dans quatre segments de marché. Nous finançons ainsi des projets immobiliers sur tout le territoire français, ce qui représente 70 % de notre production. Nous finançons également des start-up technologiques dans tous les domaines: la santé, le digital, etc. Nous finançons par ailleurs des projets dans le domaine des énergies renouvelables (EnR), à savoir des unités de production photovoltaïques ou éoliennes, qui, comme l’immobilier, constituent des dossiers très peu risqués. Enfin nous finançons des PME au sens large, en vue de leur apporter du cash et leur permettre de saisir une opportunité qu’elles ne peuvent pas saisir aujourd’hui en prenant appui sur les banques parce que ces dernières ont des processus décisionnels trop longs pour engager des prêts. Nous nous substituons donc aux banques qui viennent ensuite relayer notre concours financier initial.

Quelles mesures avez-vous prises en interne pour faire face à cette période de confinement ?

Nous sommes une entreprise du digital, c’est donc pour nous un peu plus facile de se mettre en télétravail. Par ailleurs, nous sommes une entreprise d’investissement, placée sous la supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et à ce titre, nous avons l’obligation de disposer de plans de continuité d’activité en fonction de différents scénarios : incendie, cyber attaque, etc. La pandémie ne faisait pas, à proprement dit, partie de la liste. Pour autant, nous n’avons eu qu’à « appuyer » sur un bouton pour mettre tout le monde en télétravail. Ensuite, il nous a paru important de nous enquérir de la santé des entreprises sous gestion, sachant que nous avons près de 130 M€ d’investissements sous gestion. Nous avons utilisé tous les canaux possibles pour les interroger sur la manière dont elles géraient la situation, ce qui nous a pris une dizaine de jours. L’objectif étant d’obtenir une information que nous pourrions relayer auprès des actionnaires ou des investisseurs de ces entreprises. Nous avons de fait plus de 200 dossiers sous gestion, sachant qu’un dossier représente en moyenne 400 K€.

Après cette phase d’enquête, quelle est votre analyse ?

L’impact est variable en fonction des secteurs. Les PME et l’écosystème start-up sont clairement en tension. Parmi les PME, beaucoup sont affectées de manière radicale : la restauration, l’événementiel, les métiers liés à la vente physique. Dans un ou deux mois, certaines n’auront plus de trésorerie quand d’autres sont déjà presque sur le carreau. Dans l’agroalimentaire, les entreprises doivent en revanche gérer un appel de matières premières et de produits de première nécessité et ont du mal à suivre.

Dans l’univers des start-up, très clairement, l’impact sera assez fort à l’échelle nationale, même si des dispositifs d’aide de l’État sont en train d’émerger. Par définition, ce sont des entreprises très jeunes qui n’ont pas encore de modèle économique éprouvé, pas forcément de produits sur étagère et pas encore trouvé leur marché. Pour toutes ces entreprises, le contexte va accélérer leur mise en cessation. De fait, la situation me paraît très compliquée pour les entreprises qui levaient des fonds puisque tous les acteurs du financement professionnels comme les fonds de private equity ont arrêté de travailler. Tout est stoppé. Les fonds d’investissement concentrent leur argent sur les lignes qu’ils ont déjà sous gestion et n’en prendront pas de nouvelles, selon moi, avant l’autonome.

Le secteur des EnR nous paraît a priori le plus apte à résister à la crise puisque les parcs éoliens ou photovoltaïques continuent de produire. On constate un problème de sous-performance par manque de maintenance, puisque le personnel n’intervient plus sur les sites. Pour autant, toutes ces entreprises sont sous contrat avec EDF et le tarif de rachat d’électricité est validé pour 20 ans. Si les chantiers nouveaux sont à l’arrêt, elles sont assez solides et engrangent du cash grâce à la production, ça ne les impacte pas.

Dans l’immobilier, les opérateurs paraissent résilients. Pour autant, des inquiétudes émergent. L’allongement des délais bancaires, les suspensions de chantier, la mise en sommeil des offices notariaux et le ralentissement des réseaux de commercialisation vont en effet entraîner des décalages de livraison qui vont générer pour nous des prorogations d’emprunt et le report des remboursements à trois ou six mois. C’est ce qu’on constate pour 80 % des opérations en cours. Ça ne remet pas en question la qualité des opérations. Les opérateurs sont habitués à gérer ces aléas.

Comment rassurez-vous les investisseurs ?

Le premier moyen est de les informer. Comme tout le monde, ils ont fait le dos rond pendant les dix premiers jours de confinement. Ils ont arrêté d’investir le temps de mettre leur famille en sécurité. Mais depuis, ils ont tendance à revenir. Nous continuons à mettre des opérations en ligne et à collecter. Lors de la dernière opération immobilière mise en ligne (le 26 mars), nous avons levé 400 K€ en quelques heures, là où habituellement cela prend 10 minutes. Mais globalement, c’est très satisfaisant. Cela signifie que les gens sont toujours à l’écoute et sont prêts à investir dans les supports qu’on leur propose, malgré le contexte. Nous allons d’ailleurs continuer à mettre en ligne des opérations de manière régulière : c’est le meilleur moyen de réassurance pour les investisseurs.

Êtes-vous toujours autant sollicités pour financer des projets ?

L’activité est ralentie mais pas tant que cela. Dans l’immobilier, nous recevons toujours autant de dossiers sauf que nous n’avons pas plus de date d’échéance. Les dossiers que nous étudions aujourd’hui émanent de start-up qui, alors qu’elles étaient en phase de levée de fonds, ont essuyé le désistement d’un investisseur institutionnel. Elles se retrouvent en difficulté sur le court terme et viennent nous voir.

Parviennent-elles à séduire des investisseurs ?

Oui, on observe que les collectes avancent sur quasiment toutes les cibles, aussi bien dans le domaine technologique, dans celui des EnR…

Quel est le profil type de vos investisseurs ?

Ce sont des entrepreneurs, professionnels libéraux, cadres, cadres dirigeants, indépendants, des CSP+ qui n’ont pas forcément les poches très profondes. Ils ont en moyenne réalisé chez nous une dizaine d’investissements, l’encours moyen étant de 8 000 €. 130 000 investisseurs, cela constitue une force de frappe très importante sur le plan financier. Nous n’avons cependant pas suffisamment de projets à proposer à notre communauté qui a des capacités d’investissement bien supérieures à ce que nous pouvons offrir. Nos processus de sélection sont effectivement très rigoureux, nous ne proposons que des dossiers suffisamment solides.

Vous souhaitez les faire évoluer ?

La pérennité de notre modèle réside dans le track record, la performance de moyen et de long terme des lignes sous gestion. C’est le seul moyen de maintenir une confiance auprès de gens qui ne sont pas des professionnels de la finance. On s’équipe pour monter en volume de projets mais plutôt en amont de la chaîne. L’objectif est de faire connaître WiSEED auprès de l’ensemble des réseaux et des dispositifs d’accompagnement et de soutien aux entreprises pour que celles-ci viennent nous solliciter pour leurs opérations.

Cette crise va-t-elle rebattre les cartes dans l’univers du financement participatif ?

Cette crise risque d’avoir plusieurs effets. En premier lieu, notre écosystème aujourd’hui est trop dense. On compte près de 200 acteurs dans le domaine du financement participatif en France. C’est énorme par rapport au marché. Une centaine d’entre eux ne survivra pas à la crise, parce que ce sont eux-mêmes des start-up qui n’ont pas de trésorerie et ne peuvent pas travailler du tout en ce moment.

Ensuite, notre industrie est capable d’apporter une réponse à la crise. C’est un terrain assez favorable, même si on le subit comme tout le monde. De fait, dans l’univers des entreprises cotées, ce sont les montagnes russes en permanence. Nous pouvons démontrer qu’il existe des actifs qui ne sont pas du tout soumis à ces problématiques. Ce sont des valeurs refuge importantes. D’ailleurs on constate que certains investisseurs très actifs dans le monde du coté commencent à venir vers nous.

On voit aussi que le modèle de financement qui s’appuie sur une communauté d’investisseurs particuliers plutôt que sur des investisseurs institutionnels, est bien plus résilient face à la crise. Aujourd’hui ces derniers ont tous levé le stylo, plus aucun n’investit dans de nouvelles lignes alors que nous sommes capables de le faire. On peut amener cette valeur-là sur le marché notamment pour faire face aux besoins des entreprises qui ne seraient pas servis par les différents dispositifs d’aide de l’État. On peut d’ailleurs saluer le plan d’urgence mis en place dont il conviendra a posteriori de mesurer l’impact. Mais toutes les entreprises ne pourront pas bénéficier de ces mesures. Auquel cas nous pourrons servir de relais à la fois pour aider les entreprises qui ne seraient pas accompagnées par les dispositifs classiques ou pour les aider à bénéficier des prêts garantis par l’État. Il y a en effet des conditions à remplir notamment sur le plan des fonds propres. Nous pouvons agir sur ce point et augmenter leurs fonds propres pour qu’elles puissent bénéficier de ces prêts relais. Il y a des choses à faire.