Le corpoworking, nouveau mode d’organisation du travail ?

Plutôt que d’encourager le télétravail à domicile, source d’inégalité, Action Logement projette de créer quatre espaces de corpoworking aux quatre points cardinaux de Toulouse. L’objectif est d’améliorer le quotidien des salariés et de faciliter la vie des employeurs. 

Le corpoworking quèsaco ? Un mot valise, contraction de corporate et de coworking, un nouveau type d’espace de travail qui emprunte aux tiers-lieux et autres espaces de coworking leurs principaux atouts, à savoir la flexibilité, l’échange et l’animation. À ceci près que les entreprises et grands groupes sont les principaux clients de ces nouvelles entités, ce qui est rarement le cas dans les structures traditionnelles. Offre de service innovante, l’espace de corpoworking combine ainsi les avantages des uns (mutualisation des ressources, mise à disposition d’espaces de travail communs) tout en permettant aux entreprises adhérentes de disposer d’un espace dédié à leurs collaborateurs, à l’image d’un bureau de proximité. Dans la région, d’ici 2022, quatre espaces de corpoworking devraient ainsi voir le jour sous l’impulsion d’Action Logement, dont le directeur régional, François Magne, a présenté les détails du projet à l’occasion de la dernière Mêlée numérique. 

« AUX QUATRE POINTS CARDINAUX DE TOULOUSE » 

Acteur de référence du logement social et intermédiaire en France, Action Logement, qui gère paritairement la Participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC) – le fameux 1 % logement, devenu 0,45 % au fil des ans –, planche sur le sujet depuis 2017 et l’adoption des ordonnances sur le télétravail. Des travaux que la crise sanitaire a évidemment accélérés. « Nous avions l’habitude de travailler sur la problématique du rapprochement domicile/travail afin de permettre aux salariés un accès à l’emploi le plus facile possible. Constatant que nous sommes dans une région où la fibre et le haut débit sont assez développés, que nous allons vers une dématérialisation de plus en plus poussée des échanges, nous nous sommes dit qu’il y avait une carte à jouer. » D’autant, que poursuit François Magne, « après avoir été longtemps centrés sur des zones très tendues où le besoin de logements était le plus difficile à satisfaire pour les salariés, depuis quelques années nous reprenons pied dans des territoires plus ruraux, en participant à des politiques comme Action Cœur de ville, dans les villes moyennes. » La réflexion menée par le comité régional Action Logement Occitanie et sa commission logement résilient autour de la création de ces espaces de corpoworking en périphérie de la métropole vise ainsi à répondre à de multiples enjeux : réaménagement du territoire, lutte contre la pollution, amélioration de la qualité de vie, etc. « Le déplacement le plus utile, c’est celui que l’on ne fait pas, ajoute le directeur régional d’Action Logement. Cela permet de limiter l’engorgement des métropoles tout en redonnant du temps aux salariés. »
Pour autant pas question de créer des espaces n’importe où et n’importe comment. « Ce que nous souhaitons, c’est bâtir des solutions viables, économiquement équilibrées », poursuit François Magne. D’où l’implication des grandes entreprises de la région. « Nous avons sondé plusieurs grands groupes dont Airbus, ainsi que les entreprises de sous-traitance et d’autres structures sur la manière dont ils voient les choses par rapport au télétravail et sur leurs besoins ». Bilan : 30 % des effectifs salariés de ces entreprises sont éligibles au télétravail et le taux grimpe à près de 100 % dans certaines activités tertiaires. 

UN RÉSERVOIR DE CLIENTÈLE 

« Ces grands groupes, ces entreprises et autres peuvent apporter au gestionnaire du lieu la masse critique de salariés qui lui permettra d’équilibrer ses comptes et de rémunérer un animateur, quitte à y attirer également des indépendants ou des start-up », poursuit François Magne. Un animateur dont le rôle est essentiel « pour faire se rencontrer les start-up et les grands groupes ou développer les échanges avec l’économie locale, en créant par exemple avec un artisan local un point restauration ou des circuits courts, en mettant à disposition des vélos électriques pour se rendre sur le lieu, bref créer un écosystème vertueux. »

Action Logement s’est rapproché de start-up pour développer un outil de localisation de ces futurs tiers-lieux à partir des données de déplacements domicile/travail et de données anonymisées de localisation des domiciles des salariés éligibles au télétravail. Un « véritable outil d’aide à la décision, qui a manqué parfois à certaines initiatives locales, par exemple à Montauban où des lieux ont été ouverts, puis refermés parce qu’il n’y avait pas le public suffisant », rappelle François Magne. Action Logement s’est aussi entouré d’ergonomes, pour, ajoute-t-il « avoir un cahier des charges assez précis notamment sur le plan du respect des normes de qualité de vie au travail. » Un cahier des charges à l’élaboration duquel les entreprises sondées ont aussi d’une certaine manière participé. L’idée, détaille le directeur régional est de définir une sorte de label « qui permette d’assurer aux grands groupes et aux entreprises, que, quel que soit le lieu de corpoworking, les conditions de travail, la qualité d’accueil et d’animation, les conditions de sécurité, notamment de sécurité informatique, sont les mêmes. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. »
Des travaux qui intéressent aussi la Région qui a entrepris d’attribuer aux tiers-lieux disséminés sur son territoire un label « Tiers Lieux Occitanie » en fonction de critères rigoureux. « Le Conseil régional est intéressé par notre démarche, parce que ces lieux sont extrêmement divers et variés. Or, quand on interroge les entreprises, au-delà de l’aspect qualitatif et de l’homogénéité du service offert, ce qu’elles réclament, c’est d’avoir un interlocuteur unique, donc éventuellement une centrale de réservation, ainsi qu’une tarification à peu près identique à l’échelle de l’Occitanie et en tout cas un système de facturation unique. On voit donc qu’on descend très vite dans le niveau de détails et c’est ce qui bloque aujourd’hui la mise en place ». Action Logement s’est donné trois mois, soit jusqu’à la fin de l’année, pour achever l’élaboration de ce cahier des charges qui devrait permettre au dispositif de se développer.

Alors qu’Action Logement travaille sur ces projets d’espaces de corpoworking en lien avec plusieurs bailleurs sociaux, deux lieux sont déjà pressentis. « L’un des dossiers les plus avancés concerne la friche industrielle de la Comtesse du Barry à Gimont. On a là la possibilité de développer 1 000 mètres carrés d’espaces dédiés au télétravail et éventuellement des logements temporaires meublés pour accueillir des jeunes en formation, en alternance et du logement plus pérenne », détaille François Magne. Le second dossier, sur lequel planche Action Logement avec Promologis, se situe au sud de l’agglomération, à Muret, « dans un projet de renouvellement urbain, juste à côté de la gare ce qui permet une desserte vers la métropole et dans l’autre sens également. Le lieu serait dédié à du logement inter générationnel dans les étages et disposerait d’un rez-de-chaussée d’une surface identique qui pourrait être dévolue à un espace de corpoworking », ajoute-t-il.

Sollicité par des mairies, des partenaires privés ou des bailleurs sociaux très intéressés par ce dispositif, Action Logement est à la recherche d’autres lieux pour couvrir les deux autres points cardinaux autour de Toulouse. « Notre métier n’est pas d’être gestionnaire ou constructeur de tiers-lieux, rappelle François Magne. L’objectif est d’amorcer la pompe, de le faire en lien avec les entreprises qui cotisent chez nous et ensuite de laisser cela vivre et se développer. » Dans le cadre de son plan d’investissement volontaire, Action Logement dispose, au niveau national, d’une enveloppe de près de 50 M€ pour lancer le dispositif et notamment « accompagner l’investissement à la place, le but étant ensuite de faire chuter les coûts afin que le système monte en puissance et puisse atteindre à terme l’équilibre ». Ce financement pourrait aller « de 8000 à 11 000 € la place », ajoute-t-il. 

Entreprises en développement 

À travers de dispositif de corpoworking, Action Logement cible plus particulièrement « les entreprises en développement. Plutôt que d’immobiliser leurs fonds dans des bureaux et du foncier, l’idée est de les inciter à faire de la R & D. Grâce à ces tiers-lieux et espaces de corpoworking, elles ont la possibilité de construire leur développement tout en mettant leurs investissements, au moins dans un premier temps, là où ils sont le plus différenciant, nécessaire et efficace. D’autres peuvent considérer à un moment donné que c’est la solution parce qu’elles ont du foncier à céder, parce qu’elles ont réduit la voilure, ou pour d’autres raisons. Mais elles sont aussi attachées au fait que leurs salariés aient des conditions de travail satisfaisantes. Grâce à ce dispositif totalement modulable, elles ont la possibilité de leur faire gagner du confort de vie », détaille François Magne.