Alors que théâtres, salles de spectacles et lieux de culture rouvrent désormais leur porte, comment les personnalités culturelles de la place toulousaine vivent-elles cette période post-confinement ? La Gazette du Midi a posé la question à Jérémy Breta, codirigeant de l’American Cosmograph.
Anciennement Utopia, le cinéma a changé de visage et de nom en 2016, mais n’ a pas perdu son âme. Jérémy Breta (en haut à gauche de la photo) qui, au fil des années, a grimpé les échelons, au sein d’Utopia avant de devenir directeur des salles de Tournefeuille et Toulouse, a repris la direction des lieux aux côtés d’Annie Mahot il y a quatre ans. Aujourd’hui, ils continuent ensemble d’œuvrer pour une cinématographie d’art et d’essai, prônant un cadre hors du temps au cœur de la Ville rose. Le codirigeant nous livre ses ambitions afin de faire vivre ce lieu emblématique pour les cinéphiles ainsi que ses inspirations.
Quel est le programme post-confinement ?
Nous avons eu la bonne surprise d’apprendre que la réouverture des salles était avancée au 22 juin. La Fédération nationale des cinémas français planche actuellement sur les dispositifs sanitaires et les conditions de reprise, masque gel et vitres en plexiglas.
Aussi, nous préparons la programmation des films, avec l’idée de reprendre en priorité les films à l’affiche et qui n’ont pas eu le temps d’avoir une bonne exploitation avant la crise sanitaire tel que La communion de Jan Komasa et Si c’était de l’amour de Patric Chiha. également des films qui étaient prévus à l’affiche comme Benni réalisé par Nora Fingscheidt. La programmation dépend aussi des distributeurs.
Enfin, nous avons eu la chance de connaître deux années précédentes fructueuses et nous avions ainsi un peu de trésorerie d’avance, prévu initialement pour apporter des améliorations au sein du cinéma, ce qui nous a ainsi permis d’affronter plus sereinement la crise sanitaire et de préparer la reprise. Cependant, nous avons fait appel au chômage partiel et à différentes aides. Nous estimons notre perte de chiffre d’affaires à 50 % par rapport à 2019. De plus, l’activité ne va pas reprendre à plein régime, il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte, comme les journées de travail qui seront différentes pour certains de nos collaborateurs.
Quel est le fil conducteur de l’American Cosmograph, son originalité ?
Depuis le début, il s’agit à 95 % d’un cinéma d’art et d’essai. Nous continuons dans les pas de l’ancien cinéma, avec peut-être plus de films d’animation et un esprit plus festif. Notre enjeu ne se joue pas sur des films déjà très exposés, mais sur des films d’auteurs, des films indépendants qui restent dans l’ombre si notre cinéma ou l’ABC ne les met pas en lumière. Notre travail est de faire vivre les films absents des gros circuits, même si parfois nous programmons des blockbusters après quelques semaines d’exploitation. Nous attachons une grande importance à proposer des films que nous avons visionnés et qui ont retenu notre attention. C’est nécessaire de transmettre une émotion, une réflexion, avec cohérence et diversité afin d’atteindre un large public.
Par ailleurs, le nom American Cosmograph désignait la toute première salle à Toulouse, et la cosmographie qui comprend l’étude du monde, correspond parfaitement à l’esprit que nous souhaitons transmettre à travers notre lieu, par le biais de films du monde. En effet, nous ciblons notamment des films asiatiques, ou latino américains, même si les réalisations françaises ou américaines représentent plus de la moitié de notre programmation.
Ce qui constitue aussi notre ADN ce sont des moments privilégiés comme les soirées débats que nous organisons en moyenne deux fois par semaine, soit avec des associations locales engagées pour réfléchir sur un sujet sensible ou social, soit avec l’équipe d’un film que nous souhaitons mettre au-devant de la scène. Ce sont, parmi d’autres, les petits plus que nous apportons à nos clients cinéphiles. De temps en temps, nous organisons d’autres actions conviviales telles que des ciné-concerts, des quizz géants, ou des événements particuliers, etc. Par exemple, nous accueillons en juin pendant deux soirs, le collectif toulousain, No Music No Life, en vue de diffuser un concert en live sur internet.
Quels sont vos prochains projets ?
Étant donné que notre litige avec le propriétaire des lieux est désormais terminé, nous souhaitons réaliser des travaux de mise aux normes d’accessibilité aux personnes handicapées concernant notre salle au rez-de-chaussée, la seule qui peut l’être. Les travaux initialement prévus pour cet été sont repoussés à l’année prochaine. Aussi, nous envisageons un rafraîchissement pour coller davantage à l’esprit de l’American Cosmograph, légèrement différent de celui de l’Utopia. C’est un lieu atypique dans le centre-ville, chargé d’histoire à taille humaine, où les spectateurs peuvent facilement croiser l’équipe, etc. Nous réfléchissons actuellement à quelques modifications mais en conservant cependant l’âme du cinéma.
Quel film vous a marqué ?
Breaking the waves que j’ai pu visionner à l’Utopia d’Avignon dans mon adolescence. Ce film particulier m’a profondément marqué car je n’imaginais pas que le cinéma pouvait être autre chose que du divertissement, et apporter de la réflexion, être empreint d’esthétisme, évoquer des histoires intimes, etc. C’est à ce moment-là que je me suis nourri de films d’art et d’essai.
Un livre que vous avez envie de conseiller ?
Les Furtifs d’Alain Damasio. C’est un roman de science-fiction passionnant, trépident qui évoque avec finesse des sujets de la société actuelle. De plus, le travail d’écriture est ardu, l’auteur n’hésite pas à inventer des mots avec brio.
Quelle musique vous accompagne ?
Notamment, les groupes de rock folk, des rythmes assez doux mais qui mettent de bonne humeur. Ensuite, j’écoute beaucoup de BO de films et lorsqu’un compositeur ou un chanteur me plaît, j’aime découvrir le reste de son travail. Mais je suis plus attaché à la chanson qu’à la mélodie.
Édouard Philippe a annoncé, le 28 mai, une date de réouverture des salles de cinéma fixée au 22 juin 2020. La Fédération nationale des cinémas français (FNCF) a été auditionnée par Jean Castex, le haut fonctionnaire en charge d’encadrer la politique de déconfinement dans la lutte contre la propagation du coronavirus. « L’idée était de connaître les spécificités et les besoins des salles de cinéma tant en termes sanitaires, qu’en termes d’accueil du public, de besoins économiques ou des conditions de reprise de l’activité », affirme l’une des dernières newsletters quotidiennes relayée par la FNCF.