Nicolas VialletLe chef d’orchestre de l’IA de demain

Nicolas Viallet

Après 18 ans de carrière chez Airbus, cet ancien responsable industriel prend les rênes de l’opérationnel du projet interdisciplinaire Aniti.

«L’intelligence artificielle est pour moi un formidable outil qui a le potentiel d’améliorer nos vies de manière significative. Néanmoins, comme tous les outils, il faudra apprendre à le maîtriser et encadrer son usage, de façon à ce qu’il reste positif. Il m’apparaît important que les citoyens soient acculturés à l’IA afin d’en saisir l’utilité, le potentiel mais aussi les limites. Le but est de ne pas subir cette révolution technologique, ni de fantasmer sur des usages irréalistes », lance Nicolas Viallet, le nouveau directeur opérationnel de l’institut interdisciplinaire en intelligence artificielle, Aniti, l’un des quatre instituts 3IA, avec Grenoble, Nice et Paris, mis en place dans le cadre du Programme Investissements d’avenir du Plan Villani.

Ce quadragénaire a ainsi mis, derrière lui, 18 ans de carrière chez Airbus pour endosser ce nouveau rôle depuis juillet et dresser les lignes conductrices de l’institut. Lui, qui gamin, rêvait de « travailler avec tout ce qui vole », fortement influencé par un cousin éloigné, a donc pris la route des airs. « Le vol n’est pas naturel pour un enfant et il y avait une part de magie que je voulais comprendre. C’est un domaine de prouesses technologiques et de franchissements d’horizons inexplorés. Et la première mission spatiale d’un spationaute français, lorsque j’étais jeune, m’a profondément marqué », se remémore ce fils de médecin, toujours titillé par la curiosité. « S’intéresser à ce et à ceux que l’on ne connaît pas ou que l’on ne comprend pas me semble fondamental pour s’ouvrir ».

Avec un diplôme d’ingénieur de l’école Polytechnique et un autre de Supaéro en poche, ce oullinois d’origine prend son envol chez Airbus, le numéro un européen et numéro deux mondial de l’industrie aéronautique. À 24 ans, il ne pouvait pas rêver mieux et ne quittera plus la Ville rose. Pendant presque deux décennies, il a notamment pris part au cycle de vie de l’A350, auquel il se dit « très attaché ». Il a d’abord décroché un poste d’ingénieur intégration système propulsif pendant six ans puis d’architecte Structure Powerplant A350XWB pendant quatre ans, avant de prendre du galon.

« Les dix premières années, j’ai travaillé sur des systèmes complexes. J’ai pu mêler l’intégration multidisciplinaire et interculturelle, en partenariat avec des industriels internationaux ». Après dix ans chez l’avionneur, il franchit un nouveau cap pour se diriger vers des fonctions programme avant de prendre la casquette de responsable de la stratégie industrielle du site Airbus de Nantes pendant un an.

« Grâce à ces postes, j’ai pu comprendre le cycle de vie d’un produit et nouer des partenariats locaux, dans une notion de co-innovation. Nous avons obtenu de bons résultats, passant de 100 composants par an, à dix fois plus l’an passé. Cette transformation à grande échelle a conduit à la mutation du site de production. Enfin, la stratégie industrielle m’a permis de me projeter plus loin. Travailler sur la préparation de l’appareil industriel du futur sur le site de Nantes fut un vrai challenge pour moi », détaille l’ingénieur qui a été ainsi repéré pour son CV et a saisi l’opportunité de participer à un tout autre enjeu.

L’objectif de ce projet novateur est de développer une intelligence artificielle hybride, ciblant le domaine des transports aérien et automobile, la robotisation dans l’industrie 4.0 et le développement d’interfaces homme-machine. « Nous allons aussi nous inspirer de certains mécanismes biologiques pour tenter d’améliorer la capacité d’apprentissage des systèmes », souligne le nouveau directeur, visionnaire dans l’âme et particulièrement attiré par le positionnement avant-gardiste de ce projet interdisciplinaire. « Ce qui me plaît, c’est de rendre possible l’utilisation de l’IA dans des systèmes critiques et de décloisonner la recherche et l’industrie. Les industriels partenaires nous apportent des éléments de contexte afin de tester des choses proches de la réalité ».

Cet enjeu de taille, porté par l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, réunit au total plus de 160 chercheurs et une trentaine de partenaires industriels. Une enveloppe de 100 M€ (dont 20 M€ financés par l’État, 20 M€ par les industriels et 20 M€ par les partenaires académiques) a été déployée sur quatre ans pour rendre l’IA plus responsable au service de l’industrie du futur et asseoir la notoriété de l’Hexagone en la matière.

Celui qui porte aujourd’hui le costume de directeur opérationnel prend à bras-le-corps ce nouveau chapitre de sa vie. À la question de savoir si le challenge de propulser la France au titre de leader mondial ne l’effraie pas ? Il répond avec un sourire dans la voix. « Je mesure les challenges immenses, mais le vertige n’a pas duré longtemps car j’ai déjà piloté des projets avec des budgets conséquents. Et puis, j’apprends à connaître le monde académique et institutionnel. C’est aussi tout l’intérêt de ce poste en plus de participer à un enjeu qui va changer la face du monde ». Tel un chef d’orchestre, il a pour mission d’huiler parfaitement les rouages de l’institut afin que chaque acteur travaille de concert et de structurer l’environnement regroupant 24 chaires scientifiques. « Installer les équipes, finaliser les contrats partenariaux, recruter les thésards et mettre en place les procédures font partie des premières missions. Mon rôle est de veiller aux conditions des synergies et de donner aux chercheurs les moyens de collaborer en bonne intelligence avec les partenaires industriels. Accroître l’autonomie des chaires est aussi un objectif », souligne le directeur qui garde en ligne de mire les notions d’intelligence collective et d’adaptabilité, issues de son expérience passée.

Avoir une vision à 360° et promouvoir les trois piliers qui structurent le projet, à savoir la recherche scientifique, la contribution au développement économique et l’aspect éducatif sont ses priorités pour conserver son siège et permettre au projet de gagner éventuellement quatre ans de plus. « Premier point, il est nécessaire de déployer la recherche d’excellence, faire des publications pour une reconnaissance internationale et faire avancer la science pour le tissu socio-économique. Deuxième point, développer une offre de formation qui permette de sécuriser les besoins de ressources et de compétences à l’avenir. Mon objectif est de doubler le nombre d’étudiants sur la place toulousaine, en équilibrant le nombre de femmes et structurer une formation continue. Troisième point, favoriser le déploiement des technologies IA dans le monde réel en prenant en compte la gestion de la propriété intellectuelle et développer une IA que l’on puisse certifier », énumère-t- il.

En effet, le programme d’acceptabilité sociale, juridique et éthique des systèmes utilisant l’IA est un axe de recherche essentiel pour combler un retard et permettre à cette technologie d’intégrer correctement des systèmes qui ont un impact sur le quotidien. « Côté recherche, nous allons étudier l’impact de l’IA sur des domaines tels que les marchés concurrentiels, les modèles de gouvernance ou les processus de décision ayant une dimension morale. Nous allons également plancher sur l’identification des biais dans les systèmes d’apprentissage et la manière d’en maîtriser la propagation. Nous allons aussi multiplier les initiatives de vulgarisation auprès du grand public afin que chacun l’utilise en toute conscience », explique ce père de famille qui tente d’inculquer un usage raisonné à ses enfants. Pour être acceptée, l’IA doit donc être comprise. La réglementation est ainsi le cheval de bataille de deux des chaires régionales.

Pour l’ensemble de ses travaux, le responsable s’appuie sur le savoir-faire de Nicholas Asher, le directeur scientifique. « Nous nous concertons beaucoup pour prendre nos décisions. C’est un formidable pédagogue, il m’apprend beaucoup sur la science, ainsi que sur le fonctionnement du monde académique », confie- t-il. À terme, l’objectif est d’ouvrir d’autres partenariats régionaux et d’aider la région, qui a misé 24 M€, à flécher des budgets vers les bons acteurs. « On a cette ambition d’aider à la création ou les PME existantes. On vise une centaine de structures régionales ». Pour sa part, Toulouse Métro- pole contribue au projet à hauteur de 4 M€.

Cet ancien ingénieur industriel qui croit en l’IA, porte enfin beaucoup d’espoir sur l’industrie de demain. « J’imagine un système de production beaucoup plus fluide et adaptable, où l’anticipation aura pris le pas sur la réaction, une industrie plus respectueuse également des opérateurs en termes notamment de condition de travail. Beaucoup de briques technologiques doivent contribuer à cela et l’IA en fait partie », conclut-il.

Parcours

1977 Naissance à Oullins, dans le Rhône
1999 Diplôme d'ingénieur de l'école Polytechnique à Palaiseau
2001 Diplôme d'ingénieur Supaéro à Toulouse
2001 Premier poste chez Airbus en tant qu'Ingénieur intégration système propulsif
2007 Architecte Structure Powerplant A350XWB
2011 Responsable du programme entrées d’air A350XWB
2018 Responsable de la stratégie industrielle du site Airbus de Nantes
2019 Directeur scientifique pour le projet Aniti