Bourguignon, issu d’une famille viticole, le Meilleur Ouvrier de France 2007 en catégorie tonnellerie a relancé cette activité en Champagne où il est installé depuis près de 20 ans.
La tonnellerie est un art ancestral. Et celui-ci a bien failli disparaître définitivement de notre région si quelques passionnés comme Denis Saint-Arroman n’avaient pas choisi d’y consacrer leur vie. « Dans les années 50, la Champagne comptait plus de 300 tonneliers, à une époque où 100% de la production de champagne se faisait en tonneaux. Mais le métier de tonnelier a disparu en Champagne en 1992. Quelques maisons ont continué à faire du tonneau mais se fournissaient sur le marché bourguignon ou bordelais où il y avait encore beaucoup de tonneliers ». Bourguignon, issu d’une famille viticole, Denis Saint-Arroman intègre à 16 ans le lycée viticole de Beaune dans l’optique de reprendre l’exploitation familiale de ses parents à Mercurey. C’est là que son destin bascule.
« Lors des journées portes ouvertes j’ai découvert l’école de tonnellerie rattachée au lycée et j’ai décidé de changer de cap ». Soutenu par ses parents il rejoint l’école malgré la réticence de certains professeurs qui tentent de le dissuader. « Ils me disaient que ça n’était pas un métier d’avenir », en sourit-il aujourd’hui. Après avoir décroché son CAP en 1992, il part travailler chez différents tonneliers. Quatre expériences bourguignonnes plus tard, il entreprend de faire un tour de France pour découvrir les régions où il pourrait se perfectionner. Son expédition s’arrêtera dès la première étape en Champagne, en décembre 1996. « J’ai été recruté par une grande Maison de Champagne en tant que tonnelier particulier. J’y travaille d’ailleurs toujours ».
En 1999, il rencontre Jérôme Viard. Issu d’une lignée de menuisiers-ébénistes, ce dernier est également un passionné de vin, diplômé d’œnologie.
RETOUR AUX SOURCES
Complémentaires, les deux amis décident de s’associer et de créer, 7 ans après la disparition de la dernière tonnellerie de Champagne, la Tonnellerie Artisanale. Ensemble, ils s’installent dans l’atelier de menuiserie du grand-père de Jérôme, à Cauroy-les-Hermonville, à quelques kilomètres au nord de Reims. « Nous sommes partis de rien, dans un bâtiment de 15m2. Au début nous produisions une dizaine de tonneaux par an ». Fût après fût, les deux tonneliers ont augmenté les cadences et ont dû étoffer leur équipe pour répondre aux demandes de plus en plus nombreuses. Aujourd’hui, la production s’est organisée et entre 500 et 600 fûts de chêne sortent des ateliers de la tonnellerie champenoise chaque année. Outre Denis Saint-Arroman, cinq personnes y travaillent à plein temps, ainsi qu’un compagnon.
Et les tonneaux champenois se sont fait un nom hors des frontières régionales dans le milieu du vin, qu’il soit effervescent ou tranquille. La Bourgogne, le Luxembourg, l’Italie et même l’Afrique du Sud sont sensibles au travail de la tonnellerie de Cauroy-les-Hermonville.
Relation de cause à effet ? La création de la tonnellerie en 1999 coïncide en tout cas à un retour en grâce du tonneau dans la production champenoise. Retour aux sources, envie de donner une certaine typicité au vin, volonté de se démarquer de la concurrence… les raisons de cet engouement sont multiples et propres à chaque producteur.
Elles sont à chaque fois le fruit d’une démarche qui n’est pas sans conséquences. « Le travail du vin en fûts de chêne présente des contraintes », explique Denis Saint-Arroman. « Cela demande de la manipulation, de la surveillance, du nettoyage, de travailler sur des petits volumes… Mais cela donne aussi un produit différent ».
UN ŒUF ET DES COUTEAUX
La jeune génération de vignerons qui arrive sur les exploitations champenoises se montre particulièrement sensible à ce matériau « Vinifier en tonneau c’est aussi une volonté de se démarquer de la concurrence. Cela apporte une valeur ajoutée à la bouteille et permet de créer un autre produit », note le tonnelier, qui ajoute en souriant : « Mais ça n’est pas parce qu’on utilise des fûts de chêne que le vin est bon ! ».
Ce qui n’empêche pas que la qualité des essences est primordiale. Ses bois, il les trouve au cœur des forêts françaises et le plus souvent champenoises. « Je suis satisfait de ce que je peux trouver dans les forêts régionales. Nous allons même parfois choisir les chênes dans les forêts de certains vignerons pour réaliser les fûts qui serviront à contenir leur propre champagne ». Une sélection minutieuse et implacable (près de 80% de perte sur une bille de chêne, ce qui rend également cette matière première très chère) qui revêt une importance capitale dans le résultat final.
Très attaché au terroir, Denis Saint-Arroman va jusqu’à classer ses bois sélectionnés par commune afin de réaliser une traçabilité et proposer ainsi aux viticulteurs des fûts issus de leur terroir. Ces derniers sont d’ailleurs assez sensibles à son titre de Meilleur Ouvrier de France, gage de qualité et de savoir-faire. « À Beaune, j’avais un professeur MOF et je m’étais toujours dit que je passerai ce concours un jour ». Alors quand l’occasion se présente, il la saisit. Et à la faveur d’un tonneau en forme d’œuf, il est désigné MOF à son tour en 2007. « C’est un aboutissement dans une corporation professionnelle, la reconnaissance de ses pairs aussi. Ce titre est le fruit de nombreux sacrifices, il récompense le travail mais aussi le côté humain », souligne celui qui aura passé entre 500 et 600 heures pour peaufiner son projet.
Jamais à court d’idées ni de projets, Denis Saint-Arroman et son équipe recyclent les tonneaux au sein de leur atelier. Ils trouvent une seconde vie sous la forme de chaises, de bureaux ou de tables. Et depuis peu sous la forme de couteaux, puisqu’il a participé à l’élaboration du Chignore réalisé par le coutellier auvergnat David Ponson. Ce couteau destiné au Domaine Les Crayères à Reims est équipé de manches en chêne, issus de tonneaux champenois, sélectionnés et fabriqués par Denis Saint-Arroman. Ce travail d’orfèvre à tous les étages, les clients les plus fidèles des Crayères le trouveront sur leur table, leurs initiales gravées sur la lame. Une initiative qui ne devrait pas les laisser de bois.