« Le bâtiment est au cœur de l’évolution sociétale du pays »

FFB Marne

Tout au long de l’année, Jacques Chanut (au centre) rend visite aux antennes locales de la Fédération Française du Bâtiment pour rendre compte des actions de la FFB au niveau national et prendre la température des territoires.

En visite à Reims auprès des adhérents de la FFB Marne, Jaques Chanut aborde les questions d’actualités qui touchent le secteur du bâtiment. PTZ, municipales, formation, législation… A six mois de la fin de son mandat, le président national de la FFB veut mettre son secteur au cœur du débat lors des élections municipales.

Jacques Chanut, le bâtiment est au cœur de l’actualité avec le vote pour la poursuite du PTZ (Prêt à Taux Zéro) par les députés mi-novembre…
Une victoire importante pour votre secteur d’activité ?

« C’était un de nos combats majeurs. Il ne s’agit pas d’une démarche corporatiste pour nos entreprises mais simplement une incompréhension quant à la suppression de ce Prêt à Taux Zéro en zone rurale et périurbaine, alors que parallèlement on nous assène régulièrement un discours sur la ruralité et la fracture territoriale.

Or, si on n’accompagne pas les jeunes couples dans leurs projets de construction et d’accession à la propriété, et qu’on les incite à aller dans les grandes métropoles, on accentue cette fracture territoriale. Pas de jeunes, cela veut dire pas d’école donc pas de vie… Supprimer le PTZ est une erreur en plus d’être une incompréhension de nos métiers et de nos activités.

A chaque fois que l’on rabote ce type de mesures cela a des effets immédiats sur la construction.

En 2017, quand on a divisé par deux la somme du PTZ allouée aux ménages modestes, cela a entrainé une baisse de 20% de la construction de logements. Le PTZ permet de solvabiliser les dossiers de financement pour ceux qui n’ont pas d’apport ou leurs parents derrière eux. Si on le supprime, cela va entrainer une nouvelle baisse de 16 à 20% de l’activité, soit la moitié des dossiers. C’est l’équivalent de 30 000 logements en moins. Il ne faut pas oublier que toute aide d’un euro dans notre secteur c’est deux euros de ressources fiscales. Qui dit mieux ? »

Les députés ont semble-t-il entendu votre message…

« Nous avons fait jouer les institutions de la Ve République pour mobiliser les députés qui sont ceux qui votent les textes.

237 députés ont signé l’amende- ment sur tous les bancs de l’Assemblée nationale. La mesure du PTZ coûte 30 M€, ça n’est donc pas un problème budgétaire, au moment où on supprime 22 milliards de taxe d’habitation. Maintenant il faut que le Sénat vote conforme (le vote doit intervenir début décembre, NDLR). Mais le gouvernement a déjà annoncé qu’il persisterait. C’est un entêtement qui s’apparente à du mépris. On ne peut pas avoir raison seul contre tout le monde… y compris contre les membres de sa propre majorité. »

Le maintien du PTZ est un moyen d’obtenir enfin un peu de stabilité ?

« Chaque année, on change les règles du jeu, ça n’est pas sérieux ! Il faut qu’on change ces habitudes anciennes. Aujourd’hui c’est Bercy et les budgétaires de Matignon qui arbitrent et qui ne suivent plus une politique du logement mais une politique budgétaire.

La politique du logement et l’accompagnement budgétaire nécessaire doit être un programme de quinquennat. Elle doit être définie en début de quinquennat puis le budget doit être sanctuarisé pendant cinq ans !

Le logement c’est ce qui ancre pour un certain moment une famille, encore plus dans les territoires ruraux. Il faut arrêter d’écouter des experts budgétaires, des inspecteurs des finances et des contrôleurs d’État qui n’ont jamais dépassé le périphérique parisien. Et qu’on se rapproche plutôt de ceux qui sont au contact de la population : les élus de terrain, les maires, les députés, les artisans et les professionnels du bâtiment. »

Les années électorales sont traditionnellement compliquées pour le bâtiment et les travaux publics…

« Il est légitime et compréhensible que les collectivités n’engagent pas de grands travaux d’aménagement en fin de mandat. Mais notre volonté est d’être au cœur des débats des municipales notamment par rapport à l’aménagement des territoires. Nous avons fait un atlas qui recense un certain nombre d’éléments autour de la population, du taux de chômage, du temps de transport moyen pour se rendre sur son lieu de travail, de la production externe, sur le temps d’accès au soin… C’est un atlas dynamique qui montre l’évolution depuis 2015 par EPCI.

Cela nous permet d’être un acteur impartial mais factuel par rapport à la situation des collectivités avec un système de scoring et de comparaison entre EPCI. À partir des ces éléments – que nous mettons à la disposition de l’interprofession mais aussi du Medef et de la CPME- on peut objectiver une situation, disposer d’éléments tangibles et factuels pour permettre à nos fédérations de discuter avec les candidats, d’en faire des analystes et de pouvoir faire des propositions. Notre objectif est bien d’être au cœur du débat en 2020.

Le bâtiment est au cœur de l’évolution sociétale de notre pays. Nos interlocuteurs du quotidien, ce sont les maires. Mais tous n’ont pas les mêmes problématiques. On peut d’ailleurs rappeler que 92% des villes et villages de France disposent d’un artisan ou d’une entreprise. À titre de comparaison, seulement 53% des communes disposent d’un commerce. »

La fin de la détaxation du gazole non-routier fait aussi partie des éléments de mécontentement des professionnels du bâtiment et des travaux publics…

« Il faut arrêter de nous prendre pour des idiots en nous faisant croire que ces mesures sont prises pour des raisons écologiques. Il s’agit d’une mesure budgétaire et non environnementale qui cible un secteur d’activité et qui en plus va créer une concurrence déloyale en exonérant certains corps de métiers comme les paysagistes par exemple. Or, ceux-ci sont concurrents de nos entreprises sur certains chantiers. Par ailleurs, cette mesure pénalise encore un peu plus les entreprises en milieu rural. L’an dernier, sur 30 000 engins vendus, seuls 17ou18 étaient électriques. Pourquoi ? Parce que la filière industrielle n’est pas prête : il n’existe pas de matériels de chantiers avec une consommation verte. Ça n’existe pas aujourd’hui.

Le problème de cette détaxation c’est qu’elle va coûter 700 millions d’euros aux travaux publics et 70 millions au bâtiment. Certes, nous avons obtenu des aménagements mais notre secteur va tout de même perdre 770 millions d’euros en deux ans. Cela va sans doute engendrer une hausse de prix qui va rejaillir aussi sur les collectivités.»

Comment se porte la filière bâtiment en 2019 ?

« L’activité est plutôt bonne. Notre vrai sujet aujourd’hui c’est la rentabilité, car nos coûts augmentent plus vite que nos prix. Nous avons connu une augmentation importante au niveau des matériaux, avec par exemple une hausse du béton de +4,5%. Les salaires ont eux aussi progressé de 3,5 à 4% sur la globalité des entreprises. Or, pour la première fois cette année, l’augmentation de l’activité n’a pas d’effet sur la rentabilité de nos entreprises et c’est ce qui nous inquiète le plus. Et si nous rencontrons de nouveau des difficultés dans quelques années, même moins grave qu’en 2008, il y aura de la casse. »

En juin 2020, vous allez quitter la présidence de la FFB après deux mandats. Quel bilan dressez-vous de ces 6 années passées à la tête de la Fédération ?

« L’heure n’est pas au bilan ! Mais si je dois cibler une évolution principale c’est celle-ci : il y a six ans je me faisait interpeller car il n’y avait pas de travail dans notre secteur d’activité. Aujourd’hui je me fais interpeller car il n’y a pas assez de personnel pour faire le travail.

La crise de 2008 a laissé une plaie béante au niveau de la main d’œuvre : nous sommes brutalement passés de 100 000 à 55 000 apprentis par an et nous le payons maintenant. Les mesures que nous avions négociées avec le gouvernement Valls ont porté leurs fruits en terme d’activité, mais parallèlement on n’a pas pu relancer suffisamment la machine de la formation. Cela sera sans doute le défi de ces prochains mois autour de la réforme de la formation.

L’autre défi sera de remettre à plat la fiscalité autour du logement et de la construction. On a une fiscalité totalement confiscatoire sur la détention foncière, la transmission, la construction, l’héritage… On a de très loin la fiscalité la plus forte d’Europe que l’on compense par tout un système d’aides et de crédits d’impôts. C’est un système trop fragile car non pérenne, qui peut être remis en cause chaque année.

Le temps de la Présidentielle de 2022 doit être celui de la réflexion sur la politique du logement. Le logement n’est pas une économie de rentier, mais qui crée de la richesse avec un maillage territorial inégalé. On a besoin d’avoir une vision politique de ce que doit être le logement dans notre pays. »