L’avenir de la filière viticole : le verre à moitié vide ?

Paul Fabre, directeur de l’interprofession des vins du Sud-Ouest.

Tandis que les viticulteurs occitans tirent un bilan très nuancé du millésime 2020 du fait de la crise sanitaire mais pas seulement, qu’en est-il du plan de relance régional porté à 14 M€et de l’avenir d’une filière qui emploie 100 000 personnes ? Explications de Paul Fabre, directeur de l’interprofession des vins du Sud-Ouest (IVSO)… 

Quels sont les premiers résultats du plan de relance régional doté de 7 M€ par la Région avec un effet levier de plus de 14 M€, sur un principe de cofinancement avec l’entreprise ou l’interprofession ? A-t-il déjà porté ses fruits ?

Ce plan de soutien à la filière est déjà un grand succès. Pour rappel, la Région a dispatché ce plan en trois volets dont 5,5 M€ pour les entreprises, 1 M€ destiné aux interprofessions et 500 K€ pour des opérations de communication générique concernant l’ensemble des vignobles d’Occitanie.

Vignerons, coopératives et négoces ont massivement souscrits à ce plan de relance. À tel point que le montant des dossiers présentés au titre du premier appel à projet, arrivé à échéance le 31 octobre, dépasse la totalité de l’enveloppe prévue. Nous avons validé 233 dossiers pour un montant de 7,65 M€ alors que le quota fixé par la Région s’élève à 5,5 M€. L’enveloppe se répartit d’ailleurs entre les trois métiers : d’abord le négoce pour 3 959 000 €, les vignerons indépendants pour 2 130 324 € et les caves coopératives pour 1 957 471 €. Cet engouement signifie que les entreprises croient au développement de la filière et ont envie de se battre et de repartir à la conquête de leur marché. Suite à ce constat, deux décisions ont été prises : d’abord, nous avons réorienté la somme de 1M€ qui nous était dédiée vers les entreprises puisqu’elles constituent un axe prioritaire du plan. Ensuite, nous étudions actuellement avec la Région, la possibilité de lisser l’ensemble des actions prévues (salons, opérations à l’export, événements, etc.) sur 2021 et 2022 et reporter ainsi la réalisation des dossiers.

Quant à savoir si ce plan porte ses fruits, il est trop tôt pour se prononcer sur les résultats car le deuxième confinement a un impact terrible sur les entreprises. Mais, force est de constater qu’elles ont déjà enclenché des actions auprès des distributeurs et des consommateurs. En marge, la campagne de promotion de grande envergure, lancée un peu avant le deuxième confinement, en concertation avec les professionnels et les cinq interprofessions viticoles de la région (Vignobles Occitanie) a pour objectif d’inciter les Occitans à consommer local et à redynamiser les ventes. Elle met en scène huit vignerons et vigneronnes de la région, sous l’accroche Le vin c’est mieux en V.O.

À noter que la Région a mis en place d’autres dispositifs d’accompagnement plus pérennes, ce qui porte à 21,4 M€ l’aide régionale pour la viticulture. Un montant d’envergure que les autres Régions n’ont pas alloué pour faire face à la pandémie. Ce plan va aussi obliger les entreprises à réfléchir sur le long terme plutôt que de favoriser l’opportunisme, notamment en termes d’engagement environnemental. 

Le programme est le plus ambitieux de France, pourquoi ?

Plusieurs raisons jouent. La viticulture d’Occitanie est la première de France en volume. En termes de chiffre d’affaires, elle pèse plus de 3 Mds€ (dont 1 Md€ pour le seul Sud-Ouest). C’est donc un poids lourd de l’économie régionale. Qui plus est, au même titre que le tourisme, il s’agit d’une activité économique qui maille et irrigue le territoire. C’est donc à la fois une activité économique majeure pour la région mais aussi un facteur d’équilibre territorial. 

Quelles sont les problématiques que vous rencontrez et les premières mesures prises pour relancer les ventes en France et à l’export ?

La problématique que nous rencontrons, c’est l’absence de visibilité. Un des plus grands salons au monde, ProWein en Allemagne, a notamment été annulé. Tout comme une opération que nous avions mis en place avec la Région prévue en mars 2021 à New York. Ensuite, les bars et restaurants demeurent fermés à une période où la consommation est la plus forte.

Sans parler des autres facteurs de tension internationale qui mettent aussi la viticulture française en difficulté : le Brexit, la taxe Trump (datant d’octobre 2019, sur les vins non effervescents en bouteille de moins de 14 degrés) et les divergences de taxes commerciales en Chine selon les pays. Aux États-Unis, la surtaxe Trump de 25 % s’appliquant aux vins européens a fortement impacté les importations d’AOP Sud-Ouest qui ont reculé d’un tiers. Des questionnements subsistent aussi quant à la Chine qui pratiquait ces dernières années des tarifs préférentiels douaniers à l’égard du Chili et de l’Australie. Cela nous a desservi car les vins français étaient trop onéreux sur le marché. Les mesures de représailles économiques actuelles à l’encontre de l’Australie visant le vin parmi d’autres produits de consommation vont peut-être jouer en notre faveur…

Pour autant, les vignerons malgré des difficultés financières évidentes ne désarment pas. Les actions prioritaires passent principalement par le développement du e-commerce : vente en ligne, vente par correspondance, prospection commerciale, relance des fichiers clients. Au-delà du e-commerce qui devient une vraie tendance, les vignerons se sont emparés de la digitalisation en organisant des dégustations avec des acheteurs à distance voire même des dîners VIP commentés en visio à New York depuis Gaillac. Les salons en ligne rencontrent également un certain succès. Nous prévoyons aussi de mener un travail auprès des influenceurs et dès que possible au plus près de la restauration. D’ores et déjà, des actions sont menées chez les cavistes et en grande distribution. L’enjeu premier est de vendre. 

Croyez-vous, grâce à ces actions, à une relance rapide notamment à l’international, un segment qui représente 32 % de votre marché ?

Nous y croyons fortement. Nous avons d’ailleurs engagé un programme d’action de 500 K€ fléchant les États-Unis, un des premiers marchés consommateurs de vin, qui démarrera en janvier 2021. L’objectif est de réaliser des opérations de communication avec des influenceurs et des médias et de toucher de fait l’ensemble des pays anglophones, voire au-delà. Nous visons bien sûr le marché américain, qui est un des plus dynamiques, mais n’oublions pas que le ssuccès aux États-Unis ont aussi un impact dans les autres pays. Quand le Sud-Ouest a été élu meilleure région viticole du monde de l’année 2018 par la presse américaine, les résultats se sont immédiatement fait sentir aux États-Unis mais aussi en Chine, au Japon, au Canada, en Scandinavie… pour ne citer qu’eux. 

Le bilan commercial de cette année mouvementée est-il aussi catastrophique qu’attendu ?

La commercialisation est très contrastée selon les entreprises, le type de produit et les marchés. Tandis que l’export représente près d’un tiers de nos ventes, les exportations de vins du Sud-Ouest sont en baisse de 8,6 %. Un recul qui touche les AOP (-5,7 %) et les IGP (-9,6 %). La Chine, première destination en 2018 pour les AOP du Sud-Ouest est descendue en quatrième position avec des pertes à hauteur de 60 % en un an. En faisant abstraction de cette destination, les volumes exportés d’AOP Sud-Ouest sont en croissance de 5,5 %. De bon résultats portés notamment par la Belgique, le Canada et l’Allemagne dont les importations ont progressé respectivement de 26 %, 22 % et 11 % sur les 12 derniers mois.

Concernant les ventes réalisées par les vignerons, nous constatons que, sur 12 mois à fin octobre, les sorties de chais des vins du Sud-Ouest ont augmenté de 1,1 % sur le marché national. Une progression portée principalement par les rosés (+17,6 %). Les IGP progressent de 4,5 %. Les rosés IGP commercialisés sur les 12 derniers mois passent de 134 000 hl à 177 000 hl soit une progression des ventes de 32 %. Les sorties de chais des AOP sont, quant à elles, en retrait de 6,3 %.

Cependant, nous constatons en parallèle que les ventes chutent en raison de la crise sanitaire, sur les mois de mars et avril (vs mars-avril 2019) avec une baisse des sorties de chais de 28 %. La période estivale a malgré tout profité aux entreprises et les gains de volumes (soit 43 327 hl) ont compensé les pertes dues au confinement (soit 41 036 hl). Mais avec le second confinement, les ventes repartent à la baisse soit un recul de 3,4 % sur septembre et octobre. La fermeture des cafés et des restaurants sur novembre et décembre impactera également fortement les ventes. Nous anticipons des pertes de l’ordre de 25 % à 30 % sur les deux derniers mois de 2020.

Les transactions de vins en vrac ont, quant à elles, été en progression sur le début de campagne tant en AOP (+130 %) qu’en IGP (+86 %). La belle qualité du millésime 2020 ainsi qu’un niveau de vin en stock contenu, grâce à la distillation, constituent des conditions favorables qui explique cette bonne dynamique. Les prix sont en légère progression en AOP (+0,9 %) comme en IGP (+0,8 %).

C’est donc un bilan très mitigé, qui se mesure sur deux temps. Si le premier confinement n’a pas été si désastreux, le second est dévastateur pour les pertes mais aussi pour les incertitudes qui pèsent sur les entreprises. Beaucoup d’exploitations sont fragiles, le marché du vin est très concurrentiel et se recompose. Le moral de la profession est en berne mais nous sommes résilients. 

Les fonds débloqués pour subventionner l’élimination des excédents de vin causés par la crise sanitaire vous ont-ils suffisamment aidé ?

La distillation de crise a permis d’apurer nos stocks afin d’aborder la campagne viticole d’une manière saine. Au total en Occitanie, 1 million d’hl de vins a été distillé, soit près de 500 000 hl pour le Sud-Ouest, l’équivalent de 7,6 % de la récolte totale des vignes sur le territoire en 2019. C’est un crève-cœur car nous ne faisons pas du vin pour le transformer en alcool industriel pour la fabrication de parfum. Mais cette mesure européenne nous a donné une respiration. Sans elle, beaucoup d’entreprises n’auraient pas pu passer le cap.