Laure Mulin, une femme en tête

Laure Mulin, nouvelle présidente de la CRCC.

Impliquée depuis plusieurs années au sein des instances professionnelles, Laure Mulin vient d’être élue à la présidence de la Compagnie régionale.

Vous arrivez à la tête de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes à un moment difficile. Comment ont-ils jusqu’à présent traversé cette crise sanitaire ?

De nombreux commissaires aux comptes étaient déjà bien équipés pour pouvoir travailler à distance. Le télétravail a pu rapidement être mis en place. La difficulté a plutôt porté sur l’utilisation de la signature électronique dont les commissaires aux comptes n’étaient pas encore tous équipés. Également, les échanges de documents pouvaient parfois être plus compliqués, cela dépendait souvent du niveau de digitalisation de nos propres clients. Mais durant le premier confinement, nous avons tout mis en œuvre pour pouvoir réaliser nos audits et établir nos rapports sur les comptes dans le respect des délais. Même si des délais supplémentaires ont été accordés par ordonnance, beaucoup d’entreprises ont en effet souhaité tenir leur assemblée générale dans les temps.

La période a cependant été vécue de manière particulière, parce que, même si nous avons pu mener nos missions à distance, nous aimons être en contact avec nos clients, être dans l’échange et le partage. Il a donc fallu s’habituer, comme tous, à de nouveaux modes de travail…

Ça, c’était d’un point de vue pratique. Ensuite, l’autre élément important à prendre en compte pendant le confinement et encore aujourd’hui, c’est la façon dont les entreprises gèrent cette situation et si elles rencontrent des difficultés financières qui peuvent remettre en cause leur continuité d’exploitation. Cela nous a conduits à prendre contact avec nos clients beaucoup plus fréquemment et régulièrement, pour savoir quels dispositifs d’aide ils ont sollicité, dans quelles conditions ils fonctionnent, s’ils ont recours au télétravail, à l’activité partielle, etc. Cela a nécessité de la part des cabinets un énorme travail, dans le cadre de ce qu’on appelle aujourd’hui la phase 0 de la procédure d’alerte, phase de dialogue amont. Parce que cette situation, même si elle ne remet pas en cause tout de suite la continuité d’exploitation, peut sérieusement la mettre à mal. Et c’est encore le cas aujourd’hui. Il faut rester vigilant. Nous sommes donc beaucoup plus en contact, dans l’échange et le questionnement des dirigeants. Nous les incitons notamment à faire des prévisionnels de trésorerie, pour voir si dans un horizon raisonnable 12 mois, ils pourront continuer à fonctionner normalement ou s’ils auront besoin de recourir à des emprunts ou à des aides particulières. Nous nous chargeons aussi de les informer des dispositifs qui existent, voire, dans le cas de difficultés particulières, les orienter vers les mécanismes de la conciliation ou du mandat ad hoc si nécessaire.

Nous sommes entrés depuis un mois dans une nouvelle période de confinement. Comment jugez-vous la situation des entreprises ?

Cela dépend vraiment des secteurs. La grande distribution est plutôt débordée et a à gérer des problématiques de ressources humaines et de logistique, quand d’autres secteurs sont particulièrement touchés comme le tourisme, l’événementiel, le transport de voyageurs, etc. Une partie de ces entreprises ont sollicité un PGE mais ne l’ont pas utilisé. Dès lors notre point d’attention sera, s’il est utilisé, de regarder leur capacité de remboursement. Parce que repousser le tas de sable peut être dangereux. Il va donc falloir encore une fois rester vigilant : c’est dans les mois à venir que vont émerger les difficultés. Nous sommes effectivement encore dans la période où les entreprises bénéficient de reports d’échéances et où les remboursements de PGE peuvent être retardés. On est dans l’œil du cyclone. Il va falloir aider les entreprises à en sortir.

Avez-vous justement mis en place des dispositifs particuliers pour accompagner les entreprises ?

La CRCC est partenaire avec l’ordre des experts-comptables, l’ordre des avocats, le tribunal de commerce, la chambre de commerce et d’industrie et la chambre des métiers du centre d’information sur la prévention (CIP) des difficultés des entreprises mis en place il y a quelques années en Haute-Garonne. Il propose tous les jeudis, aux chefs d’entreprise des entretiens avec un expert-comptable, un commissaire aux comptes, un avocat ou un magistrat du tribunal de commerce. Cet entretien est confidentiel et gratuit. Le dirigeant peut ainsi exposer sa situation et obtenir toute information pour prévenir ses difficultés.

Par ailleurs, au-delà des difficultés économiques, les dirigeants peuvent souffrir d’isolement et de problèmes psychologiques. Le CIP, au niveau national cette fois, est adhérent du réseau Apesa qui propose un soutien psychologique aux dirigeants.

Où en est-on de l’application de la loi Pacte qui a relevé les seuils de certification des comptes par les commissaires aux comptes ?

Dans les deux ou trois ans à venir, du fait de l’entrée en application de la loi Pacte, nous ne serons plus présents dans les plus petites PME, celles qui sont en dessous de 4 M€ de total de bilan, 8 M€ de chiffre d’affaires et 50 salariés. En deçà de ces seuils, il n’y a effectivement plus d’obligation de désignation d’un commissaire aux comptes, à moins que notre présence ne soit maintenue sur une base volontaire des dirigeants. La réforme est applicable depuis mai 2019. Sachant que leur durée est de six ans, nous poursuivons nos mandats jusqu’à leur échéance. En 2019, à l’échelon national, sur 153 000 mandats, 23 000 devaient être renouvelés et près de la moitié l’a été.

Les échéances importantes vont arriver en 2021. On peut en effet imaginer des effets sensibles au moment des renouvellements en juin prochain avec un double phénomène : l’arrivée à terme d’un grand nombre de mandats et la baisse d’activité sur 2020 qui va faire passer en dessous des seuils un certain nombre d’entreprises. On anticipe donc un impact beaucoup plus fort en 2021 et 2022.

Combien de mandats devraient être concernés par ces nouveaux seuils ? 

Au sein de la Compagnie régionale, on compte 406 commissaires aux comptes pour 8 800 mandats. Selon nos statistiques, 65 % des mandats pourraient être concernés à terme. Au niveau national, on tablait sur un volume de 25 000 mandats perdus chaque année sur quatre ans.

Pour tenter de compenser cette perte d’activité, la loi Pacte instaure une nouvelle mission : l’audit légal des petites entreprises. En quoi consiste-t-elle ?

Dans le cadre de la mission Alpe, le commissaire aux comptes présente un rapport sur les risques qui consiste à faire un diagnostic de performance sur le volet financier, comptable et de gestion. Ce rapport à valeur ajoutée est à destination du dirigeant et n’a pas vocation à être rendu public. Cette mission Alpe est obligatoire dans le cadre de petits groupes de sociétés, c’est-à-dire lorsque l’entité, avec ses filiales, dépasse les seuils. Dans ce cas, la désignation d’un commissaire aux comptes est obligatoire a priori pour mener une mission Alpe, sauf si le dirigeant souhaite que le professionnel conduise une mission classique. L’autre grande différence entre ces deux types de missions, c’est la durée : celle de la mission Alpe est de trois ans, ce qui offre plus de souplesse aux entreprises. Nous pourrons donc être désignés soit de façon obligatoire dans les petits groupes, soit sur une base volontaire.

Aujourd’hui pour nous, l’enjeu est de convaincre les dirigeants d’entreprise, qui veulent se développer ou qui sont proches des seuils, de l’intérêt de désigner un commissaire aux comptes même s’ils n’y sont pas obligés. Mon objectif est de promouvoir cette mission auprès d’eux comme auprès de nos confrères qui doivent se l’approprier, s’agissant d’un dispositif nouveau.

Enfin, les confrères peuvent exercer de nouvelles missions au sein d’entités dont ils ne sont pas le commissaire aux comptes. Ces nouvelles missions existaient pour la plupart, mais dès que nous ne serons plus présents dans beaucoup d’entités, il peut être intéressant pour une entreprise d’avoir ponctuellement recours à un commissaire aux comptes pour obtenir, par exemple, une attestation de son chiffre d’affaires afin d’obtenir un PGE. La signature du commissaire aux comptes donnera du crédit à cette attestation. L’objectif de ces attestations est d’apporter plus de sécurité à l’information que l’entreprise aura à produire, que cette information soit financière ou extra-financière. Nous pouvons ainsi être amenés à nous positionner sur de la donnée sociale, environnementale, et sur la conformité par rapport à des règles ou des lois. Et compte tenu des diverses compétences que nous avons développées, nous sommes à même de produire des diagnostics ou des analyses de risque. En complément, l’expert-comptable pourra mettre en œuvre les actions qui auront pu émerger à la suite du diagnostic.

Craignez-vous à terme une importante réduction du nombre des commissaires aux comptes au sein de la compagnie régionale ?

Nous craignons effectivement de voir disparaître un certain nombre de commissaires aux comptes. Beaucoup d’entre eux ont en effet moins de 20 mandats. Si 50 à 75 % de ceux-ci disparaissent, cela pourrait inciter les commissaires aux comptes à cesser une activité qui ne serait plus rentable.

Je suis de nature assez positive. Je ne considère pas que la partie est perdue. Même si la période est compliquée, je pense que l’on peut encore défendre la certification des comptes, la mission régalienne des commissaires aux comptes, y compris dans les petites entités et notre rôle de sécurisation, de transparence financière. Ce n’est pas qu’une question de coût. Les petites entités ont besoin de se développer et d’apporter de la confiance auprès de leurs partenaires financiers mais aussi des salariés, des clients, des fournisseurs, etc. Et en ce sens, le commissaire aux comptes confère tout le crédit nécessaire à l’information qu’elles seront amenées à produire au profit de ces parties prenantes. L’un des objectifs de mon mandat à la tête de la CRCC est de communiquer sur l’utilité de ces nouvelles missions et prestations, et d’être à l’écoute de toutes ces parties prenantes. Nos missions de demain ne seront pas celles d’aujourd’hui : il est important de comprendre ce que nous pouvons leur apporter. À nous d’être dans l’échange et le partage avec les différentes instances professionnelles pour voir ce qu’elles attendent des commissaires aux comptes et faire évoluer nos missions tout en restant dans le cadre de nos compétences et de nos valeurs : l’éthique et l’indépendance.