L’attente inquiète des artisans et des indépendants

Roland Delzers

Roland Delzers, président de l’U2P Occitanie.

Déjà confrontées à une trésorerie fragile depuis plus d’un an, les TPE et PME de l’artisanat, des services et du BTP figurent parmi les premières victimes du confinement.

Cela ne surprendra personne : depuis le début du confinement, « personne ne va bien, même si cela dépend des branches professionnelles. Agroalimentaire, services, professions libérales, bât ment… Il n’y a pas un seul domaine où l’activité se porte bien », reconnaît Roland Delzers, le président du syndicat U2P* d’Occitanie qui revendique 280 000 entreprises adhérentes pour 680000 actifs. Seule consolation, l’État a entendu la revendication des indépendants et des petites entreprises en créant un fonds de solidarité. Lequel s’adresse aux sociétés qui font moins d’1 M€ de chiffre d’affaires et dont le bénéfice annuel imposable est de moins de 60 K€, si elles ont subi une fermeture administrative ou auront connu une perte de chiffre d’affaires de plus de 50 % au mois de mars 2020, par rapport à mars 2019. Soit une aide défiscalisée de 1 500 €, auquel il faut ajouter, pour les entreprises les plus en difficulté, une deuxième de 2000€ allouée par la Région. « Pour les entreprises qui n’ont pas de salarié, les 1 500 € de l’État, plus les 2 000 € de la Région et l’aide éventuelle de l’Urssaf », estime Roland Delzers, cela pourrait suffire. Mais « pour celle qui emploie des salariés, et même si elle bénéficie du chômage partiel, ce ne sont pas ces aides qui vont la sauver! » De même, il se veut très prudent quant au prêt d’un an garanti par l’État à travers Bpifrance, qui pourra couvrir jusqu’à trois mois du chiffre d’affaires de l’entreprise : « c’est une possibilité de financement, mais je rappelle aux entrepreneurs qu’il ne faut pas s’endetter au-delà, car il faut garder à l’esprit qu’il faudra pouvoir le rembourser!»

De manière générale, « nous sommes conscients des efforts que font l’État et la Région pour maintenir les entreprises à flots, poursuit Roland Delzers. Mais il reste une inconnue, à savoir la durée de cette crise : quand est-ce que l’activité va reprendre ? Si c’est à partir de fin avril, ce serait déjà très handicapant. Mais si c’est plus tard, ce sera encore plus difficile… » Pour le président du syndicat U2P d’Occitanie, l’inquiétude est d’autant plus grande que la trésorerie des indépendants et des petites entreprises comme les coiffeurs, les esthéticiennes ou les restaurateurs avait déjà été lourdement grevée par les manifestations en centre-ville de Toulouse, à l’automne dernier.

Quant au bâtiment, qui commençait à reprendre des couleurs depuis deux ans après des années de crise « même si ce n’était pas une reprise en flèche, mais à deux ou trois points d’activité, on revenait à des chiffres d’affaires corrects ». Désormais, 95 % des entreprises du BTP adhérentes à l’U2P au moins sont en chômage partiel, « en raison de mesures trop draconiennes pour la poursuite de l’activité ». En effet, les mesures d’hygiène imposées sont telles que « même si on arrivait à les mettre toutes en place », comme la désinfection systématique des mate riels ou le respect de la distance de sécurité sur les chantiers, « cela enlèverait toute rentabilité, en plus de faire prendre des risques aux gens. Donc, le choix est vite fait », regrette Roland Delzers. Qui estime qu’en conséquence, les entreprises devraient se voir offrir « non pas le report des charges sociales, mais leur annulation » – même si, pour l’instant, il préfère attendre de voir comment la situation évolue plutôt que de « réclamer ».

INJONCTIONS CONTRADICTOIRES

Même son de cloche à la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment de Haute-Garonne (Capeb31) : comme l’explique sa secrétaire générale Véronique Vallée, « les artisans sont très inquiets, en particulier les employeurs ». Dénonçant comme Roland Delzers les injonctions « contradictoires » du gouvernement, celle-ci rappelle « qu’il y a eu au début des cafouillages : on nous a d’abord dit de rester chez nous car la situation était extrêmement grave, et quelques jours plus tard, on nous a dit qu’il fallait qu’on se remette au travail ; que s’il y avait des secteurs qui pouvaient s’arrêter, ce n’était pas le cas du bâtiment – et ce, même si celui-ci n’est pas considéré comme une activité à maintenir d’urgence ! »

« C’est pour cela qu’au niveau national, les organisations patronales ont souhaité travailler avec le ministère du Travail et l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) pour mettre en place un guide des bonnes pratiques afin d’évaluer chaque situation et typologie de chantier, et de voir s’il était possible ou judicieux de reprendre les activités ». Ce qui reste « très compliqué, voire quasiment impossible », à part sur les chantiers où les artisans interviennent seuls « ou pour lesquels les clients peuvent ne pas être présents »… Ce à quoi il faut ajouter, poursuit Véronique Vallée, « que s’agissant des apprentis, des décisions ont été prises pour les mineurs mais pas pour les majeurs, alors que l’apprentissage suppose que l’employeur soit présent pour leur apprendre les gestes : il y a donc une grande proximité qui rend inimaginable » le respect de la distance de sécurité.

Résultat: les demandes d’activité partielle chez les adhérents de la Capeb31 ont explosé, affluant auprès de la Direccte « avec des difficultés techniques sur la plateforme, des télescopages d’entreprise résultant de dossiers ouverts mais avec des erreurs d’identification, bref… C’est la pagaille ! » – même si Véronique Vallée espère néanmoins que les problèmes disparaîtront rapidement. Pour autant, celle-ci note que « la question qui se pose concerne les motifs invoqués pour l’activité partielle, car au début, beaucoup de Direcctes en France bloquaient des dossiers pour cette raison. Dans notre région, cela se passe assez bien, car la Direccte d’Occitanie est pour le moment assez compréhensive. Mais on ne sait pas, par la suite, quels seront les justificatifs demandés ! Par exemple, on nous annonce maintenant que le manque de moyens sanitaires peut être un motif de demande d’activité partielle ; mais cela va être très compliqué pour le chef d’entreprise de prouver que pour tel ou tel chantier, les mesures de sécurité sanitaire n’ont pas pu être mises en place ». À commencer par les masques : « personne n’en a, d’autant qu’au début, des entreprises du BTP en ont donné aux personnels hospitaliers qui en avaient plus besoin… » Moralité : « aujourd’hui, c’est le grand flou artistique, et il y a une grande inquiétude quant à la reprise ».

*L’U2P réunit cinq organisations qui représentent ces catégories d’entreprises : la Capeb (bâtiment), la CGAD (alimentation et hôtellerie restauration), la CNAMS (fabrication et services), l’UNAPL (professions libérales), et la CNATP (travaux publics et paysage) en tant que membre associé.