« La vraie question à se poser concerne l’avenir du PGE »

Tandis que la pandémie a douché l’enthousiasme les chefs d’entreprise et a ralenti la bonne progression des indicateurs économiques de 2019 et de début 2020, la rentrée post- Covid s’annonce pleine d’incertitudes et de défis. Explications de Philippe Coulonges, président du conseil régional de l’Ordre des experts-comptables de Toulouse Midi-Pyrénées.

Comment les experts-comptables s’adaptent à cette rentrée un peu chancelante ?

Nous cherchons déjà, comme tous les autres chefs d’entreprise à optimiser nos organisations pour conserver une haute qualité de services tout en maintenant en sécurité nos équipes.

Ensuite, nous analysons avec nos clients au cas par cas leur situation pour les aider à résoudre l’ensemble de leurs problématiques. Nous planchons actuellement sur de nombreux arrêtés comptables afin de chiffrer l’impact de la période de confinement et d’aller chercher si besoin, un PGE complémentaire, d’ajuster des mesures sur l’activité partielle, etc. L’objectif est de savoir si l’entreprise a une trésorerie suffisante pour tenir. Si ce n’est pas le cas, nous devons envisager avec notre client de mettre en place une procédure de sauvegarde, voire de redressement judiciaire. Malheureusement, nous avons déjà commencé.

Nous faisons également en sorte de maîtriser l’ensemble des dispositifs pour pouvoir les présenter à nos clients et leur en faire profiter. L’actualité récente porte, par exemple, sur les aides à l’embauche de jeunes de moins de 26 ans ou sur l’apprentissage. C’est un sujet qui est crucial d’aborder, parmi d’autres, pour répondre aux enjeux de la relance économique.

Nous préparons, en parallèle, de nouvelles demandes de PGE pour financer la relance des entreprises bénéficiant d’une reprise. En effet, la reprise d’activité s’accompagne de décalages temporaires de trésorerie qui dégradent le besoin en fonds de roulement (BFR). Le but de la démarche de demande complémentaire de PGE est de limiter les effets de cette dégradation du BFR. Le PGE représente légalement une enveloppe maximale de 25 % du CA. La stratégie a été, dans un premier temps, de prioriser une première demande pour financer la perte liée à l’arrêt d’activité, et de conserver une enveloppe disponible pour amorcer la relance. Nous en sommes à cette deuxième phase pour un certain nombre de nos clients. Le temps presse car, en l’état des textes, le recours au PGE se termine le 31 décembre.

Quel est le devenir du PGE et qu’en est-il des remboursements ?

Concernant le rembourse- ment, il y a deux façons possibles : soit un remboursement qui s’effectue au bout de 12 mois soit à la date d’anniversaire des 12 mois, étalé sur une période de cinq ans.

Toute la problématique relève de la capacité de rembourser sur cette période de cinq ans. La vraie question à se poser concerne ainsi l’avenir du PGE. Aujourd’hui, un plan de remboursement en cinq ans suppose que l’entreprise doit avoir une rentabilité de 20 % par an, un objectif qui est, en général, inatteignable.

Le remboursement du PGE empiète également sur la capacité de remboursement des autres emprunts souscrits par une entreprise en vue de se développer. Ainsi, il faut chercher toutes les bonnes solutions pour permettre le remboursement du PGE à plus long terme que la période initialement prévue. Certains acteurs évoquent la transformation de ces emprunts en prêt participatif, à savoir un prêt inscrit en haut de bilan permettant de renforcer les fonds propres. L’inconvénient de ce dispositif peut être son coût car généralement les taux d’intérêts des prêts participatifs sont élevés. L’efficacité de cette mesure dépendra en grande partie du taux d’intérêt qui sera appliqué par les banques. On pourrait envisager une autre piste impliquant l’entrée dans le capital d’entreprises sous-capitalisées, mais stratégiques, par des établissements à capitaux publics ou privés tels que la banque des territoires ou l’IRDI pour l’Occitanie. Les entreprises doivent cependant accepter d’intégrer de nouveaux partenaires dans leur capital.

Quels sont les enjeux de la rentrée ?

Le premier enjeu est d’organiser le fonctionnement des entreprises dans le respect des règles sanitaires en vigueur. Ces règles sont évolutives et pas toujours évidentes à mettre en œuvre. ll faut les expliquer pour que tout le monde puisse les accepter et donc les respecter.

Toutes les entreprises, y compris les nôtres, adaptent également leur management et leur organisation. Pour celles qui poursuivent le télétravail, elles font en sorte de passer d’une organisation subie, mise en place dans l’urgence, à un mode de travail organisé et efficient.

Pour les entreprises qui ont eu recours de façon significative à l’activité partielle, organiser un retour à une activité « normale » nécessite beaucoup de dialogue social car c’est souvent source d’anxiété pour les salariés. Réussir cette remise en route est un des plus gros enjeux de la rentrée.

D’ailleurs, notre Université d’été, qui aura lieu le 23 et 24 septembre, abordera notamment l’accompagnement des entreprises dans un contexte économique difficile, et l’impact de la crise du Covid-19 sur les organisations du travail. Outre l’aspect économique, les entreprises vont devoir intégrer les changements et revisiter leurs repères managériaux. Des questions subsistent : comment faire vivre un esprit d’équipe avec le télétravail ? Comment s’assurer que les collaborateurs aient le droit à la déconnexion, lorsque la frontière entre la vie professionnelle et personnelle est très mince ? Comment garder l’équilibre d’une équipe avec ce nouveau mode de travail ? etc. Nous travaillons sur ces sujets de réflexion en interne et en externe.

Quelles sont les principales problématiques qui émanent des entreprises ?

Pour définir des problématiques générales, il convient dans un premier temps de scinder les entreprises en deux catégories : celles qui ont repris leur activité, et celles qui ne peuvent toujours pas reprendre, ou de façon très dégradée. Pour le premier groupe, l’heure est à la réorganisation, la relance, et au financement. Pour le second groupe, il convient toujours de continuer à mettre en œuvre des mesures de sauvegarde de l’emploi et in fine des entreprises elles-mêmes. Le chômage partiel de longue durée est un élément de réponse mais ne suffit pas. Le plan de relance a donc été d’autant plus attendu par ces entreprises.

Votre rôle est aussi de faire de la prévention sur les difficultés des entreprises. Qu’en est-il ?

La prévention des difficultés des entreprises est effectivement une des préoccupations majeures de l’ensemble des acteurs économiques. J’ai co-animé avec Christian Bastide, président honoraire du Tribunal de commerce de Toulouse, un webinaire le 9 Juillet sur le thème du mandat ad’hoc et de la conciliation. Cette réunion a mobilisé une centaine d’experts-comptables, ce qui démontre notre mobilisation pour la sauvegarde de nos clients. Cependant, de nombreux experts-comptables méconnaissent ce dispositif. Les entreprises qui connaissent un début de difficulté peuvent solliciter l’aide d’un tiers afin de négocier avec les créanciers de manière confidentielle. C’est un sujet sur lequel je planche car le nombre des mandataires ad’hoc, une vingtaine sur l’ensemble de l’Occitanie, est insuffisant. Si nous voulons éviter un goulot d’étranglement, il faut augmenter le nombre d’intervenants et les diversifier.

Nous encourageons aussi les chefs d’entreprise à réaliser un auto-diagnostic sur le site du CIP national qui propose un outil d’aide au diagnostic pour les entreprises en difficulté. Cet auto-diagnostic peut aider un entrepreneur à prendre conscience de sa situation le plus tôt possible, et ainsi maximiser ses chances de redressement en mettant en place toutes les mesures de prévention dont il peut bénéficier. Le CIP de la Haute-Garonne, qui réunit les juges honoraires du tribunal de commerce, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, l’Ordre des avocats, la chambre des métiers et de l’artisanat, la chambre de commerce et d’industrie et l’Ordre des experts-comptables, est une association dont l’objectif est de donner des informations aux chefs d’entreprise sur les différents dispositifs de prévention des difficultés. Ce service est par ailleurs gratuit. Nous sommes également un relais pour aiguiller sur ces sujets. Actuellement, tous les acteurs se mobilisent de manière plus individuelle et désordonnée. Nous souhaitons une démarche plus collective. Le CIP peut ainsi permettre de collecter l’ensemble des informations et de les uniformiser.

Que pensez vous des contrôles concernant les demandes du chômage partiel ?

Je regrette que la campagne de contrôles se soit réalisée dans un lapse de temps si court et que la palette des entreprises contrôlées n’a pas été restreinte aux entreprises nouvellement créées, ce qui est souvent lié à une fraude. Rien ne sert d’effectuer les contrôles si rapidement alors que les entreprises n’ont pas les moyens d’effacer les preuves de fraude. Ce sujet a épuisé nos équipes déjà fortement mobilisées sur d’autres problématiques, surtout que le portail de la Direccte a connu de nombreux dysfonctionnements, ce qui a retardé l’acceptation des dossiers, leur prise en charge, les remboursements, etc.

Que pensez-vous du plan de relance ?

Ce plan est extrêmement important au niveau des sommes annoncées. Les grandes orientations me paraissent intéressantes et de nature à aider de très nombreuses entreprises et surtout à sauvegarder beaucoup d’emplois.

À condition que sa mise en œuvre soit rapide et simple. Et je voudrais conclure en rappelant que nous sommes tous des acteurs de la relance en tant que consommateurs. Il faut absolument consommer, et idéalement des produits, des biens et des services locaux.