La ville, entre constats et utopies

(Photo : Benjamin Busson)

Après avoir rapproché les hommes, la ville va-t-elle les séparer ?

La ville est, depuis la nuit des temps, l’espace des pouvoirs, de l’économie, du savoir et par conséquent des confrontations sociales. La ville est un corps vivant s’adaptant, sans cesse, à son environnement politique, économique et géographique. La ville a toujours repoussé ses limites géographiques parce qu’attirant plus d’habitants. Cet effet centrifuge des campagnes vers les villes est toujours d’actualité.

Entre la ville du moyen-âge, derrière ses remparts, celle de la révolution industrielle, hors les murs abattus, avec ses faubourgs et celle d’aujourd’hui, avec ses banlieues, nous sommes toujours dans la même dynamique. Cela est d’autant plus étonnant que créée sur la ville gallo-romaine, définie non pas par ses limites mais par ses axes, la ville du XXIème siècle va, sans doute, rejoindre sa lointaine génitrice au demeurant, structurée par ses axes de mobilité.

Les villes et leur métropolisation, pour les plus grandes, sont devenues un phénomène mondial. Les pays sont obligés d’intégrer ce phénomène dans leur aménagement du territoire. La ville/métropole devenant, suivant les pays, une entité politique dont le pouvoir central doit tenir compte.

En France, la loi NOTRe de 2015 donne un cadre institutionnel aux métropoles, une dimension et la nécessaire solidarité entre ces métropoles et leurs zones rurales.

Si nous faisons une digression à ce sujet, nous constatons que la jauge de 400 000 habitants, dans un seul bassin d’emplois, a fait déjà l’objet d’exceptions, dans notre région, Metz et Nancy qui, par dérogation politique, sont devenues métropoles.

Quant à la solidarité entre ville et campagne, elle est toujours à créer !

Nous sommes précisément là devant ce que d’aucun pourrait analyser comme le mal Français, c’est-à-dire un point de départ juste et l’incapacité à porter dans le temps et dans les faits la loi. C’est d’autant plus regrettable que les gilets jaunes première époque ne disaient rien d’autre.

L’éloignement comme source de discrimination sociale par l’absence d’accès aux soins, aux services, à l’emploi, aux transports. A noter d’ailleurs que la France des ronds- points est celle des campagnes et non pas celle des banlieues.
Cette crise est plutôt une crise d’organisation territoriale, qu’une crise des villes. Villes qui restent le lieu des manifestations contre les pouvoirs.

Revenons à notre sujet.

Nous pouvons accepter le postulat de base où la ville sépare les hommes, cette acceptation passe par plusieurs constats :

– le premier constat est, sans aucun doute, la gentrification des centres villes. La ville comme entité géographique était le lieu d’une mixité sociale au moins spatiale, cette mixité tend à disparaitre du fait du prix des fonciers, loyers repoussant toujours plus loin les plus pauvres,

– le deuxième constat est la perte économique des centres-villes au profit de ses périphéries, notamment sur le commerce. Difficile donc de réunir ce qui est épars géographiquement et segmenté sociologiquement,

– le troisième constat est que la ville nécessite des usages, des modes culturels, des connaissances qui ne sont pas accessibles au plus grand nombre. L’information, la culture, le pouvoir sont subit et ne sont pas lieux de partage et d’échange. La ville peut séparer les hommes parce que ne s’adressant pas à tous mais par fragmentation, zones fonctionnelles, économiques et sociales,

– le quatrième constat est la mobilité. On peut observer une forme de tension entre l’univers mobile des uns, essentiellement urbains des centres villes, et les horizons immobiles des autres, de la périphérie des villes, des espaces ruraux. Une partie de la population vit dans un espace-temps étriqué alors que les autres expérimentent des formes de mobilité extrêmement multiples. L’offre de mode de transport public variée est une forme de réponse mais liée à la capacité culturelle à envisager un environnement à grande échelle,

– le cinquième constat est que les villes sont devenues des espaces de confrontations, de violences. De tous temps, il y a délinquance où il y a des richesses, il y a manifestations où siège le pouvoir. Mais aujourd’hui, nous constatons la confrontation entre l’échelle du Grand Territoire et celle de la ville, le meilleur exemple est celui du commerce, où le commerce de centre-ville est tué par le commerce périphérique qui lui-même est tué par l’e-commerce international. Télescopage d’échelles et d’intérêts divergents, la ville n’est plus dans un rapport d’échelle binaire, ville/campagne mais dans un rapport espace/temps mondialisé extrêmement violent.

– Le sixième constat, et peut-être le plus important, est que les villes sont le lieu d’accumulation des pollutions, du réchauffement climatique. Pollutions atmosphériques liées aux véhicules, aux modes de chauffage des habitations, aux activités. Réchauffement dû à la concentration urbaine, à l’absence de perméabilité des sols, d’espaces verts en quantité insuffisante pour absorber le dioxyde de carbone émis.

Artificialisation des sols, facilitant les inondations, la liste des contraintes subies par les urbains est malheureusement très longue, pour autant, ces pollutions concernent l’ensemble des habitants sans discrimination. Ce qui peut les séparer, sans aucun doute, est la prise de conscience du phénomène qui, sans être devin, va se cristalliser de plus en plus sur les villes, si la question n’est pas réellement prise en compte par le monde politique.

– Le septième constat, la ville européenne porte l’histoire de la cité, la genèse étant l’adéquation entre l’espace public grec et l’administration démocratique de la cité. Les différents pouvoirs se sont glissés dans ce modèle, depuis, royautés, républiques, ont utilisé ce substrat avec beaucoup de facilité et d’aisance. La ville de la deuxième partie du 20ème siècle voit son modèle mis à mal, attaquée par deux angles, externalisation de l’activité commerciale économique en périphérie de ville, création d’espaces communautaires mettant en péril le modèle républicain et laïque.

– Le huitième constat, les urbains ne sont pas égaux devant les questions liées à la mobilité. Dans les métropoles, les grandes villes, les mobilités sont des questions fondamentales, la distance entre le domicile et le travail, l’accès aux services publics sont totalement inégalitaires suivant son lieu de résidence. L’incapacité à diluer l’activité dans le tissu urbain oblige les collectivités à organiser des mobilités elles-mêmes écartelées entre impact écologique, discriminations sociales et culturelles. L’unité de temps et d’espace de la ville historique a explosé dans la ville post-moderne.

– Le neuvième constat, la ville sera- t-elle la victime des réseaux sociaux ? La ville suppose de vivre ensemble l’expérience de l’espace public. Les Urbanistes/Architectes parlent d’une pièce urbaine lorsqu’ils parlent d’une place. Pièce dans le sens d’un espace définit où se jouera une représentation, celle de la vie sociale, de la vie urbaine, de la vie politique de la cité. Cela suppose un certain nombre de pré-requis, d’être présent, c’est-à-dire d’avoir la conscience que l’espace, le temps partagé fait sens collectivement, symboliquement. Cela suppose que le « je » du réseau social, ait la modestie de s’effacer devant le « nous » de l’espace public.

Rien de moins sûr, l’éducation de la citoyenneté, du collectif, du vivre ensemble, étant modérés par le réseau social qui flatte l’égo, donnant à chacun son propre reflet dans le miroir.

Cette prédominance de l’individu sur l’intérêt général va à l’encontre de l’idée même de « cité », du vivre ensemble.

L’ensemble de ces constats tend à démontrer que la ville a séparé les hommes.

Les hommes n’habitent plus la ville en prenant le sens que Paul RICOEUR, dans sa préface à l’ouvrage de Hannah ARENDT « Condition de l’homme moderne », a rappelé à propos de l’acte d’habiter, que « c’est cet acte qui, en dernier ressort, trace la ligne qui sépare la consommation de l’usage », l’usage devant être entendu, dans ce sens, comme ce qui transcende l’utile par la durée.

Cette transcendance collective de l’utile pour faire société, urbanité va-t-elle imploser au XXIe siècle ?

Nous vous proposons d’élever notre pensée au-dessus des contingences quotidiennes et, à l’instar d’Emmanuel LEVINAS, ouvrir des utopies collectives et positives.

UTOPIE NUMÉRO 1

Urbains, habitants de ville, nous partageons une conscience collective, celle de la nécessaire solidarité à l’égard de notre bassin de vie. Nous partageons avec notre territoire d’influence les devoirs et droits de la ville centre. Les frais inhérents à la centralité sont partagés par tous, à ce titre, nous devons assurer la totalité des services publics pour l’ensemble des habitants du bassin de vie, quelles que soient leurs distances de résidences par rapport au centre-ville.

Les mobilités, réseaux sont un enjeu majeur quel que soit sa situation géographique, ils doivent permettre un accès à l’ensemble des services physiques et numériques de la ville centre. Cette solidarité territoriale, ce sens de l’intérêt général, passe également par un sens du partage avec les autres villes avoisinantes. Plutôt que d’entretenir une compétition stérile qui coûte aux finances publiques, nous partageons les ressources, les moyens, les mutualisations pour réaliser une stricte gestion, la ville nous réunit dans cette ambition, de partage, de valeurs communes, qui transcendent le simple usage fonctionnel pour atteindre une forme de fraternité.

UTOPIE NUMÉRO 2

Le réchauffement climatique n’est pas seulement vu comme un phantasme, mais une réalité. Conscients de nos obligations à l’égard des générations futures, nous décidons d’agir individuellement et collectivement. Nous devenons, à l’instar de NIETZSCHE, le légiféré et le législateur de notre propre action morale.

Citoyens engagés dans la préservation de notre patrimoine vivant, naturel, écologique, nous le sommes également dans l’action, commune, politique, économique.

Les conclusions du GIEC, sur le plan international, la condamnation de la France avec cinq pays de la Communauté Européenne pour la mauvaise qualité de notre air, les études sur la région Hauts de France et Grand Est comme régions ayant le plus de cancer du poumon et de maladies chroniques des voies supérieures, enfin, le classement de Reims, 9ème ville la plus polluée de France et le rappel du gouvernement à ce propos, sont autant d’éléments qui nous imposent de changer de comportement.

Les très raisonnables conclusions du GIEC annoncent +2°C à la fin du siècle, soit une élévation de 56 cm des océans, ce qui signifie qu’en cas de rupture de digue, de dune, c’est 70 % de la Camargue qui sera inondée ainsi que l’ensemble des côtes françaises dans la même situation et que dire de la péninsule du Bengladesh et ses 150 millions d’habitants…

Cette augmentation des températures a d’ores et déjà des conséquences sur l’inondation continentale, sur les feux de forêts, sur l’appauvrissement de la biodiversité, sur l’extinction de certaines espèces animales sur la situation des plages.

Reliés à notre situation environnementale précédemment décrite, nous ne pouvons que nous inquiéter.

La citoyenneté, la responsabilité, notre conscience nous disent qu’il faut maintenant changer nos comportements individuels.

Que sommes-nous prêts à faire pour notre environnement territorial, individuellement ?

– à moins ou ne plus utiliser la voiture pour ceux pour qui ce n’est pas vital,
– à réduire notre vitesse,
– à utiliser les transports en communs,
– à militer pour avoir plus de transports en communs, transports décarbonés,
– à partager notre véhicule,
– à envisager la ville non plus comme un champ de développement mais comme un lieu où tous les équipements, l’urbanisation doivent être articulés aux transports en communs et mobilités existants et où la population générée sera en adéquation avec le dimensionnement de ces derniers,
– favoriser une économie circulaire moins consommatrice de carbone, les communes, les entreprises, les services de proximité fabriquant des écosystèmes,
– consommer bio et local par préoccupation de santé, également pour influencer depuis la consommation les formes d’agriculture et de viticulture.

Collectivement, par nos actions individuelles, par nos votes, nous pouvons engager une gestion durable de la ville.

Collectivement, nos édiles s’engagent résolument dans la transition écologique.

Pour des raisons de santé publique, nous limitons l’usage de la voiture dans la cité, pour les mêmes raisons, nous organisons le « dernier kilomètre », celui de l’accès à l’emploi, aux services publics, pour qu’il soit dévolu aux modes de transports doux.

Nous organisons une mobilité flexible adaptable à un chrono-urbanisme, c’est-à-dire un urbanisme adapté aux temporalités de la ville. Les transports en communs sont vertueux, moins générateur d’émission de CO2.

Nous construisons une ville qui s’abstient de toute nouvelle forme d’artificialisation des sols, de façon à reconstituer les nappes phréatiques, à retrouver une biodiversité.

Pour éviter l’élévation des températures de l’espace urbain, nous introduisons la nature en ville et évitons de trop minéraliser cette dernière.

Nous construisons avec des matériaux bio-sourcés des habitations peu consommatrices d’énergies, ces dernières étant vertueuses.

UTOPIE NUMÉRO 3

Le vivre ensemble n’est plus incantation mais une volonté. Collectivement, nous habitons la ville, c’est-à-dire, que nous partageons les valeurs induites par cette dernière, à minima, celles de la République, liberté, égalité, fraternité.

Cette transcendance des usages vers les partages d’idéaux communs nécessite une conscience de la ville qui reste à théoriser.

Le constat de nos différences ne conduit pas à un repli, à la ghettoïsation spatiale mais à l’acceptation de l’autre, à la volonté de partager ensemble notre espace public. La ville, synonyme d’élévation morale, culturelle, intellectuelle, est ouverte à tous ceux qui le souhaitent.

UTOPIES RÉALISTES ?

A l’instar de Rutger BREGMAN qui a écrit un ouvrage anti-décliniste ou de Yona FRIEDMAN dans « Utopies réalisables ».

Les utopies ne sont pas seulement un projet d’organisation politique sans fondement puisque basées sur des nécessités sociétales, écologiques.

La ville d’aujourd’hui est l’aboutissement d’utopies d’hier, la ville de demain devra permettre l’éclosion des utopies d’aujourd’hui. Nous pouvons faire confiance à ce corps vivant qui a su, en permanence, se renouveler, s’adapter.

La ville numérique, de la mutualisation, du partage, respectueuse écologiquement des femmes et des hommes qui y vivent, qui saura réinventer d’autres pratiques, d’autres usages, d’autres valeurs est l’affaire de tous, ici et demain.

Nous pouvons nous faire confiance, poussés toutefois par la nécessité, pour que les villes de demain continent à rapprocher les hommes à l’aube des défis qui les attendent.

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