Mélanie Tisné-VersaillesLa vie en bleu

Mélanie Tisné-Versailles

Après une expérience dans le marketing à Londres et en Italie, elle a cofondé Urban Challenge en 2010, leader du sport en plein air en France. En 2019, elle a créé avec 27 autres associés, Lune Bleue au cœur de la Ville rose qui défend l’économie et l’alimentation locale et œuvre pour le modèle coopératif.

Petite, elle ne rêvait pas d’être professeur comme sa mère ou électricien dans l’aéronautique comme son père, mais chef d’entreprise. « Je dessinais toutes mes idées, je faisais des maquettes, et j’avais des rendez-vous imaginaires avec des clients ! » se souvient-elle. Rêve qu’elle réalise à 27 ans avec la création d’Urban Challenge dans la capitale, un pari loin d’être gagné d’avance, et aujourd’hui en tant que cofondatrice de Lune Bleue, aux côtés de 27 autres associés, une Société coopérative d’intérêt collectif créée en 2019 qui promeut et accompagne les entreprises dans le domaine de l’alimentation afin de défendre les valeurs du local et du territoire. Lune Bleue n’est ni un bureau traditionnel, ni un tiers lieu, mais un espace de vie et de travail qui rassemble un studio de création qui accompagne une quinzaine d’entreprises, un laboratoire de transition (conférences, etc.) et une auberge de quartier dans laquelle est expérimentée une restauration équitable labélisée Écotable. « Le projet est issu d’une prise de conscience collective. Dans un monde où croître indéfiniment ne fonctionne plus sans prendre conscience qu’une autre économie est possible et de la nécessité d’une transition écologique, il est devenu primordial d’aider les petites entreprises locales. Nous ne voulions pas tomber dans le green-washing, ni dans une utopie, explique Mélanie Tisné-Versailles, à la tête du projet. Lune Bleue n’a pas vocation d’être, par exemple, une entreprise qui accompagne les politiques de RSE car pour le collectif cela ne veut rien dire. Nous avons revu notre copie et décidé d’opter pour un domaine où nous pouvons avoir un impact en permettant à nos partenaires d’être plus visibles, attractifs et efficaces face à de gros concurrents et de redonner envie aux citoyens, communautés et entreprises de consommer local et au juste prix ». Une entreprise qui a du sens pour cette trentenaire qui sert de fil rouge entre les projets au sein d’un cercle exécutif tricéphale (avec Laurent Carbonnaux et Thomas Guillaumot sur la photo). Une expérience à l’opposé de ce qu’elle a connu.

Diplômée d’un master en management de l’innovation de Toulouse School of Management, cette Toulousaine, qui, en parallèle de ses études, se frotte à l’endurance en tant que serveuse par besoin d’indépendance, pose ses valises en Angleterre comme jeune fille au pair, avant de décrocher un poste à responsabilité pour la marque L’Oréal Professionnel où elle devient chef de projet marketing, après un passage éclair chez Ici Londres. La jeune femme y cultive la rigueur où « rien ne devait dépasser et où le droit à l’erreur n’était pas admis » et côtoie le milieu entrepreneurial, entourée de coiffeurs indépendants. « C’était une superbe école en termes de marketing, rigueur et créativité. Aussi, pour lancer des promotions, je me rendais une fois par mois dans une région d’Irlande, d’Angleterre ou d’Écosse, ce qui m’a fait voyager et rencontrer des coiffeurs entrepreneurs. C’est à leur côté, que j’ai renforcé ma passion pour l’entrepreneuriat, milieu empli de contradictions, entre le bonheur d’être à son compte et les difficultés du quotidien ou des crises à surmonter, dont par exemple la faillite retentissante de Lehman Brothers en 2008 ».

Au bout de deux ans et demi, chassée par un designer de marchandising italien qui collaborait avec L’Oréal, et lassée de ne pas faire la différence dans un projet où « tout est mené par une grosse machine », elle s’envole pour une petite bourgade à une heure de Milan. Une expérience furtive, bien plus difficile que ce qu’elle imaginait, pour laquelle elle n’aura pas le temps de laisser une trace. « Même si j’adore l’Italie, j’étais isolée et la culture d’entreprise était trop différente par rapport à Londres. Bien que le président m’ait appris beaucoup de choses, il était néanmoins patriarcal et voulait tout contrôler, ce qui de ce fait n’était pas représentatif du fonctionnement des TPE. », précise-t-elle.

Elle tourne ainsi les talons, avec un concept en tête et rejoint son futur associé en 2010 à Paris pour créer Urban Challenge, une entreprise devenue leader du sport en plein air en France, mais accueilli au départ avec scepticisme. « À Londres, nous avons eu une idée que nous n’avons pas abandonnée, qui faisait fureur en Angleterre et ailleurs. Nous avions constaté qu’en France les citadins fréquentaient les salles de sports offrant beaucoup de services, mais sans cohésion d’équipe. De leur côté, nombre d’associations proposent des sports collectifs en extérieur mais avec un volume horaire restreint. L’objectif était de proposer un autre credo avec du dépassement de soi et du collectif, à l’instar des cours Be Military Fit que j’ai suivis à Londres avec bonheur à six heures du matin avant d’aller travailler, explique-t-elle. Cependant la méthode sportive et l’encadrement militaire n’étaient pas appropriés à la France. Nous avons donc visé les sapeurs-pompiers de Paris et des athlètes de haut niveau pour coacher les participants ». Avec une palette de plus de 80 heures de cours collectifs par semaine, la structure a ainsi conquis les sportifs amateurs, une trentaine d’entreprises adhérentes, et la mairie de Paris, jusqu’à devenir l’entraîneur officiel du Marathon de Paris et d’autres courses réputées en France et en Europe. Rapidement, l’entreprise étoffe son offre de service avec deux autres marques : Urban Running et Urban Event, avec une ouverture à Lyon et un essai à Toulouse. « Les coureurs inscrits au Marathon étaient encadrés par des marathoniens professionnels pour les entraînements, avec des conseils sur les équipements, la nutrition, etc. Un vrai succès et un challenge pour moi. À 28 ans, j’encadrais près de 80 sapeurs-pompiers et athlètes dont certains préparaient les Jeux Olympiques. Je n’avais auparavant jamais géré d’équipe », souligne la jeune femme qui devient maman en 2014 et décide de « lâcher » son autre bébé et son associé. « Entre le management, le recrutement, le marketing, la logistique, le terrain, c’était devenu trop prenant ».

Quittant l’esprit décalé d’Urban Challenge et une famille, elle prend un nouveau départ pour Toulouse, soutenue par son mari lui-même « impliqué dans l’entreprise ». Elle rejoint alors l’équipe d’Ekito, un techstudio pour start-up et grands groupes afin de piloter le programme d’accélération pendant trois ans. Elle se spécialise en innovation territoriale dans l’accompagnement des communautés de commune ou d’agglomérations, notamment dans l’aménagement de tiers lieu. « Ce sont des espaces qui me fascinent et permettent des rencontres improbables entre personnes de secteurs différents qui ne sont pas vouées à se croiser, ainsi que de lutter contre la désertification rurale », pointe-t-elle. Après des projets tel qu’un laboratoire d’innovation rurale dans le Gers, ou encore des tiers lieux en Picardie et à Toulouse toujours en cours, d’organisation d’événements en Corse pour réunir des entrepreneurs, des résidences de start-up, etc. Mélanie Tisné-Versailles continue de nourrir son appétence pour le milieu entrepreneurial en transmettant son savoir à des porteurs de projet. Alors que l’accélérateur de start-up est placé en liquidation judiciaire en 2018 et qu’elle donne naissance à son deuxième enfant, la trentenaire planche déjà sur un autre projet. «J’en ai parlé pendant un déjeuner, et tous les convives m’ont suivi dans cette nouvelle aventure. Enceinte, je voulais agir pour ne pas laisser un monde catastrophique à mes enfants, et agir au lieu de rester dans l’immobilisme, pour le monde de demain. De plus, tous les programmes d’aides sont particulièrement destinés aux start-up qui ont les moyens de grandir vite, à l’inverse des TPE-PME souvent délaissées alors qu’elles constituent aussi l’économie de demain, l’économie locale. » Aujourd’hui, développeurs en informatique, designers, artistes, compositeur de musique, chef cuisinier, entrepreneurs, chercheurs, etc. œuvrent avec Lune Bleue pour que collectivités et entreprises dans le secteur de l’alimentation repensent leur modèle, en vue également d’une meilleure transition écologique. « Aujourd’hui, cinq sociétés multinationales régissent 80 % de l’alimentation mondiale ; on a perdu un quart de nos agriculteurs en 15 ans. L’alimentation résiliente a d’autant plus d’intérêt dans cette période post-Covid-19 car on a une extrême dépendance par rapport à l’alimentation et qu’il faut revenir au local. D’ailleurs, parmi nos projets, nous prévoyons d’ici septembre de mettre en place un marché d’alimentation résiliant qui promeut le travail des producteurs en collaboration avec les Halles de la Cartoucherie. À côté, nous accompagnons le secteur de l’alimentation, de la production, à la transformation, en passant par les transports, la logistique, la transformation digitale, ou des projets artistiques telle qu’une ruche immersive au Musée du Nougat à Montélimar », détaille l’associée.

La Lune Bleue qui compte se renforcer avant d’ouvrir son capital détonne jusqu’au cœur de sa gouvernance en optant pour l’holacracie. « Nous fonctionnons en cercles de décision et pas en mode projet : une personne égale une voix. Aussi, je suis pleine d’espoir face à ce qu’on vient de vivre. On parle du monde d’après, mais ça ne veut pas dire grand-chose. Par contre, il y a des manières d’entreprendre plus vertueuses que le mode start-up. C’est le moment de remettre en question la manière d’entreprendre, de travailler, de consommer, de créer une entreprise, avec des modèles économiques plus malins. Au départ, j’avais moi-même une vision tronquée du modèle coopératif, et j’ai découvert un modèle sain. En France la communication est limitée sur cette possibilité. Cependant, la nouvelle génération s’en empare, et c’est encourageant », conclut l’entrepreneuse qui intervient également dans les universités.

Parcours

1983 Naissance à Juvisy
2006 Master en management de l'Innovation à Toulouse. Départ pour Londres en tant jeune fille au pair pendant huit mois puis devient chef de projet marketing chez L’Oréal.
2009 Rejoint l’entreprise Elveca en Italie
2010 Cofonde Urban Challenge et vends toutes ses parts en juin 2017
2015 Rejoint Ekito
Février 2019 Crée Lune Bleue avec 27 autres associés