La terre, outil de travail et valeur refuge

FDSEA 08

Les membres de la FDSEA 08 ainsi qu'acteurs de l'agriculture et élus se sont retrouvés lors de l'assemblée générale du syndicat.

Lors de leur assemblée générale, les agriculteurs de la FDSEA 08 ont décidé de s’attaquer à un sujet jugé tabou, le foncier. Professionnels et élus locaux ont débattu des enjeux mais aussi des difficultés de l’accession à la propriété dans un contexte tendu.

Alors que les agriculteurs maintiennent la pression sur le Gouvernement, dans le cadre des accords de libre échange du CETA et de la loi Egalim concernant l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole ainsi que la nécessité d’une alimentation saine et durable, ceux des Ardennes se sont posé la question polémique de l’accession au foncier. Polémique car aujourd’hui, « un agriculteur ne peut plus acquérir de la terre et dans le même temps mener une exploitation, acheter du matériel, construire ou agrandir des bâtiments et développer son activité », livre Benoît Gatinois, responsable de la section des fermiers et des questions en charge du foncier à la FDSEA 08.

En 20 ans, le prix moyen à l’achat a doublé passant de 3 160 €/ha à 6 530 €/ha. Suivant les régions naturelles, cette augmentation est de 73 à 165%. « En zone Nord Ardenne c’est à dire les crêtes pré-ardennaises, la Thiérache, le prix à l’hectare se situe entre 5 et 6 000 euros. En zone Sud Champagne, en revanche, on est plutôt entre 10 et 15 000 euros de l’hectare à l’achat. »

Pourquoi une telle envolée des prix ? « Aujourd’hui, le foncier est devenu un placement, un investissement. L’instabilité de la conjoncture économique avec la crise des années 2000 puis celle des subprimes 15 ans après a poussé les propriétaires à se tourner vers des valeurs refuges, et la terre en est une. C’est un moyen de diversifier son patrimoine », relève Benoît Gatinois. Or si les prix s’envolent, ce ne sont pas les exploitants qui louent qui peuvent racheter. « Il y a 20 ans, il fallait 10 années de résultats pour faire face à l’achat d’un hectare, aujourd’hui, c’est 25, 30 ou 50 ans suivant le niveau de résultat que l’on prend en référence. »

UNE NÉCESSAIRE RÉGULATION DES TRANSACTIONS

La rareté des biens explique aussi l’envolée des prix, avec moins de 1% de surface agricole utile (SAU) vendue tous les ans. Le prix du foncier est le fruit d’un marché. Et pour que ce dernier ne s’envole pas mais garde un prix accessible, la Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) exerce un rôle régulateur. « La Safer est une société anonyme à but non lucratif dont les missions sont confiées par l’État. Tous les dossiers qui passent à la Safer sont étudiés par trois collèges différents. Cet organisme reste un outil au service des politiques publiques, il ne fait pas d’opération pour lui-même », insiste Thierry Bussy, vice-président délégué de la Safer Grand Est. « On est le gendarme du foncier », résume-t-il. Si Benoît Gatinois reconnaît le rôle régulateur de la Safer, il trouve cependant que l’organisme ne va pas assez loin.

« La Safer devrait favoriser l’installation des jeunes, cela fait partie de ses missions historiques. Quand il y avait des abus, avant elle faisait usage de son droit de préemption, qui consistait à intervenir quand les prix étaient trop élevés ; aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas », regrette l’agriculteur.

70% DES EXPLOITANTS LOCATAIRES

C’est pourquoi, la politique du syndicat est d’encourager les propriétaires à le rester. Ainsi, lorsqu’un exploitant ne peut pas accéder au foncier, il doit faire appel à des capitaux extérieurs. C’est dans cette optique qu’ont été créés les groupements fonciers agricoles (GFA). « Ce sont des SCI portées par des apporteurs de capitaux privés, qui n’ont peut être pas beaucoup de moyens mais qui sont nombreux », indique Benoit Gatinois.

Et quand on sait que 70% des exploitants sont locataires, la question du foncier et de son accessibilité prend tout son sens. Alors pour qu’un exploitant ne perde pas la terre qu’il cultive si son propriétaire veut vendre, les solutions évoquées peuvent paraître radicales : « Il faut être généreux avec le propriétaire car il est soumis à des taxes foncières importantes, c’est pourquoi, personnellement, j’incite les locataires à prendre en charge la totalité des impôts fonciers au lieu des 30 % habituels. Il faut que les propriétaires soient encouragés à le rester. Et cette prise en charge des impôts est un moindre mal plutôt que de se retrouver ensuite avec une exploitation qui coule car le propriétaire a voulu vendre et que le locataire n’a pas pu racheter ce foncier. »

LE PACTE ARDENNE POUR FAVORISER L’INSTALLATION

« La question du foncier est non seulement une question économique mais aussi une question de société », souligne Thierry Huet, président de la FDSEA 08. « Car à chaque fois qu’on artificialise un hectare de terre agricole, c’est autant de biodiversité en moins. » Sans compter la forte pression de l’urbanisme. « Tous les 10 ans, en France, il y a l’équivalent d’un département qui disparaît en surface agricole », indique Thierry Huet. « Il faut bien se rendre compte, quand une ville agrandit une zone commerciale, elle construit un bâtiment, mais à celui-ci, il faut ajouter trois fois la surface de parking autour. En Allemagne ou en Belgique, ils privilégient les parkings à étages pour moins rogner sur les terres agricoles, on ferait bien de s’en inspirer. » Aujourd’hui, les surfaces agricoles sont notamment mobilisées pour accueillir des parcs d’énergies renouvelables, solaire ou éolien. Ces terres, si elles rapportent de l’argent, ne sont en revanche, plus valorisées pour l’agriculture. « Gardons la main, restons maître de l’avenir et de notre foncier », exhorte Thierry Huet.

Les élus représentants les institutions, Région ou État, allaient dans le sens de ce discours, en rappelant que le Pacte Ardennes par exemple a mis en place des outils pour « faciliter les échanges entre acteurs agr coles, en mettant en relation les voisins concernant la location de parcelles mais également en favorisant l’aménagement du foncier pour l’autonomie des élevages. »

Pascale Gaillot, vice présidente à la Région, en charge de la Délégation à la thématique Agriculture et Viticulture insiste pour sa part sur « les aménagements réalisés contre les inondations, les coulées de boue et la structuration concernant le captage d’eau. »

Autre point soulevé, par le sénateur des Ardennes, Benoit Huré, celui du circuit court, qui, « s’il est indispensable de le favoriser, ne doit pas faire oublier la part importante de notre agriculture dans les exportations. » Rappelant le contexte tendu au niveau des prix très compétitifs de la Russie et de l’Ukraine, qui ne comptent pas s’arrêter de produire, Benoit Huré a appelé à « une négociation multilatérale. On ne doit pas se contenter de négocier entre deux pays, tout cela se joue à une échelle beaucoup plus large. »

Les agriculteurs, notamment les jeunes, attendent donc des réponses fortes. « Il est primordial que chacun se sente engagé, nos métiers évoluent vite, il faut que nous évoluions avec. Sans foncier, il n’y a pas d’agriculteurs. Nous défendons l’agriculture aujourd’hui pour préparer celle de demain », souligne Guillaume Noizet, président des Jeunes Agriculteurs des Ardennes.

Thierry Bussy, vice-président de la Safer Grand Est rappelle le rôle de l'organisme.

Benoît Gatinois est agriculteur et en charge des questions sur le Foncier.