Les invités du club ForumEco ont débattu de l’impact de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) tant au niveau de la compétitivité que de l’image véhiculée chez les consommateurs, en présence de Jean-Claude Mailly, ancien secrétaire général FO.
Aujourd’hui, la RSE est « à la mode ». Les entreprises s’y intéressent de plus en plus. Le danger est cependant de ne s’y atteler que dans une optique « marketing » et non dans une véritable démarche vertueuse. « Pendant très longtemps, la RSE, c’était une politique de communication. Les choses sont en train d’évoluer, non pas par philanthropie, mais par le fait que les entreprises comprennent que demain leur compétitivité et leurs résultats seront aussi liés à leur comportement social et environnemental. Sans compter que les consommateurs vont de plus en plus juger les entreprises », estime Jean-Claude Mailly. Pour étayer son propos, il prend l’exemple de l’application Yuka, qui scanne et évalue les produits de grande consommation.
Membre du Think Thank Synopia, qui vise à améliorer l’efficacité et l’éthique des modèles, des pratiques et des stratégies de gouvernance, l’ancien secrétaire général de Force Ouvrière, révèle travailler sur la mise en place d’un label européen, fondé sur un partage des valeurs plus large que la RSE. « On travaille non seulement sur l’aspect matériel et financier mais aussi sur la mission de l’entreprise, comment on emmène l’équipe, sur quel type de projet et comment. »
PRISE DE CONSCIENCE SUITE AU DRAME DE RAZA PLANA
La question de la sous-traitance a aussi été abordée, notamment concernant l’électrochoc qu’ont vécu les grands groupes suite au drame de Raza Plana, du nom de l’immeuble abritant des sous-traitants de l’industrie du textile, qui s’est effondré provoquant la mort de plus de 1130 personnes, travaillant pour des entreprises telles que Mango ou Primark. « La RSE recouvre l’entreprise dans son éco-système tout entier, la relation avec les actionnaires, les salariés, les fournisseurs, les clients, les collectivités… » Aux Etats-Unis, cet été, une centaine de chefs d’entreprise ont créé une charte engageante, démontrant une prise de conscience à tous les niveaux. « Cette prise de conscience n’est pas de la philanthropie mais une nécessité économique », insiste Jean-Claude Mailly.
Se pose alors la question des obligations légales de la RSE : doit-on légiférer pour mettre un cadre précis à cette démarche avec des obligations à respecter ? Pour celui qui a aujourd’hui sont entreprise de conseil, « on a surtout besoin de stabilité juridique. En revanche, la loi votée en 2017 sur le devoir de vigilance des sociétés, qui vise à mieux prévenir les atteintes aux droits fondamentaux et à l’environnement, liées à l’activité des multinationales, est un élément intéressant. Et si réellement, en terme de climat social, de critères environnementaux, une entreprise qui se lance le fait sérieusement avec les parties prenantes, elle finira avec un développement plus important et une meilleure compétitivité. »
LA RSE : UN INVESTISSEMENT PLUS QU’UN COÛT
Ce à quoi abonde Pascal Rodrigues, directeur général de l’entreprise de nettoyage AG Net, qui dès les années 2000, a dans sa société mis en place une stratégie RSE avec l’utilisation de produits bio, la gestion du bilan carbone, l’acquisition de véhicules électriques ou encore la prise en compte du bien-être au travail, avec l’aménagement des horaires pour concilier vie familiale et professionnelle.
Pour autant, ces initiatives ne sont pas une évidence pour tous, et la réflexion si parfois se veut de bonne volonté, provoque l’effet inverse. Mélanie Faye, chargée de projet au cabinet Des Ressources et des hommes en donnait un exemple criant, citant une entreprise qui « a instauré une salle de repos avec trois murs en baie vitrée, dont un donnait directement sur le bureau du patron ».
Dans ce cas précis, les investissements se sont révélés contre-productifs. « La RSE commence avec le bon sens et le pragmatisme », relève Mélanie Faye. « L’économie doit être au service des hommes, le bien être au travail est incontournable pour la santé des dirigeants et des salariés », insiste Pascal Rodrigues. Si la mise en place d’une stratégie RSE peut, au premier abord, faire peur aux entreprises en raison des coûts à engager, Valérie Hauchart, spécialiste RSE au sein du cabinet de conseil Un pas pour demain, précise que cela doit être vu « comme un investissement et non comme un coût. »
La RSE, qui s’adresse en premier lieu aux entreprises, peut être considérée dans un cadre plus large, englobant les réflexions des collectivités, notamment en ce qui concerne la mobilité. « Un territoire peut mettre de la synergie pour encourager la RSE, avec la mise en place d’aides à la mobilité par exemple ou l’organisation de filières de traitement des déchets », souligne Thomas Dubois, directeur de l’URIOPSS Champagne Ardenne (Union Régionale Interfédérale des Œuvres et organismes Sanitaires et sociaux).
« Il faut moins cloisonner acteurs par acteurs, mais avancer ensemble », rebondit Jean-Claude Mailly. « En France, on construit des bateaux, des avions, mais nous n’avons pas d’industrie de déconstruction, on envoie nos déchets en Chine ou au Bangladesh. Et bien là aussi, il faut réfléchir à créer une filière de la déconstruction, ça aurait un impact environnemental et ça créerait des emplois. Il faut créer de la valeur ajoutée. »
L’INCONTOURNABLE NORME ISO 26 000
Au groupe la Poste, Christophe Guillemot, délégué aux relations territoriales de la Marne, insiste : « Cela fait une dizaine d’années maintenant que La Poste a développé une stratégie RSE. Pour cette entreprise de plus de 250 000 salariés, c’est une vraie question de survie. » Et s’il n’existe pas de label RSE à proprement parler, en revanche, il y a quelques normes incontournables comme l’ISO 26 000 qui définit comment les organisations peuvent et doivent contribuer au développement durable. En outre, le label PME + se développe de plus en plus avec un total de 115 labellisés pour 17 000 références et 19 000 emplois. Ce label réunit une communauté d’entrepreneurs engagés dans une démarche d’amélioration continue, dont fait partie l’entreprise de moutardes et vinaigres Charbonneaux Brabant. « C’est positif pour tout l’écosystème. Nous en ressentons les effets. On est mécène pour la mairie de Reims, on l’a toujours été mais le fait de le marquer au sein de ce label, c’est vertueux, ça permet de valoriser quelque chose qu’on ne valorisait pas et c’est positif pour tout le monde », souligne Valery Brabant. « D’ailleurs plutôt que de parler de RSE on pourrait parler de RSO, responsabilité sociale des organisations, ce qui englobe plus de choses », rebondit Valérie Hauchart.
UNE VÉRITABLE VALEUR AJOUTÉE
David Baron, président du CJD (centre des jeunes dirigeants) de la Marne et dirigeant du groupe Interactions indique pour sa part : « Au sein du CJD, en partenariat avec la Banque de France, on a créé une évaluation extra-financière des entreprises par rapport à une performance globale. On a réussi à démontrer sur une période de dix années en comparant avec un panel représentatif d’entreprises qui n’avaient pas mené cette démarche, qu’il y avait beaucoup plus de défaillance d’entreprises. C’est un investissement de départ certes, mais par exemple pour ma société, qui est une petite structure de 19 salariés, je ne me verrais pas repartir avec un fonctionnement à l’ancienne où on n’aurait plus cette valeur ajoutée, de travail de collaboration. »
« Une entreprise où les gens se sentent bien est une entreprise qui fonctionne mieux, c’est une question de bon sens », acquiesce Jean-Claude Mailly.
Valéry Brabant,
DG Charbonneaux Brabant
Valérie Hauchart,
DG Un pas pour demain
Pascal Rodrigues,
DG AG Net
David Baron,
Président du CJD
Un climat social incertain
Bien que Jean-Claude Mailly se soit mis en retrait de la vie syndicale depuis 2018, il garde un œil attentif sur l’actualité. Pour lui, « il y a un problème de confiance entre les salariés et le gouvernement. C’est la première fois qu’un président n’a pas de conseiller social, c’est une véritable erreur de remettre en cause les structures paritaires. » D’après l’ancien secrétaire général de Force Ouvrière, « si les Gilets jaunes se sont retrouvés dans la rue, c’est parce qu’ils n’avaient pas d’interlocuteurs. »
La bascule sociale s’est faite d’après lui au moment de la réforme de la SNCF où le gouvernement a voulu passer en force. Sur la mise en œuvre des réformes Jean-Claude Mailly considère que « le problème c’est la durée du mandat politique. Avec le quinquennat, tout remonte au niveau du Président qui, deux ans avant les élections est déjà en campagne électorale. Le Premier ministre n’a quasiment plus de rôle notamment dans le processus de négociation. » Concernant la réforme des retraites, « régime universel ne veut pas dire régime unique », insiste Jean-Claude Mailly, pour conclure un brin provocateur : « Le seul régime que l’on connaît, c’est celui de la Corée du Nord et ce n’est pas ce que l’on veut. »