Laurence RollandLa réussite au féminin

Laurence Rolland

Après avoir créé le Collectif des gourmandes absorbé par la Scop Éthiquable, elle pilote désormais la Maison Truffus Henras et planche sur le positionnement de la marque bicentenaire. Gardant la niaque et restant toujours en mode projet, l’entrepreneuriat est toute sa vie.

A 47 ans, ce bourreau de travail consacre sa vie à l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, les mains dans la truffe, Laurence Rolland a débuté fin 2019 un nouveau chapitre de sa vie en prenant la tête de la Maison Truffes Henras nichée à Albas dans le Lot, qui évolue dans la négoce et la transformation des précieux champignons. Première maison tricolore de truffes fondée en 1820 et distinguée par la médaille d’or de l’Exposition universelle de 1889, la notoriété de l’entreprise a largement dépassé les frontières hexagonales. Au côté de l’ancienne dirigeante Anne-Marie Gaillard, « papesse de la truffe », qui a su se faire respecter dans un milieu particulièrement masculin et féroce mêlant courtiers, producteurs, revendeurs sous le manteau, etc., la quadragénaire apprend avec finesse les rouages du secteur et les subtilités de la matière première, pour transmettre à son tour un savoir-faire qui s’étiole actuellement face au marché espagnol. Après une rencontre coup de cœur dans l’orangerie du château de la propriétaire, celle-ci n’a accepté de céder l’affaire qu’à cette entrepreneuse pleine d’entrain, qui a su traversé les difficultés d’une création de société artisanale, épaulée par une poignée de collaborateurs passionnés tout comme elle.

Une aubaine pour cette Toulousaine pure souche qui, quelques mois après avoir cédé son affaire, le Collectif des gourmandes, absorbé par la Scop Éthiquable, a d’abord apposé son veto à la reprise avant de se lancer dans l’aventure. « J’avais réussi à maintenir mon entreprise à l’équilibre en travaillant quasiment sept jour sur sept pendant huit ans et voulais la diriger vers le bio. Après une proposition de rachat, j’ai fait le choix stratégique de la transformer en Scop, heureuse que l’acquéreur puisse conserver la masse salariale et la développer. Je ne pouvais plus le faire et je n’avais aucun sentiment de propriété capitaliste. C’était important pour moi de pérenniser l’entreprise et en même temps, de tourner la page même si j’ai conservé un peu mon mandat de gérante. Je suis constamment en mode projet, et c’était l’enchaînement parfait », souligne celle qui bénéficie du soutien sans faille de son mari qui garde lui même un pied dans l’affaire des biscuits.

La serial entrepreneuse emprunte alors une nouvelle voie grâce à une proposition de Didier Supervielle, son ancien patron du groupe Nutrition & Santé, qui, à l’époque, a investi dans une société de caviar et souhaite trouver le chef d’orchestre idéal pour développer une activité autour de la truffe. Pas de répit pour Laurence Rolland qui enchaîne sur une étude de faisabilité et étonne par ses propositions, rompue à l’exercice, avant de créer conjointement Truffus et de racheter La Maison Truffes Henras. La nouvelle directrice mise alors sur la transformation de la truffe avec plus de 40 produits dérivés et 60 références de conserves. Chapeautant depuis peu sa nouvelle équipe, elle saute dans son nouvel habit à pieds joints, la saison de la truffe battant déjà son plein. Le challenge est relevé avec un CA de 2 M€. « Tout s’est bien déroulé. Deux tiers du CA proviennent de la vente de la truffe fraîche pendant l’hiver. Nous travaillons principalement avec les professionnels qui représentent 90 % de notre clientèle, en France mais aussi à l’international ; l’export vers l’Asie et l’Europe représentant 15% de notre marché. Nous avons également un site e-commerce qui permet de toucher les particuliers », explique t-elle. Parmi une centaine de clients, la Maison qui collabore avec des restaurateurs parisiens renommés compte asseoir sa notoriété auprès des chefs régionaux. « Aussi, nous avons beaucoup de déchets de truffes de seconde catégorie pour lesquels nous devons absolument trouver de nouveaux débouchés tels des transformateurs, comme les charcutiers et fromagers qui intègrent le produit à leurs préparations ». Traitant plus de 400 kilos de truffes par semaine, soit « cinq fois le marché aux truffes de Richerenches », l’approvisionnement est un défi. «Ce sont soit des courtiers qui passent par des producteurs, soit des producteurs en direct, soit des courtiers qui nous apportent des truffes d’Espagne. On regarde actuellement une espèce en Italie, mais ce qui est sûr, c’est que nous devons accroître la fiabilité de l’approvisionnement en France », pointe la dirigeante, heureuse de travailler avec des aficionados de la truffe.

Avant de diriger une entreprise, Laurence Rolland a déjà les épaules solides. Cette amoureuse des mots qui se rêvait écrivaine après avoir remporté un concours national à 14 ans, se ravise et tombe plus tard dans le milieu de l’agroalimentaire. « À mes 17 ans, j’ai reçu une mauvaise critique. J’ai pensé que je ne pourrais pas supporter ce milieu au quotidien, pas par faiblesse mais pour la couverture médiatique que ça engendre ». Après une prépa HEC où elle se sent prisonnière et une licence en sciences sociales à Toulouse, qu’elle trouve passionnante mais abstraite, elle se lance, corps et âme dans un poste de commerciale pour le groupe 3A. À 21 ans, sans véritable expérience, elle devient chef de secteur grand Sud-Ouest. « Je me suis passionnée pour la vente, j’avais le sentiment de participer à la construction de quelque chose, ce n’était pas une question de challenge, mais j’avais conscience que de mon travail, dépendait la pérennité de l’usine, c’était mon côté Arlette Laguiller », sourit-elle. Beaucoup de liberté mais aussi beaucoup de système D. Au bout de deux ans, elle décide d’intégrer une entreprise plus structurée pour acquérir de vraies méthodes de vente et rejoint Neptune Distribution en tant que chef de secteur régional. « J’ai beaucoup appris au sein de cette grande entreprise, mais je me suis lassée d’être en bout de chaîne, j’avais besoin d’étendre mes connaissances ».

Deux enfants plus tard, à l’aube de la trentaine, elle revient sur les bancs de l’école pour suivre en alternance un cursus en marketing. « Je n’avais pas le droit de me planter. Il me fallait une plus grande structure qui pourrait m’offrir des opportunités ». Consciente de son profil atypique mais à force de persévérance, elle rejoint le groupe Nutrition & Santé pour un stage de six mois, dans lequel elle fera la différence pendant six ans. « J’ai adopte la stratégie du coup d’éclat. Au début, j’étais une extraterrestre. Mais mon manager me fascinait et j’appliquais ce que j’avais appris en cours. Il m’a confié une étude de marché sur les compléments alimentaires. Je n’approuvais pas l’idée mais j’ai fini par me passionner ». Au final, la jeune femme sort major de sa promo et prend du galon au lieu de pointer au chômage. « La société venait d’être rachetée en LBO. Est arrivé un nouveau directeur Didier Supervielle, un pur marketeur. Lors d’une réunion pour faire le point sur les projets de développement, personne n’a su attirer son attention. Mon chef marketing relève mon étude et je deviens chef de projet. C’est le dossier dont rêve tout marketeur qui débute », détaille celle qui développe une gamme en 2005 et après un remaniement, prend la place de chef de marque Gerlinéa. « Je me suis éclatée, mais le groupe a pris une autre direction et je commençais à tourner en rond. L’objectif n’était plus de développer ». Elle pose sa démission « égoïstement, sans savoir ce qui l’attendait », malgré la volonté du groupe de la retenir.

C’est en 2009 que Laurence Rolland découvre l’univers du café et fonde sa société de conseil, Nueva Marketing. « Un de mes amis tenait un atelier de torréfaction artisanale. Je l’ai aidé à développer une gamme de dosettes, à agrandir sa structure et à faire fructifier son affaire. Je me suis alors passionnée pour l’entrepreneuriat ». Elle décide de déployer une gamme de biscuits. « J’avais fait des essais en cuisine, une étude de marché, je lui avais tout apporté sur un plateau. Et là, il m’a ouvert les yeux pour que je me lance et m’a aidé en retour. Mon seul problème à l’époque, c’était un détail de packaging, il m’a alors légué une vieille ensacheuse ». Elle suit une formation de biscuiterie à Aix-La-Chapelle, obtient 50 K€ et crée le Collectif des gourmandes. « Je voulais prendre le contre-pied des produits minceur. Parmi les femmes qui les consommaient, il y avait des gourmandes. Je voulais leur apporter une alternative », explique celle qui a été initiée à la gourmandise très tôt par un grand-père pâtissier. Elle intègre Agropole près d’Agen, crée ensuite une unité de production près de chez elle, travaille en binôme comme une acharnée et remporte des concours auprès des enseignes Auchan et Carrefour qui lui ouvrent la voie. Elle obtient une seconde levée de fonds, innove et embauche. « Ça m’est arrivé de recruter quatre personnes en un week-end pour répondre à une commande nationale, mais en revanche, je ne me suis pas payée en trois ans et j’ai pioché dans les économies personnelles pour tenir la boîte à bout de bras », se souvient celle qui, aujoud’hui, chapeaute des porteurs de projets pour le Réseau Entreprendre, après avoir été lauréate en 2011.

Élevée par ses grands-parents, choyée mais nourrie à la débrouillardise, l’entrepreneuse n’a eu besoin de personne pour incarner la réussite au féminin.

Parcours

1973 Naissance à Toulouse
1994 Obtient sa licence à l’université des Sciences Sociales de Toulouse
1994 Intègre le groupe 3A, secteur société des Eaux d’Alet en tant que responsable de secteur
2003 Reprend des études en marketing et intègre Nutrition & Santé en stage, groupe dans lequel elle évoluera pendant six ans
2010 Fonde la SAS Gourmandes et Cie (marque le Collectif des gourmandes)
2019 Cofondatrice et directrice générale de la Maison Truffes Henras