La relance managériale : l’enjeu de la rentrée

Christophe Zuber, consultant en management à Toulouse, associé chez Zuber Conseil.

Tandis que la rentrée est masquée, les entreprises doivent favoriser une nouvelle émulation et manager dans l’incertitude. Selon Christophe Zuber, coach certifié, consultant en management à Toulouse, associé chez Zuber Conseil, la relance économique s’accompagne d’une relance managériale. Explications…

La pandémie a changé la donne. Pour relancer l’activité, quels sont les enjeux des entreprises, petites et grandes, en cette rentrée 2020 ?

Les chefs d’entreprise vont devoir prioritairement faire face à un enjeu sanitaire, en respectant les conditions d’hygiène, de santé et de sécurité qui collent aux exigences gouvernementales. En second, il s’agit bien évidemment de l’enjeu économique : la plupart des entreprises accusent une perte massive de leur chiffre d’affaires, sans compter la perte de confiance des clients. La trésorerie a été gonflée de façon artificielle. Les entreprises sont, depuis, sous assistance respiratoire. Même si cette bouffée d’oxygène a été bénéfique pour sauver les apparences, je reste inquiet quant aux processus de remboursements des aides de l’État. Si les inquiétudes économiques priment, elles ne doivent pas masquer un enjeu tout aussi stratégique : celui du management à mettre en œuvre pour restaurer enthousiasme, engagement et motivation. Le sujet du management est trop peu abordé et mérite d’être considéré comme un facteur essentiel de la relance. Pas de relance économique sans relance de motivation. N’oublions pas l’équation : Compétence x motivation x satisfaction = performance.

Pourquoi l’enjeu social, en particulier en cette période de crise, n’est-il pas suffisamment pris en compte dans les choix économiques ?

De manière fréquente et dans la « vie d’avant », le temps consacré au management des équipes n’était pas prioritaire. On pourrait dire de manière réductrice que les managers consacrent du temps à la motivation de leurs équipes quand l’ensemble des autres préoccupations sont traitées (production, commercialisation et autre facturation). Ce mode de management largement répandu en phase de croissance va se heurter aux réalités de la phase post-Covid et des nouveaux repères qui y sont associés. Plus que jamais, les collaborateurs qui vont reprendre le travail, masqués, dissimulant involontairement leurs émotions, vont avoir à gérer simultanément leurs inquiétudes personnelles et la pression de leur management. Tout d’abord, il est illusoire d’imaginer avant ou après Covid, que la motivation d’un salarié puisse être alignée sur celle d’un actionnaire ou d’un cadre dirigeant. Les enjeux sont trop différents. Ce constat n’a pu être qu’amplifié avec la crise sanitaire. Un travail de reconquête des salariés est donc à initier. Un discours empathique calé d’une part sur les réalités des salariés, sur leurs inquiétudes souvent légitimes et d’autre part sur les réalités économiques sources de stress pour les dirigeants. De la transparence des deux côtés. La vision manichéenne des relations employeurs-salariés trouve ici une occasion unique de voler en éclat. On peut, dans le scenario le plus optimiste, imaginer que le post-Covid pourra agir comme un levier de réconciliation. Autour d’enjeux plus larges.

Deuxième mise au point : le management de crise répond à d’autres repères pour lesquels les managers sont rarement équipés. Le management hiérarchique top-down classique, directif, construit sur des objectifs, des plans d’actions des KPI, et alimenté par des reportings usants et stériles trouve ici ses limites. Le besoin d’utilité va s’exprimer de façon claire. Mon travail sert à quoi? À qui? À quel modèle de société? À quel avenir? La question du sens du travail est au cœur du management post-Covid.

Comment retenir les talents et redonner de l’élan aux salariés pour entamer une nouvelle phase ?

Les conséquences économiques du Covid vont se traduire par de nombreuses suppressions d’emplois. Si les gouvernants cherchent à accompagner ceux qui seront les victimes de la récession, les managers doivent parallèlement concentrer leurs efforts sur ceux qui vont rester. Dans quel état vont-ils reprendre le travail ? Comment ont-ils vécu le confinement, la reprise ? quels doutes subsistent ? où sont les priorités ? La question du sens est posée. Elle mérite d’être abordée par deux prismes : le sens, la direction le cap, l’après : Où va l’entreprise ? Que me propose-t-elle ? Qu’a-t-elle retenu comme enseignements de la crise sanitaire ? Son identité a-t-elle été modifiée ? Ses valeurs ont-elles survécu ? L’autre prisme est le sens, la logique, l’utilité, la contribution : dans ce nouveau contexte, mon métier sert à quoi ? Quelle est ma plus-value ? En quoi mon investissement est-il aligné sur mes valeurs ?

En synthèse deux questions auxquelles le management doit répondre : Où va-t-on et à quoi sommes-nous collectivement et individuellement utiles ? La réponse à ces deux questions doit être servie par un management réaliste qui remplace la culture de l’irréprochabilité par celle de l’efficacité. Cette migration doit être accompagnée par des managers qui savent communiquer et entendre les émotions de leurs collaborateurs. L’écoute active est donc au centre des compétences managériales post-Covid. Une écoute réaliste, qui ne cherche pas obligatoirement à apporter des solutions, mais avant tout à accueillir les messages de collaborateurs qui reprennent le travail sans certitude et sans repères. Et c’est là où la posture coach prend tout son relief.

Qu’en est-il de la motivation dont on parle tant ?

Sur le plan théorique, on distingue plusieurs courants dans l’approche de la motivation, et notamment au travail. Atteindre des objectifs est-il une source de motivation ? Oui, mais seulement de motivation finale. En atteignant le cap qu’on lui a fixé, le collaborateur va se sentir reconnu par le retour de satisfaction de son manager, et éventuellement les conséquences financières qui y sont associées. On parle alors de motivation finale. Une motivation centrée sur le combien et le quand. Dans un contexte de récession économique, la plupart des objectifs vont être révisés à la baisse. C’est là, où le concept de motivation instrumentale prend le relais. Une motivation centrée sur la méthode, le chemin, la façon, le plan d’action, les efforts, les apprentissages… Une motivation centrée sur le comment. Le plaisir du résultat doit être complété par le plaisir de l’action. Et le management post-Covid doit bien comprendre que laisser ses collaborateurs s’exprimer est aujourd’hui aussi important que de mesurer leur performance. Les managers sont en première ligne tant pour gérer les émotions des collaborateurs qui vont rester que pour attirer les talents de demain.

Autre point important : contrairement à ce que disent la plupart des livres de management, le rôle d’un manager n’est pas de motiver ses équipes. La motivation est un processus intrinsèque. Et le management est un levier extrinsèque. On ne peut pas motiver une personne pour ce qu’elle n’a pas envie de faire ou de réaliser. Ma motivation est donc ma priorité de salarié, et non la responsabilité de mon manager. Mais alors, quel est le rôle du manager ? Apporter de la reconnaissance finale ou instrumentale qui va développer la confiance du salarié. Le rôle d’un manager est donc de reconnaître les efforts engagés, de poser des questions, de développer son écoute active, d’accueillir les émotions…

Quels conseils donnez-vous aux managers pour aborder la reprise ?

Les managers doivent profiter de cette période inédite pour revisiter leurs repères managériaux, investir dans la formation, passer du temps avec les collaborateurs et de ne pas chercher pas à les rassurer à tout prix. Aussi, de raccourcir les schémas hiérarchiques. Aller sur le terrain, opter pour un management collaboratif, accepter d’exprimer ses émotions. Et surtout, faire le deuil du contrôle total !

La théorie du psychologue américain Kurt Lewin a-t-elle tout son sens ici ?

Les managers peuvent s’en inspirer. Kurt Lewin nous soumet sa théorie du changement : une organisation soumise à une mutation, volontaire ou subie, traverserait trois phases. Dégel, modélisation, regel. Dans la phase de dégel, l’individu comprend que les choses ne seront plus jamais les mêmes. Cette prise de conscience nécessite du temps. Elle peut se traduire par de la révolte de salariés attachés à leurs avantages et à leurs certitudes de « la vie d’avant ». L’erreur managériale est dans cette phase de vouloir rassurer et expliquer l’inacceptable. Le travail de deuil n’est pas entamé ou terminé. Inutile d’argumenter ou d’expliquer les nouvelles réalités. La rentrée de septembre doit être propice à cette prise de conscience pour entamer la phase 2. Dans la phase de modélisation, l’entreprise doit proposer un autre projet, un autre modèle construit sur de nouvelles     réalités économiques et sanitaires. Si les repères sociaux et économiques sont profondément bouleversés, pourquoi s’accrocher à d’anciens modèles ? Le monde de demain doit être imaginé et construit différemment. Grâce à un management collaboratif. Enfin, concernant le regel, il s’agit de la phase d’acceptation. À chaque changement majeur, Kurt Lewin nous soumet, ponctuellement, de baisser le niveau d’exigence et d’augmenter le niveau de reconnaissance.

Le télétravail, êtes-vous pour ou contre ?

Avant mars 2020, le télétravail répondait à un vrai progrès social et à une autre conception du management construite sur la confiance et moins sur le contrôle. Je souscrivais et souscris toujours à cette approche… à condition qu’elle soit volontaire, et limitée à deux jours maximum par semaine. En période de confinement et de post confinement, ma réponse est beaucoup plus tranchée. Les salariés n’en peuvent plus de ce mode imposé, et voir leurs collègues ou leurs chefs au travers d’une lucarne digitale. Rappelons que 75 % de la communication passe par le non-verbal. Quelle est la place des émotions dans le télétravail ? La reprise de septembre doit favoriser les retrouvailles. Impossible selon moi de développer une ambiance positive, collective et sereine de travail en optant à 100 % pour le télétravail.