En marge de l’Université d’Été de la Conférence des Bâtonniers, organisée à Cannes du 29 au 31 août, entretien avec son président, Jérôme Gavaudan.
Il laissera ses fonctions de président de la Conférence de Bâtonnier le 31 décembre, après un mandat de deux ans particulièrement actif. Ancien bâtonnier du barreau de Marseille en 2011- 2012, Jérôme Gavaudan tient en haute estime la fonction ordinale et ne mâche pas ses mots lorsqu’il faut défendre la profession d’avocat et notamment la spécificité de son régime de retraite, menacé par la prochaine réforme du gouvernement.
Qu’est-ce que la Conférence des Bâtonniers ?
« Il s’agit de l’association des bâtonniers et des anciens bâtonniers. Une institution dans la profession d’avocat, créée en 1902. Une vieille dame qui a su rester moderne. Sa mission principale consiste dans la représentation de ce qu’on appelle l’ordinalité, c’est-à-dire les bâtonniers et les membres des conseils de l’Ordre. Porter la voix des Ordres au sein de la collectivité des avocats et vis-à-vis de l’extérieur. Il y a aussi l’aspect formation des bâtonniers et des membres du conseil de l’Ordre, comme aujourd’hui à Cannes. Il faut connaître la discipline, la déontologie, la gestion, l’animation d’un Ordre, la formation professionnelle que l’on valide, c’est très complexe comme travail. Et dense aussi, puisque le mandat ne dure que deux ans. La Conférence a enfin une mission d’assistance, plus concrète, en étant à la tête d’un certain nombre de service. Parfois des sociétés commerciales, comme Barreau Data System pour la maintenance et la production de logiciels au profit des Ordres, ou encore la société de courtage des Barreaux qui gère toute la problématique de l’assurance et de la responsabilité civile professionnelle ».
La Conférence des Bâtonniers est-elle représentative de tous les barreaux de France ?
« Les 160 barreaux de France y adhèrent, hormis le barreau de Paris. Historiquement, il y avait justement cette volonté de peser face à la puissance du barreau de Paris pour pouvoir porter la voix de la province. L’association représente 55 % des avocats français, soit environ 35 000 confrères. Pour autant, nous avons d’excellentes relations avec le barreau de Paris. D’ailleurs son futur bâtonnier, Olivier Cousi, se rend à notre Université d’été cette année ».
Vous parliez d’une association centenaire mais moderne…
« Tout simplement car la Conférence des Bâtonniers est composée des avocats et des bâtonniers d’aujourd’hui, qui vivent dans un monde moderne, un peu ubérisé, politisé aussi. C’est une profession qui a des principes anciens, qui a des valeurs déontologiques que porte la Conférence des Bâtonniers. Mais ces valeurs peuvent évoluer en fonction des mutations de la profession ».
Les bâtonniers s’emparent-ils assez du numérique ?
« Un des rôles du bâtonnier moderne, c’est justement d’aider les avocats à développer leur propre activité dans le monde actuel. L’incubateur de legaltech, qui a été créé à Grasse, c’est typiquement le rôle d’un Ordre moderne, qui épaule le développement des cabinets dans le respect des règles de la profession d’avocat. Ou qui aide les jeunes à trouver de nouveaux champs d’activité notamment dans le cadre du développement numérique, mais pas seulement ».
Quelles sont les difficultés auxquelles est confronté un bâtonnier lorsqu’il prend ses fonctions ?
« Le service aux avocats, qui est d’ailleurs sa principale mission. Le nombre croissant d’avocats et la multiplication des métiers dans la profession complexifient la tâche du bâtonnier qui doit être au service de chacun. Un barreau comme Grasse compte 620 avocats, il y a quelques temps c’était moitié moins. Et il y a toujours un seul bâtonnier pour s’occuper de tous et créer en plus une alchimie, car l’avocat veut être proche de son bâtonnier. Ce dernier doit sanctionner, vérifier, aider et former les avocats dans la diversité des métiers. Le judiciaire n’est plus l’activité principale sur le plan économique de la profession d’avocat. Ça ne représente que 40 % du chiffre d’affaires. Le conseil – en droit des sociétés, en droit fiscal ou en contrats internationaux – est devenu majoritaire. Le bâtonnier doit adapter son activité à ces nouveaux métiers pour accompagner les confrères, dans le respect de nos règles déontologiques. Tout le travail de gestion est également important, car un Ordre professionnel n’est pas une association : il y a un patrimoine. Les temps sont difficiles, et il faut être chef d’entreprise quand on est à la tête d’un Ordre ».
La Conférence des bâtonniers a plus de cent ans, mais l’Université d’été n’en est qu’à sa 7e édition…
« Il y a toujours eu des rencontres en début d’année, mais c’est un de mes prédécesseurs, Jean-Luc Forget, qui a créé cet événement, avec une partie séminaire du bureau en parallèle. C’est un temps de formation, mais aussi le moment de relancer l’année, de se rencontrer. Et pour moi, cette année, de travailler avec la présidente élue qui va arriver, Hélène Fontaine. C’est aussi le moment de faire le point sur la vie poli- tique de la profession et on peut dire que sur ce plan-là, nous sommes en tension depuis l’année dernière ».
Vous donnez des consignes avant la rentrée ?
« Initialement, ce n’était pas l’idée de l’Université d’été, mais de fait, ça le devient. Parce que le projet de loi Justice est toujours en cours d’application – on attend le décret de spécialisation des juridictions – ou parce qu’on a le problème des retraites. C’est un vrai sujet sur lequel il y aura des débats pendant notre Université. Nous allons maintenir cette journée de manifestation et de grève le 16 septembre, avec le CNB. C’est une responsabilité que nous avons tous ».
En quoi la réforme des retraites menace-t-elle les avocats ?
« Cela fait 55 ans que nous avons un régime de retraite qui nous est propre. La démographie de la profession fait qu’elle est encore jeune et qu’elle devrait le rester assez longtemps. C’est un régime non pas spécial, mais autonome, qui a été constitué et financé par les avocats et pour les avocats. Nous payons en plus 20 à 30 M€ chaque année à la caisse de compensation. Nous participons à la solidarité et là, on voudrait nous prendre ce régime et les réserves que nous avons constituées (environ 2 Mds€ – Ndlr) avec un mécanisme qui, si l’on en croit ce que dit Jean-Paul Delevoye, doublerait quasiment nos cotisations, notamment celles des jeunes, pour une diminution claire des retraites sur le régime de base ».
L’intention de cette réforme n’est-elle pas justement d’uniformiser les différents régimes ?
« Mais nous serions parmi les plus mal logés ! D’autres professions libérales auraient plutôt intérêt, vu la démographie et la pyramide des âges, à intégrer un régime universel. Pas les avocats. On comprend très bien l’idée un peu « marketing » du régime universel. Ça fait égalitaire. Mais c’est symptomatique de ce qui se passe depuis deux ans et demi avec ce gouvernement.
On est dans la communication et les mots, et quand on y regarde de plus près, c’est tout l’inverse. La réforme des retraites va créer de graves inégalités ».
Que changerait-elle concrètement ?
« Le taux de cotisation se situerait entre 28 et 30 %, contre 19 % actuellement. Ce serait aussi la fin de notre régime égalitaire. Quels que soient les bénéfices de chaque avocat pendant sa carrière, la retraite de base servie est d’environ 1 450€ pour tous. Quand on a des revenus plus importants, on accepte de cotiser pour que quelqu’un qui a des revenus moindres, par exemple ceux qui font de l’aide juridictionnelle et consacrent leur carrière au service des plus démunis, touchent la même chose. Cette spécificité disparaitrait avec la réforme ».
La concertation annoncée par Emmanuel Macron peut-elle changer la donne ?
« La peur politique peut faire évoluer les choses, mais pas la concertation. En théorie, elle a déjà eu lieu… Le haut commissaire Delevoye a discuté dans des conditions assez macronienne, c’est à dire : « Je vous écoute, mais je ferai ce que je veux». Les avocats y ont été associés dans des conditions un peu particulières à travers un groupe issu du Conseil National des Barreaux. Mais dans le moule des professions libérales, on a tout fait pour éviter de discuter de notre vraie spécificité. Là où nous sommes bons sur la question des retraites, c’est qu’on ne demande rien, on finance les autres et on a un régime bénéficiaire. Alors sous prétexte de vouloir assurer une forme d’égalité, on va créer des inégalités et une forme de spoliation en disant : « de toute façon vous comptez pour rien, vous êtes 65 000, et on va prendre vos réserves et votre régime…».
Propos recueillis par Pierre-Olivier Burdin (Tribune Côte d’Azur) pour Réso Hebdo Eco.