La redynamisation du secteur horloger franc-comtois est-elle possible ?

En décembre, l’École nationale supérieure de mécanique et des microtechniques (Ensmm) à Besançon réunissait plus de 200 personnes (industriels, institutionnels, entrepreneurs, organismes de formation et de recherche…), à l’initiative du préfet du Doubs, pour discuter du savoir-faire horloger en région. Le but : trouver ensemble des solutions pour redynamiser ce secteur.

En 1974, Pierre Messmer, Premier ministre, sous la présidence de Georges Pompidou, déclarait : « Lip, c’est fini et l’industrie qui va avec également ». Pourtant aujourd’hui, l’horlogerie résonne encore profondément en terres comtoises : par les actions collectives et individuelles qui germent chaque année, par des savoir-faire qui perdurent et se déploient à d’autres secteurs que l’horlogerie, par des technologies de pointes, par des organismes de formation et de recherche reconnus et par des attentes palpables en terme de relance d’un secteur horloger français à l’aulne de la montée en puissance du Made in France et de l’économie circulaire. « Toutefois, au-delà de cette image d’attachement local à cette filière historique, il y a aujourd’hui une vraie difficulté à faire émerger une filière forte et stable », constate Kazuma Kobatake, secrétaire général de la préfecture du Doubs. C’est dans ce contexte que l’Ensmm de Besançon, sous l’impulsion du préfecture du Doubs, a réuni sur une journée les différents acteurs de la filière horlogère local sur la thématique « 2020- 2025 : on lance le mouvement ? » afin de débattre sur les principaux freins et leviers d’une possible redynamisation de la filière horlogère en Franche-Comté. « Aujourd’hui sur l’ensemble des salariés dans le monde qui travaillent dans l’horlogerie, 60.000 sont en Suisse. En valeur, comme en volume, le marché des montres en France représente 1 % du PIB, contre du côté helvète 2 % du PIB en volume et 70 % en valeur. Dans le Doubs, nous avons 18.000 emplois liés à ce secteur, dont 15.000 de frontaliers qui travaillent en Suisse (soit 84 % des salariés). Ces travailleurs francs-comtois se répartissent pour 5 % dans la fabrication de composants, pour 4 % dans la réalisation de bracelets en cuir, pour 3 % comme salariés de filiales de fabrication de marques suisses implantées sur le territoire, pour 2 % dans le SAV, le reste concernant des marques de montres et les secteurs de la formation, du design…», détail Laurent Sage, expert horlogerie à la CCI du Doubs. « Cela prouve une chose : nous avons le vivier et les compétences ; que ce soit par la présence de sous-traitants de très grande qualité ou grâce aux laboratoires et écoles régionaux qui disposent de moyens importants, régulièrement mobilisés par nos voisins suisses d’ailleurs », argue Sébastien Thibaud, professeur à l’Ensmm et chercheur à l’institut FEMTO-ST à Besançon.

DU NEUF À MORTEAU

Reste que des marques comme Routine déplore la difficulté à trouver des sous-traitants et également à se fournir localement sur des composants critiques. « Beaucoup de filières de production n’ont pas survécu aux années 1970, période depuis laquelle le marché est à la peine. On est passé de 2.500 entre- prises à l’époque à entre 50 et 100 aujourd’hui, précise Florian Chosson, créateur de la marque Routine, première montre certifiée “Origine France Garantie”. Nous avons inscrit dans les statuts de notre société la mission de relocaliser la filière horlogère. J’ai ainsi pris mon bâton de pèlerin pour emmener avec moi les industriels et artisans locaux. Il s’agit de retrouver les savoir-faire pour tirer l’ensemble du secteur : marque, sous-traitant, distributeur… vers le même objectif ». Le défi consiste donc à mailler les entreprises en les aidant à se connaître et également à les accompagner pour innover et capter des savoir-faire. C’est ce que se propose de faire Cédric Bôle, maire de Morteau, dans le Doubs, avec son projet « Start-up Studio ». « Sur le Haut-Doubs horloger, nous bénéficions de l’initiative “Territoire d’industrie” lancée par le gouvernement il y a un an qui débloque 1,3 milliard d’euros sur trois ans, piloté par la région. Il ne s’agit pas d’un label traditionnel puisqu’il intègre des principes de ciblage de l’action sur des entreprises à fort enjeux industriels, de gestion décentralisée et de concentration des moyens au plus près du territoire. Quatre axes d’actions sont développés : attirer, recruter, innover et simplifier les démarches administratives. Par ailleurs, notre territoire rencontre des problématiques en termes de recrutement, de besoin en main-d’œuvre non satisfait. Au-delà d’un travail de renforcement du lien entre les organismes de formation et les entreprises, nous nous sommes penchés sur la question des flux franco-suisses. D’un côté, il y a les 15.000 frontaliers qui travaillent en Suisse (chiffre multiplié par trois à quatre en dix ans) et de l’autre, des entreprises helvétiques qui souhaitent avoir un pied-à-terre en France, notamment pour avoir un accès à la zone euros. Pour concilier ses deux flux est née l’idée de “Start-up Studio”. Il s’agira d’une sorte de fabrique à start-up capable d’intégrer les jeunes diplômés de nos écoles, des experts techniques et en marketing pour pouvoir sortir des produits et générer quelques start-up par an dans les domaines de l’horlogerie et du luxe ».

RÉIMPLANTER LES SAVOIR-FAIRE

« Sur la question des composants critiques, nous nous sommes questionnés collectivement : y-a-t-il une place pour un mouvement horloger mécanique qui pourrait être utilisé par des manufactures françaises, quand on sait que la Suisse fabrique neuf millions de mouvements pour toutes les marques à la fois disponible, fiable et bon marché ? En tout cas, nous possédons la R&D, les formations, les capacités d’industrialisation…. Des groupes de travail portés par l’AER BFC et le cluster Luxe & Tech vont poursuivre la réflexion suite à cette première rencontre. En parallèle, pour redynamiser notre activité, deux voies sont possibles : réimplanter des savoir-faire qui se sont perdus pour fabriquer à nouveau, sur le territoire, les pièces manquantes, ou proposer de nouvelles alternatives. Dans les deux cas, nous devons constituer des consortiums, des grappes d’industrielles qui peuvent rassembler tant des artisans que des PME/PMI du secteur. Les entreprises sont intéressées : elles savent qu’elles peuvent acquérir des compétences qui leur permettront de répondre aux demandes horlogères bien sûr, mais qu’elles pourront également les appliquer à d’autres secteurs tels que les transports, la connectique, la santé, le luxe, les capteurs et systèmes intelligents… », énonce Sébastien Thibaud. La jeune start-up bisontine Phenomen fait partie de ces sociétés intéressées par la possibilité de trouver des fournisseurs en local. « Nous venons de l’industrie automobile et du design de concept car, nos montres visent le haut de gamme et les petits volumes, quand nous faisons, par exemple, réaliser la peinture de nos aiguilles en Suisse cela revient à 19 euros l’unité dont six euros de frais de transport et de dédouanement. Le même travail réalisé à Lyon représente un coût de dix euros. L’autre plus de la proximité c’est aussi la réactivité en cas de problème, avec le passage par la douane, il faut compter six heures pour ramener deux pièces », lance Alexandre Meyer, l’un des co-fondateurs de la marque Phenomen.

Routine poursuit la relocalisation
des savoir-faire horloger

Depuis 2018, Routine relocalise la fabrication de cadrans grâce à un partenariat fort avec la société La Pratique, à Morteau dans le Doubs. Le métier de cadranier avait disparu de l’hexagone dans les années 2000 suite à la délocalisation qui frappe l’industrie horlogère depuis les années 1970. Cette PME d’une quarantaine de salariés, spécialisée dans la fabrication d’aiguilles, accompagne Routine depuis ses débuts dans la relocalisation de ce métier. « Le cadran est le composant le plus emblématique des montres Routine, porteur du design mais aussi des valeurs de la marque. Il était donc impossible pour la marque de ne pas les fabriquer en France », affirme Florian Chosson, créateur de la marque Routine. Après un lancement réussi en septembre 2018 des première montres “Originale” et “Radar”, Routine développe sa gamme au rythme de la relocalisation de sa filière. La première collection qui rencontre un franc succès depuis plus d’un an est équipée de cadrans décorés par tampographie. Un procédé artisanal qui consiste à déposer de fines couches de peinture sur la surface des cadrans. Cette collection vient désormais s’agrandir avec une nouvelle finition : le soleillage. Un procédé artisanal haut de gamme qui consiste à polir la surface métallisée du cadran, du centre vers sa périphérie, pour en faire ressortir le caractère brut et dégager des reflets de lumière surprenants.

Cette nouvelle finition sera exclusivement disponible sur le modèle Radar au prix de 445 euros, sur routine.fr. Un prix justifié par le temps nécessaire et la technique détenue par ces artisans d’exception. Le modèle Radar soleil sera disponible en deux tailles de cadran, 40 et 36 millimètres.

En chiffres Routine c’est :

  • 13 ateliers partenaires implantés en France
  • Plus de 80 % des composants fabriqués en France.
  • 92 % de la valeur ajoutée au service de l’économie locale.
  • Un emploi financé dans notre filière toutes les 300 montres vendues.
  • La première montre certifiée Origine France Garantie.

La plate-forme MIFHySTO : un projet stratégique

Le projet de mouvement mécanique piloté par FEMTO-ST, les instituts Utinam et IRTES (université de technologie de Belfort Montbéliard), est l’un des plus importants jamais inscrit au programme national Innovation Stratégique Industrielle (ISI). Bpifrance le soutient à hauteur de huit millions d’euros. Autour des trois laboratoires francs-comtois, le projet réunit le LEM3 de l’université de Lorraine ainsi que six PME régionales dont l’horloger Péquignet. Les recherches et développements pourront être réalisés grâce à la plateforme technologique MIFHySTO, un équipement clé de microfabrication pour la miniaturisation, la fonctionnalisation et l’hybridation des systèmes microtechniques et l’outillage. Cette plateforme de haute technologie permettra notamment de fabriquer les composants les plus sensibles et les plus compliqués du futur mouvement mécanique.

Les retombées économiques de ce projet sont estimées à 60 millions d’euros de chiffres d’affaires et près de 250 emplois pourraient être créés à l’horizon 2022. « La plateforme est là pour aider nos entreprises à développer les procédés de fabrication du futur. Elle a une vocation de recherche et transfert vers les entreprises, avec un axe fort en micromécanique. En s’appuyant sur une équipe de 40 enseignants chercheurs, techniciens et ingénieurs, elle propose aux entreprises de les accompagner par l’intermédiaire de projets de recherche ou de transferts. Fabrication, caractérisation des matériaux (notamment à l’échelle submillimétrique), choix des nouveaux procédés, traitement de surface, fabrication additive : les sujets sont nombreux », développe Sébastien Thibaud, professeur à l’Ensmm et chercheur à l’institut FEMTO-ST à Besançon.