« La recherche a de beaux jours devant elle ! »

Au-delà même de ces derniers mois particulièrement marqués par la Covid-19, le CHU Dijon-Bourgogne a inscrit la recherche dans son ADN et affiche de fortes ambitions dans ce domaine. Pour poursuivre ces travaux, l’établissement a nommé le professeur Alain Bonnin, président de l’université de Bourgogne de 2012 à 2020, à la vice-présidence du directoire du CHU Dijon Bourgogne en charge de la recherche.

Le Journal du Palais. Vous étiez, depuis 2021, président de l’université de Bourgogne où la recherche était déjà un axe important de la politique de l’établissement. Aujourd’hui, vous avez intégré le directoire du CHU Dijon Bourgogne en qualité de vice-président en charge de la recherche. Concrètement, quelle place occupe-t-elle dans un établissement que le CHU ?

Alain Bonnin. Globalement, dans un CHU, la recherche occupe une place éminente. Le CHU est U parce qu’il conventionne avec une université et le U illustre l’enseignement et le recherche. Un hôpital qui ne ferait pas d’enseignement ni de recherche pourrait faire du soin d’excellente qualité, ce serait d’ailleurs plutôt un hôpital général… mais ce qui fait la spécificité et l’identité propre d’un CHU c’est l’enseignement et la recherche. La recherche est consubstantielle à la notion de CHU. C’est vraiment quelque chose d’absolument déterminant parce que la recherche en santé d’aujourd’hui, et plus particulièrement la recherche translationnelle et l’innovation en santé d’aujourd’hui, c’est le soin de demain. Les médicaments, les concepts thérapeutiques et diagnostiques que nous créons en recherche sont faits pour qu’ils deviennent le soin quotidien de demain. Il y a vraiment une continuité complète entre la recherche d’un CHU, son identité et le soin. Si on ne fait pas de recherche en santé, le soin stagne.

Quels sont les moyens mis en œuvre pour répondre à cette mission en matière de recherche ?

Ils sont de plusieurs natures. Pour faire de la bonne recherche, il faut de bons chercheurs, qui soient passionnés et qui aient envie de s’engager. Il faut donc déjà pouvoir identifier des jeunes médecins, praticiens, pharmaciens, qui ont envie de faire de la recherche et qui s’en passionnent. Ça signifie tout un travail de ressource humaine pour bien identifier et sélectionner dès l’internat et dès le clinicat des jeunes qui ont une appétence particulière pour faire de la recherche, mais aussi leur permettre, une fois qu’on les a identifiés, de se dégager du temps pour faire de la recherche. La recherche, c’est un métier et ça nécessite qu’on y consacre du temps. Ça nécessite aussi qu’on puisse leur donner les moyens de faire cette recherche, ils doivent être en contact avec des laboratoires, d’où l’importance de ce lien avec l’université. C’est important qu’il y ait des chercheurs seniors qui ont un pied dans l’hôpital et l’autre dans l’université pour faire émerger parmi leurs élèves de futurs chercheurs. Enfin, il faut leur permettre d’avoir une mobilité internationale.

Sur toute cette chaîne, le CHU a un vrai engagement politique en affectant des postes à des jeunes médecins dont on sait qu’ils ont des talents et de l’envie pour la recherche, en les nommant sur des postes, en leur dégageant du temps. Par exemple, le CHU vient de décider de créer deux bourses annuelles de 25.000 euros pour des jeunes chercheurs qui pourront faire un an de mobilité pour leur permettre de financer leur mobilité internationale. C’est un engagement extrêmement fort du CHU qui matérialise bien l’engagement institutionnel. Ces jeunes sont les leaders scientifiques de demain. Le CHU met en place également des appels à projets et les finance conjointement avec le Centre dijonnais de lutte contre le cancer Georges-François Leclerc (CGFL). Dans un autre domaine que je connais bien parce que c’est une structure dont je m’occupe, les ressources biologiques, le CHU avec le CGFL a mis en place un appel à projet collections biologiques pour utiliser les collections d’échantillons biologiques à des fins de recherche. C’est un engagement direct de l’hôpital. À côté de cela, l’hôpital s’engage aussi en aidant à l’organisation de la recherche, c’est la délégation à la recherche clinique et à l’innovation, une structure administrative qui crée le cadre administratif et juridique qui permet à des chercheurs de faire leurs recherches et qui leur apporte toutes les fonctions supports, de promotion, d’administration, de financement, de la recherche.

Des exemples de programmes de recherche ?

Nous avons depuis quelques temps maintenant un grand programme qui s’appelle RéadapTIC et qui consiste à revisiter l’ensemble des technologies de rééducation et de réadaptation neuromusculaire à la lumière de nou velles techniques d’électrophysiologie notamment. C’est un des programmes phares du CHU et qui est mené en lien étroit avec l’université et l’Inserm dans le cadre du laboratoire universitaire Caps dirigé par le Pr Papaxanthis et en lien avec le Ciad dirigé par Christophe Nicolle. Ce projet est co-porté par Paul Ornetti, le chef de service de rhumatologie, par Christophe Nicolle et Carl-Andros Papaxanthis, pour faire émerger les techniques de prise en charge du handicap, de la rééducation de l’avenir. Dans le domaine de l’imagerie, un autre des axes importants de rayonnement en lien avec le CGFL, nous avons des programmes qui sont partagés autour de l’imagerie moléculaire et fonctionnelle, c’est toute la thématique de Pharm’image. L’idée est de prendre des molécules qui sont des traceurs comme des anticorps, on les couple à des médicaments et les anticorps servent de vecteur pour amener ces drogues vers des tumeurs par exemple. C’est typiquement quelque chose qui est utilisée dans le domaine de la cancérologie. Nous avons des programmes importants en lien avec le CGFL et des industriels sur ces thématiques. Nous avons des programmes dans le domaine de la génétique des maladies rare comme Personalize qui est un projet de médecine personnalisée basée sur la génomique adaptée aux maladies rares. Il associe l’université de Bourgogne et l’université de Franche-Comté, ainsi que le CHRU de Besançon. Ce programme est financé en partie par l’initiative d’excellence i-Site. On en a aussi dans le domaine de la cancérologie ainsi que des programmes de recherche qui visent à comprendre les mécanismes fondamentaux de l’inflammation au cours de l’infection par Covid, qui est une des raisons des formes graves.

Justement, le CHU coopère-t-il avec le secteur privé et les industriels de santé ?

Nous travaillons effectivement avec les industriels et le secteur privé dans le cadre de grands programmes de recherche. Nous travaillons par exemple beaucoup avec la société Proteor, sur des thématiques comme la rééducation, la réadaptation, la plasticité neurologique. Nous travaillons également avec BioSerenity sur le projet RéadapTIC, une entreprise du numérique dans le domaine de la santé. Le CHU collabore avec des entreprises, mais il participe aussi à l’incubation de jeunes entreprises. De jeunes entreprises du domaine de la santé sont issues du CHU, comme Vivexia dirigée par Delphine Croisier qui travaille dans le domaine de l’évaluation des anti-infectieux, NVH Medicinal de David Vandroux qui travaille sur des collagènes artificiels, Biomaneo qui développe des kits de diagnostics par spectrométrie de masse. Le CHU développe en effet des relations avec des industriels et a vocation à permettre l’émergence de jeunes entreprises.

Finalement, quels objectifs vous êtes-vous fixés en acceptant le poste de vice-président recherche ?

D’abord, un des objectifs et peut-être le plus important de tous : nous avons gagné l’initiative d’excellence i-Site en 2016 et nous sommes actuellement dans la phase probatoire puisque nous l’obtenons pour quatre ans et au bout de quatre ans, le jury international réévalue les progrès qui ont été accomplis et décide ou non de pérenniser les sommes affectées. L’objectif fort serait que nous arrivions à maintenir cette initiative d’excellence i-Site faisant ainsi de la Bourgogne Franche-Comté un des quinze sites d’excellence académique en France.

La directrice générale, Nadiège Baille, a participé aux auditions devant le jury international il y a quelques semaines, cela se jouera dans les semaines à venir.

La deuxième chose c’est qu’il se trouve que nous sommes actuellement dans les deux années pendant lesquelles nous devons préparer la nouvelle évaluation de la recherche clinique du CHU par le Haut conseil pour l’évaluation de la recherche et l’enseigne-ent supérieur (HCRES) qui va avoir lieu au printemps 2023. Nous sommes donc engagés dans un gros travail de redéfinition de la cartographie scientifique et des axes scientifiques d’excellence, en quelque sorte la carte d’identité scientifique du CHU. Cette dernière avait été mise en place de façon expérimentale en 2015 et avait été plutôt très bien perçue et évaluée par le HCERS. Entre 2015 et 2023, la situation a bien sûr évolué, elle ne s’est évidemment pas radicalement transformée, mais elle a évolué. J’ai donc engagé depuis la fin de l’année dernière un travail extrêmement intéressant auprès de la communauté médicale pour rediscuter de la nouvelle cartographie telle qu’on peut l’imaginer. Comment a-t-elle évolué ? Les grands mots-clés ont-ils évolué ? C’est très important parce que cette cartographie scientifique est à la fois ce qui définit notre identité scientifique mais aussi comment on se différencie et surtout où est-ce qu’on veut aller dans les années qui viennent et quelles sont les thématiques sur lesquelles nous avons envie de mettre davantage de moyen humain et financier.

Les autres gros sujets sur lesquels nous travaillons, c’est la question des entrepôts de données de santé qui est une question absolument déterminante pour l’avenir. Les entrepôts de données de santé, c’est l’ensemble des informations qui sont créées par l’activité de santé et qui peuvent faire le support de programme de recherche. Mais naturellement, ce sont des choses qui doivent être extrêmement encadrées sur le plan déontologique et règlementaire. Ces entrepôts de données de santé sont un gros enjeu pour la santé de l’avenir. Le CHU est engagé dans une réflexion pour la constitution d’entrepôts de données de santé. On ne peut plus faire de recherche en santé qui ne soit pas adossée à des échantillons biologiques et il faut les organiser dans des collections. Je pense que les données de santé et les collections biologiques font parties des grands instruments de recherche en santé et scientifiques de l’avenir.

Enfin, dans les objectifs que je peux avoir, il y a aussi une chose qui me tient particulièrement à cœur, c’est le grand campus dijonnais et les relations extrêmement fortes et confiantes que le CHU Dijon Bourgogne entretient avec l’université, le CGFL et les organismes de recherche, l’Inrae, l’Inserm, le CNRS, l’EFS… Je pense qu’il y a un écosystème sur ce campus qui est particulier, qui tient probablement à la géographie de ce campus qui fait qu’on est tous assez proche les uns des autres et qui fait que les collaborations se font de façon faciles et naturelles. D’une certaine façon ça démultiplie les capacités à faire de la recherche.

Comment voyez-vous la recherche au CHU d’ici cinq à dix ans ?

Actuellement, le CHU de Dijon est un CHU puissant pour la recherche. Par rapport à la taille de l’établissement – c’est un CHU de taille moyenne – c’est un CHU qui a une recherche en santé supérieure à celle qu’on pourrait attendre de la taille de l’établissement. C’est donc un CHU qui a une histoire, une tradition de recherche qui est forte et qui a une histoire de recherche translationnelle particulièrement marquée sur tous les axes d’excellence. Je pense qu’à l’avenir, il nous faudra affirmer encore davantage notre capacité en recherche translationnelle et pour y arriver ça veut dire renforcer toujours nos liens avec les organismes nationaux de recherche, avec l’université, avec l’EFS, le CGFL, etc. Je pense que c’est ça qui peut résumer le mieux la vision que j’ai et comment je vois se dessiner le chemin pour les années qui viennent.

Une dernière question, plus d’actualité : la crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur la recherche ?

Paradoxalement, je trouve que la période a suscité une envie de recherche. Il y a eu une charge de soin absolument considérable pour tout le monde dans l’hôpital mais en même temps, il y a eu des défis de recherche très importants. À titre d’exemple, l’an passé, alors que les années précédentes on avait entre cinq et huit nouveaux projets de recherche qui généraient des collections, on en a eu 12. Ce qui montre que non seulement il n’y a pas eu de ralentissement, mais il y a même eu une accélération de la recherche. Cette charge de travail plus importante n’a pour autant pas entamé l’envie et l’enthousiasme pour faire de la recherche et surtout le sentiment que c’est par la recherche qu’on s’en sortira. Si on se sort de cette crise sanitaire, c’est grâce au vaccin. Et si on a le vaccin, c’est parce qu’il y a eu la recherche. Si on l’a eu en un an c’est parce qu’il y a des équipes qui ont travaillé dans les 20 années précédentes sur l’ARN sans savoir que le Covid allait arriver.