La permaéconomie, ou comment « réinvestir dans le capital naturel »

Emmanuel Delannoy

Emmanuel Delannoy, créateur du concept de permaéconomie, à l’hôtel de Région de Toulouse le 25 novembre.

Selon l’entrepreneur et conférencier Emmanuel Delannoy, créateur du concept de permaéconomie, il est urgent que les entreprises créent une nouvelle relation, plus harmonieuse et moins prédatrice, avec la biodiversité. Car il en va de leur existence même.

On connaissait déjà la permaculture – qui prône et met en action une éthique de l’agriculture plus respectueuse de l’Homme et de la Nature – voici désormais… la permaéconomie. Un concept qu’a adapté aux activités de l’entreprise son inventeur, Emmanuel Delannoy, consultant associé du cabinet de conseil Pikaia. Venu présenter son idée à l’hôtel de Région de Toulouse le 25 novembre à l’occasion du Forum de l’économie circulaire, il estime que la nécessité de créer un rapport plus harmonieux de l’entreprise vis-à-vis de l’environnement est justifiée par le fait que « bien souvent, celle-ci a des impacts négatifs sur la biodiversité. On consomme de l’espace pour créer des infrastructures, des usines ou des rocades ; on consomme aussi des ressources naturelles » qu’on rejette sous forme d’émissions de gaz à effet de serre ou de déchets, à tel point que l’activité de l’Homme est « la cause principale de l’extinction de la biodiversité ». La sixième depuis l’apparition du vivant sur Terre il y a environ 3,7 milliards d’années, la dernière remontant à 65 millions d’années avec la disparition des dinosaures. Alors, serions-nous les dinosaures d’aujourd’hui ? Pour Emmanuel Delannoy, force est en tout cas de constater que « nous sommes aujourd’hui dans une crise de la biodiversité qui est comparable [à la précédente] en termes d’ampleur et de durée ». Et l’entrepreneur, qui a participé en son temps à la création de l’Agence française de la biodiversité, de rappeler ce qui peut paraître au premier abord un détail, ou bien une évidence : sans la Nature, « il n’y a pas d’économie. Toute activité économique dépend de la biodiversité ». Non seulement pour y trouver ses sources d’approvisionnement (fruits et légumes, pharmacopée, et même jusqu’aux énergies fossiles, issues de la décomposition du vivant pendant des millions d’années), « mais aussi pour l’attractivité des territoires, leur identité culturelle ». L’important, pour le conférencier, étant de comprendre enfin que « la biodiversité n’est pas cette chose “au bout du tuyau” à laquelle on fait du mal, mais tant pis, il y a toujours quelqu’un d’autre qui est responsable ; mais quelque chose dont nous dépendons de manière vitale ».

S’INSPIRER DU VIVANT POUR MIEUX LE RESPECTER ET INNOVER

D’où le fait, alors, que « la biodiversité devient un enjeu stratégique pour l’entreprise ». Première étape, rompre avec « un grand impensé de l’économie », et se souvenir que la biosphère est « un capital naturel dans lequel il faut réinvestir » ; à la manière d’un chef d’entreprise qui réinvestit une partie de ses bénéfices dans son outil de production, dans la formation ou la R&D, afin de toujours améliorer ses performances. Car, « alors que toute richesse vient de la biodiversité, il n’existe pas aujourd’hui de mécanisme universel de réinvestissement dans le capital naturel. Tout se passe encore comme si nous vivions dans une logique où [la Nature] est cette corne d’abondance dans laquelle on peut puiser » à l’infini, en oubliant – plus ou moins volontairement – qu’une croissance infinie de la consommation sur une planète aux ressources finies est… impossible. Une idée à ce point fantasmatique que, rappelle le consultant, le désormais fameux « jour du dépassement », qui marque dans l’année la date où l’humanité a consommé toutes les ressources naturelles produites en un an par la planète, recule de plus en plus : « nous sommes dans une situation d’endettement chronique » ; et, hélas, aucune banque planétaire ne saura venir nous renflouer. Aussi, pour Emmanuel Delannoy, il importe que nos contemporains, et leurs héritiers, rompent une bonne fois pour toutes avec l’idée héritée de l’Église et de Descartes selon laquelle l’être humain a été créé pour se rendre « maître et possesseur de la Nature » : « il faut sortir de notre rêve de maîtrise, de notre mode de domination » pour construire, à la place, une relation plus symbiotique avec le reste du vivant.

Mais comment ? En allant chercher dans la biodiversité « l’innovation » plutôt que des ressources, à travers « le biomimétisme » qui, à en croire le conférencier, consiste à « innover par et pour le vivant ». Lequel, il faut bien le reconnaître, a lui-même toujours inventé, amélioré, « structuré la matière et organisé des systèmes complexes depuis des milliards d’années, avec un cahier des charges et ce flux d’énergie qu’est le Soleil ». Là où « le grand malentendu de la Révolution industrielle, c’est d’avoir créé notre richesse en négligeant le flux du rayonnement solaire au profit du stock [de matières fossiles comme le charbon] : le biomimétisme, c’est d’abord de s’inspirer et de faire reposer notre économie de masse sur l’énergie solaire ». Même si de nos jours, nous sommes encore loin de pouvoir subvenir aux besoins de la population mondiale grâce aux seuls panneaux photovoltaïques, même installés en masse…

Autre intérêt et leçon du biomimétisme, le fait de « s’inspirer des 25 millions d’espèces » connues qui existent à notre époque, et dont chacune a réussi « à trouver sa place », quelles que soient les conditions qui puissent régner localement à la surface de la Terre ; preuve que quels que soient les problèmes ou le contexte, « on trouvera forcément à s’inspirer » parmi la multitude d’êtres vivants. De même, Emmanuel Delannoy suggère de « prendre au mot une expression que l’on entend beaucoup, celle de “l’écosystème d’acteurs”. Eh bien, qu’est-ce qu’un écosystème d’acteurs qui a réussi ? Une forêt, par exemple. Elle tire son énergie du Soleil et de la captation des eaux pluviales, puis les concentre et la stocke en permanence : elle fait de la néguentropie, par opposition à l’entropie, ou dispersion d’énergie. La forêt, en outre, fabrique et recycle en permanence ses matériaux. Au final, c’est un écosystème qui arrive à une grande diversité, car il se nourrit d’interactions extrêmement fortes qui font voyager des informations d’un être vivant à un autre ». Un laïus qui ne pourra que parler aux entrepreneurs d’aujourd’hui, qui aiment tant entre eux “réseauter”, ”partager les bonnes pratiques” ou encore “chasser en meute !”

C’est pourquoi, pour Emmanuel Delannoy, « l’essentiel, ce sont les flux, les relations » qu’entretiennent les acteurs entre eux – fussent-ils végétaux ou humains. Pour le consultant de Pikaia, bâtir une économie des relations plutôt que de la ressource naturelle semble d’ailleurs aller dans le sens de l’Histoire, étant donné que nous sommes arrivés à un renversement du paradigme sur lequel s’est construit, depuis des siècles, notre relation à la Nature. Car si, autrefois, les ressources étaient abondantes et la population moins nombreuse, de nos jours, ce serait plutôt l’inverse. D’où la nécessité « d’inventer une économie qui repose sur ce qui est devenu abondant – les personnes et les informations– plutôt que ce sur ce qui est devenu rare : les ressources ». Et ce, par exemple, « en mettant de l’intelligence et de l’intensité dans les relations humaines grâce à des boucles courtes » qui réduisent le nombre d’intermédiaires dans le cycle de création et de consommation.

QUI EST EMMANUEL DELANNOY ?

Diplômé de l’Inseec Paris et du mastère spécialisé Management de l’innovation, de la qualité et de l’environnement à Centrale Marseille, Emmanuel Delannoy a commencé sa carrière dans les technologies de l’information avant de se consacrer au développement durable. Consultant auprès de la Banque mondiale, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), des CCI et de nombreuses entreprises, il a créé en 2008 l’Institut Inspire pour animer et expérimenter une réflexion stratégique sur les modèles économiques innovants, le biomimétisme et la biodiversité. Expert lors du Grenelle Environnement en 2007, il sera chargé à plusieurs reprises de missions par le ministère de l’Écologie sur la préfiguration de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) ou sur les métiers de la biodiversité.