La jaunisse menace les récoltes de betteraves

Des milliers d’emplois directs et indirects sont en jeu dans la Marne et dans l’Aube notamment.

La contamination des parcelles se confirme dans la Marne et dans l’Aube avec des rendements attendus très en retrait.

Cette fois, plus aucun doute, les jaunisses virales inoculées par les pucerons font des ravages dans les champs de betteraves. « Pour le seul département de la Marne, 75 % des 60 000 hectares de betteraves sont touchés à ce jour », indique Éric Lainé, président de la CGB Nord-Est. Un cri d’alarme lancé par le syndicat betteravier, la FDSEA 51 et les transformateurs car le péril qui s’abat sur cette culture pourrait leur être fatal si les pouvoirs publics ne réagissent pas. « C’est l’Etat qui nous a plongé dans cette situation, c’est à lui d’apporter des solutions », ajoute Éric Lainé. En résumé, l’interdiction des néonicotinoïdes à partir des semis 2019 a laissé le champ libre, entre autres, aux populations de pucerons verts. Si l’année dernière le recours à des traitements insecticides des cultures de betteraves – ce qui n’était pas le cas jusque-là, avait permis de limiter leur prolifération, la douceur hivernale a vu les populations de pucerons exploser ce printemps. Ces parasites ont inoculé la jaunisse virale aux cultures de betteraves. Les rendements à l’hectare devraient chuter de 30 à 40 % alors même que les coûts de production augmentent avec celui des produits phytosanitaires nécessaires à des traitements à l’efficacité limitée. « Avant je n’utilisais aucun produit et maintenant j’applique plusieurs traitements, je me demande où est le gain environnemental », s’interroge Pascal Foy, président de Téreos Connantre.

SITUATION PARADOXALE

Un paradoxe d’autant que l’interdiction de néonicotinoïdes s’applique à la betterave, une plante récoltée avant d’avoir pu produire des fleurs et du pollen, donc a priori sans risque pour les abeilles. « On arrive à de tels paradoxes quand le dogme prend le pas sur la science », lance Éric Lainé qui estime les pertes pour les betteraviers à 100 millions d’euros.

La profession demande trois mesures. La plus urgente consiste en une dérogation afin que les semences enrobées de betteraves puissent de nouveau être utilisées en 2021 pour rassurer les planteurs sur les rendements. Autre mesure, la mise en place d’un système d’indemnisation des planteurs sinistrés par la jaunisse en 2020. Sur ce point, le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, aurait laissé entendre que des aides pourraient être débloquées. Enfin, la profession souhaite un soutien public renforcé à la recherche contre la jaunisse de la betterave. « Nous ne lâcherons pas l’affaire », a promis Hervé Lapie, président de la FDSEA de la Marne. Les réponses des membres du gouvernement, notamment à l’occasion de la foire de Châlons-en-Champagne dans quelques semaines, sont attendues de pied ferme.

LE MODÈLE ÉCONOMIQUE FRANÇAIS FRAGILISÉ

Les conséquences économiques au sein de la filière de transformation, en particulier dans la Marne et dans l’Aube pourraient être dramatiques. « Voir disparaître une industrie de transformation qui fait partie de notre paysage économique serait un crève-cœur », annonce Olivier de Bohan, président de Cristal Union, qui compte des sites industriels à Bazancourt, Sillery et Arcis-sur-Aube alors que Téreos est présent à Connantre. Une sucrerie c’est 150 à 200 emplois permanents, une centaine de saisonniers et 800 emplois indirects dont 300 chauffeurs mobilisés pendant la campagne. Or, si ces outils industriels sont devenus au fil des ans très compétitifs, c’est parce que la durée des campagnes s’est agrandie au fil du temps pour atteindre 120 à 135 jours par an. Une durée suffisamment longue pour amortir les investissements industriels conséquents pour transformer la betterave en sucre et en alcool. Les sucreries et distilleries marnaises et auboises ont besoin de traiter de gros volumes pour rester compétitives au sein d’une concurrence internationale. La perspective d’une perte historique des rendements d’au moins 30 % mettrait à mal un modèle économique que bien d’autres pays européens envient. Coïncidence, plusieurs de ces pays ont décidé des dérogations pour pouvoir continuer d’utiliser les néonicotinoïdes. « Ce n’est pas l’Europe qui est en faute mais le Parlement français qui est responsable en ayant voté une loi sur la biodiversité en 2016 par pure idéologie », regrette le député Charles de Courson. Les résultats catastrophiques de la campagne 2020 risquent fort de décourager les planteurs qui, d’ici à fin août, devront faire le choix de leurs assolements. Sans dérogation pour le retour aux semences enrobées, la betterave risque d’en être exclue, réduisant davantage encore les volumes à disposition des sucreries régionales. Il y a urgence à réagir.

Éric Lainé et Hervé Lapie constatent les dégâts dans les parcelles.