La Forge de Laguiole, au cœur de la tradition coutelière

Très attaché au savoir-faire à la française et à son excellence, l’entrepreneur suisse Derek Tanner a toujours rêvé de développer une marque riche de son histoire. Lorsqu’il apprend dans la presse suisse qu’une forge aveyronnaise cherche un second souffle, il n’hésite pas un instant. La manufacture est aujourd’hui un des employeurs les plus importants du sud de l’Aveyron.

Qui ne connaît pas Laguiole ? Ce joli village de montagne dont l’emblème, le taureau (symbole de la race Aubrac), veille sur ses habitants et ses coutelleries.

Nous sommes dans le berceau du couteau de terroir, le Laguiole. L’appellation n’est toujours pas protégée mais on s‘en rapproche. Le syndicat des fabricants de couteaux attend la réponse de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) pour la demande d’IGP (indication géographique protégée), d’ici à la fin du mois de mai. Une seconde demande incluant la ville voisine de Thiers doit être déposée.

Le couteau est en effet (trop) copié et produit à bas coût en Chine ou au Pakistan. « Le client s’y perd, explique Derek Tanner. Nos couteaux sont entièrement fabriqués à la main avec un acier français, le T12 venant de Grenoble. La cambrure, le guillochage du couteau, les mitres forgées à chaud sont uniques et inimitables. »

La renaissance du couteau à Laguiole est relativement récente. En 1985, plusieurs entrepreneurs du plateau de l’Aubrac dont le maire et le designer Philippe Starck font le pari de redonner vie à une forge sur la commune. La fabrication a pratiquement disparu depuis la Premier Guerre mondiale. Naitra alors un énorme bâtiment imaginé par Philippe Starck, revêtu d’aluminium, percé par une lame de couteau de 18 mètres. Il est visible depuis les hauts plateaux de l’Aubrac.

FABRIQUER ET ACHETER DURABLE

« C’est une tendance qui monte, se réjouit Derek Tanner, les clients se tournent vers les produits du terroir, ils veulent du solide. » Le chef d’entreprise suisse est installé à Zurich. Avant de se lancer dans l’entreprenariat, il était responsable du développement international des 450 boutiques du chocolatier Lindt.

Son appétence et sa connaissance de l’export expliquent que la Forge réalise 60 % de ses ventes dans le monde. L’Allemagne est le premier client international, suivi du Royaume Uni. Le couteau s’exporte aussi en Chine, au Japon, à Taïwan et au Qatar. Derek Tanner vient de signer une commande pour équiper les 10 restaurants d’un nouveau complexe hôtelier.

L’entreprise fabrique 100 000 couteaux par an, elle possède cinq boutiques (deux à Laguiole, une à Rodez, à Toulouse et à Paris). Les ventes en ligne ont décollé ces derniers mois pour atteindre 10 % du CA. Les ventes en boutiques représentent 15 % du chiffre d’affaires estimé à 6 M€.

UN TRAVAIL ARTISANAL ET ARTISTIQUE

Philippe Starck, Jean-Michel Wilmotte et Andrée Putman ont apporté leur patte de designer sur certains modèles. Le prix de ces petits bijoux atteint des sommes astronomiques: « il n’y pas de limites, ajoute Derek Tanner, les clients peuvent nous demander d’insérer des pierres précieuses… Comptez 4 000 € pour un couteau. »

De la forge au trempage, en passant par le montage, le polissage, le vernissage… La fabrication d’un couteau peut prendre plusieurs semaines. Deux salariés de l’entreprise ont obtenu des titres prestigieux pour leur savoir-faire : meilleur ouvrier de France et meilleur apprenti.

100 000 personnes (hors Covid) visitent la Forge chaque année. Le circuit de visite a été totalement remanié : « il permet de comprendre le procédé artisanal, explique Derek Tanner, c’est très valorisant pour nos salariés. On souhaite transmettre ce savoir-faire, il n’y a pas de formation spécifique au métier, on forme en interne, il n’y a quasiment pas de turn- over chez nous. »

Forte de cet engouement pour l’excellence à la française, La Forge souhaite ouvrir de nouveaux marchés vers les grands magasins spécialisés en décoration : « on veut faire mentir les chiffres qui disent qu’on ne passe plus de temps à table », sourit Derek Tanner.