La filière champagne retient son souffle

L’impact de la crise sanitaire est tel que les professionnels estiment déjà à 100 millions le nombre de bouteilles invendues pour l’année 2020.

Les chiffres des expéditions de champagne du mois de mars dévoilés par le Comité Champagne révèlent l’ampleur de la crise économique que traverse la filière. Avec un recul de -21,9% des expéditions de champagne, l’interprofession a pris des mesures sans précédent, dont celle controversée, de reporter les deux dernières échéances de la vendange 2019.

L’humeur n’est pas à la fête, pourtant chère à la filière champagne. Les deux mois de confinement imposés auront été un gros coup dur pour les professionnels avec « un effondrement des ventes de l’ordre de 50 à 80% sur les mois de mars et d’avril », se désole Maxime Toubart, président du Syndicat général des vignerons (SGV ). Les conséquences économiques de la crise du Covid-19 commencent à peser avec une baisse significative des expéditions, de l’ordre de 21,9 % pour le mois de mars 2020, selon les derniers chiffres publiés par le Comité Champagne. Sur les douze derniers mois, la filière accuse un recul de 10 millions de bouteille.

UN REPORT SOUS CONDITION D’ACCORD ENTRE L’ACHETEUR ET LE VENDEUR

C’est pourquoi l’interprofession, lors de son bureau exécutif le 7 mai, a pris deux grandes décisions sans précédent. La première, qui ne fait pas l’unanimité chez les vignerons concernés, est de reporter sous condition d’accord entre l’acheteur et le vendeur, les deux dernières échéances de la vendange 2019, soit celles de juin et septembre 2020, au plus tard les 5 octobre 2020 et 5 janvier 2021. « Nous avons dû prendre des décisions en responsabilité, face à une crise violente qui va changer et impacter le monde du champagne », soutient Maxime Toubart. « Celles-ci ont été guidées par l’intérêt du collectif. Les Maisons ont besoin des vignerons et réciproquement. Je préfère qu’une échéance soit décalée plutôt qu’elle ne puisse pas être honorée du tout. »

La mesure nécessite un accord des deux parties, et, pour compenser le manque à gagner, « le montant de la créance est augmenté d’un taux d’intérêt annuel de 1,5% », précise le président du SGV. « Ce que nous souhaitons, c’est faciliter la trésorerie des Maisons et éviter une dépréciation de la valeur des bouteilles de champagne », réagit Jean-Marie Barillère, président de l’Union des Maisons de Champagne et co-président du CIVC. Côté vigneron, la colère gronde. Certains soutenant que ce genre de mesures met en péril le devenir des exploitations y voyant aussi, un premier pas de pression des négociants sur les récoltants.

Car les deux précédentes vendanges ont été qualitatives et abondantes ; les cuves sont encore pleines. Et la baisse brutale des exportations ainsi que la fermeture des cafés- hôtels-restaurant font que les stocks s’accumulent.

LA COMMISSION EUROPÉENNE SAISIE

Pour éviter une trop grande tension, l’interprofession a également saisi la Commission européenne d’une demande d’encadrement des promotions dans les enseignes de la distribution. « Il faut éviter que la grande distribution casse les prix et brade les bouteilles à la fin de l’année », confie Maxime Toubart, indiquant une « suspension provisoire du marché des bouteilles sur lattes, les opérations promotionnelles étant souvent construites sur la base d’achat de ces bouteilles ».

En creux de ces décisions c’est aussi la vendange 2020 qui se joue, son rendement et ses prix d’achat du raisin. « L’impact de la crise sanitaire est colossal avec 100 millions de bouteilles invendues pour l’année 2020 soit une perte globale pour la filière évaluée à 1,7 milliard d’euros », insiste Jean-Marie Barillère.

Face aux enjeux économiques de la filière, deuxième créatrice de valeur de devises en France, l’État a annoncé un plan de soutien de 100 millions d’euros d’exonération de charges sociales patronales qui pourrait aller jusqu’à 100 % pour les exploitations les plus touchées ainsi qu’un dispositif de distillation de crise à hauteur de 140 millions d’euros. « Un premier pas, encore vague sur les modalités de mise en œuvre, qui appelle à poursuivre d’autres dispositifs pour l’année 2021 qui elle aussi, risque d’être fortement impactée », juge Jean-Marie Barillère.