La filière boulangerie en pleine mutation

Les boulangerie artisanales cherchent à fidéliser leurs équipes en embauchant leurs apprentis. (Photo : Nastasia Desanti)

En Champagne-Ardenne, le secteur de la boulangerie connaît depuis quelques années une crise des vocations ; il tente d’y faire face en se réinventant.

Les acteurs de la filière boulangerie sont en constante réflexion sur le métier. Lors de tables rondes avec les élus ou lors de remises de prix, ils font le même constat : la filière doit se réinventer face aux fermetures qui se succèdent depuis plusieurs années dans la région. Comme de nombreux métiers artisanaux, la boulangerie connaît un désamour des vocations mais aussi une crise due à l’industrialisation, mettant en péril un savoir-faire reconnu dans le monde entier. La question qui se pose alors, est comment adapter le métier face au monde moderne, la modification des modes de consommation mais aussi la désertification des campagnes ? Concernant la crise des vocations, le métier pâtit d’une image de pénibilité difficile à modifier. « Certes, il faut se lever tôt le matin, concède Philippe Chaumeille, mais ce n’est pas le seul secteur d’activité où l’on travaille de nuit. C’est le cas des hôpitaux, de la restauration, de l’hôtellerie ou de certaines entreprises fonctionnant en ‘3×8’. On a des jeunes dans les centres de formation qui restent un an, deux ans et qui ensuite changent de voie, même si c’est parfois pour y revenir après. »

UN SECTEUR QUI RECRUTE

Pourtant, en France, aussi bien au niveau de la fabrication que de la vente, les boulangeries recrutent. « Nous recherchons 7 000 vendeuses au niveau national », annonce le prési- dent de la Fédération départementale de la Boulangerie. « Il faut réussir à revaloriser le métier, le faire connaître dans les collèges et les lycées en faisant des démonstrations, des concours. C’est aussi à nous de faire une démarche active pour reconquérir la jeunesse. » Le rôle de la Fédération, outre de promouvoir le métier, est aussi de conseiller et d’accompagner les installations, tant au niveau de la gestion, de la comptabilité, des assurances que de l’information et du respect des nouvelles normes. Si la crise des vocations est une réalité, le changement des modes de consommation est aussi à prendre en compte. « En 1900, un Français consommait 900 grammes de pain par jour, aujourd’hui, on est à environ 90 grammes », précise le docteur Hervé Robert, nutritionniste invité à s’exprimer lors d’une conférence initiée par la Fédération à la Foire de Châlons. Surtout, le dépôt de pain ou le pain industriel remplace peu à peu la boulangerie artisanale de proximité.

L’ESSOR DES DISTRIBUTEURS DE PAIN

C’est d’autant plus une réalité dans les campagnes, où l’on compte une fermeture de boulangerie tous les mois en Champagne-Ardenne. « Les campagnes de notre région se désertifient et les personnes âgées qui consommaient sur le territoire grâce aux tournées, sont remplacées par des personnes qui se déplacent beaucoup plus », souligne Lionel Boban, directeur de la Fédération départementale. Conséquence de ces nouveaux modes de consommation, les boulangeries et les tournées disparaissent au profit des commerces de chaînes qui ouvrent tard et proposent des offres alléchantes mais aussi des distributeurs automatiques qui fournissent du pain chaud à toute heure. Pour le boulanger, la machine a un coût non négligeable. Si c’est lui qui le supporte entièrement, « la simple location s’élève à 350 euros par mois », indique Lionel Boban. « Il faut donc que le chiffre d’affaires et la production de pain soient suffisamment élevés et soutenus pour rentrer dans les frais. » Or, un boulanger pour vivre de son activité comme il y a 20 ans, doit faire 1,5 fois de chiffre d’affaires en plus. Si c’est la commune qui loue le distributeur, elle demande une cotisation au boulanger qui la fournit. Pour donner plus de visibilité aux artisans, la Fédération a développé des concours, comme celui de la Meilleure Baguette de tradition, du Meilleur Croissant, de la Meilleure Galette. Mais là aussi, il faut que le boulanger puisse suivre au niveau de sa production. « Ce type de concours met en lumière les boulangers et les pâtissiers. Pour exemple, le lauréat de la Meilleure Galette de la Marne multiplie par cinq le nombre de galettes vendues sur la période de l’Epiphanie », précise Philippe Chaumeille.

DE LA JEUNESSE ET DU TALENT

La Fédération départementale de la Boulangerie de la Marne a décerné les prix de meilleurs jeunes boulangers de la Marne. Parmi eux, Joseph-Marie Marcille, 21 ans, premier du brevet professionnel boulanger. Bien que titulaire d’un bac scientifique obtenu à l’âge de 16 ans, Joseph-Marie a décidé de s’orienter vers une carrière de boulanger. C’est lors de son stage de troisième en entreprise qu’il a le déclic. « J’ai effectué ce stage d’une semaine au Four à Bois, rue de Vesle, chez Christophe Zunic », se remémore-t-il. Souhaitant obtenir son bac « au cas où », le précieux sésame en main, il délaisse les chiffres pour le pétrin et retourne aussitôt chez son maître de stage, qui lui accorde toute sa confiance. Là où d’autres voit dans la boulangerie de la pénibilité, Joseph-Marie y trouve lui, un véritable accomplissement. « Ce que j’aime dans la boulangerie c’est travailler le vivant », livre le jeune passionné. « Une levure, elle vit, elle pousse. Au début de la journée, on part de rien et lorsqu’on a fini, on a accompli quelque chose de nos mains, c’est une vraie fierté ». Joseph-Marie compte poursuivre son apprentissage par un brevet de maîtrise à Rouen, puis un perfectionnement à l’étranger dans de grands établissements.

LE TRIO, UNE ENTREPRISE QUI MISE SUR LA MODERNITÉ

Voilà six mois que Joffrey et Manon Clin, tous deux âgés de 25 ans, ont ouvert leur boulangerie pâtisserie traiteur, 26 route nationale à Montchenot entre Reims et Epernay. Si l’emplacement a de quoi surprendre sur cet axe très passant où les véhicules ne font pas d’arrêt, il n’a pourtant pas été choisi au hasard. « En Belgique où j’ai travaillé pendant trois ans comme responsable recherche et développement pour une grande entreprise de pâtisserie, les axes fréquentés font partie des premières choses que l’on regarde pour implanter une boutique », explique Joffrey Clin. C’est justement en recherchant de nouveaux emplacements pour l’entreprise pour laquelle il travaille que le jeune homme remarque les locaux laissés vacants à Montchenot.

UNE SALLE AVEC 50 COUVERTS ASSIS

Plus de 800m2 sont disponibles, une surface immense pour y installer une boulangerie. Mais Joffrey Clin voit grand ; il imagine tout de suite les possibilités qui s’offrent à lui dans un tel espace. Aujourd’hui, ce sont déjà 400m2 qui sont exploités par le couple, répartis entre boutique et espace de production. Outre les vitrines de présentation des produits, une salle au design épuré avec 50 couverts assis a été créée ainsi qu’un espace de réunion. D’autres idées de développement germent aussi dans l’esprit du jeune homme qui souhaite mettre à disposition un bar d’accueil pour les artisans de la région où ils viendraient présenter leur production. Sont d’ores et déjà attendus un brasseur et une fleuriste. Joffrey et Manon Clin ont investi plus de 500 000 euros pour créer leur commerce qui repose sur le concept de « trio ». « Trio pour boulangerie, pâtisserie, traiteur ; entrée, plat, dessert et toutes nos créations sont déclinées selon trois recettes différentes. »

L’IMPORTANCE DU BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL

Fort de son expérience chez les Compagnons du Devoir et de chef d’équipe d’une centrale de production de six boulangeries-pâtisserie, Joffrey Clin s’est entouré de huit collaborateurs . A peine installée, la boulangerie a décroché le titre de Meilleur croissant au beurre 2019 de la Marne du concours organisé par la Fédération de Boulangerie. Résolument ancré dans la modernité avec une offre de produit 50% traditionnelle, 50% originale, le couple l’est aussi dans sa manière de manager les équipes. Des séances de « team building » sont régulièrement organisées à travers des sorties sportives ou de loisirs en groupe. Également investi dans les relations patrons/apprentis chez les Compagnons du Devoir, Joffrey Clin insiste sur l’importance de la cohésion d’équipe et du bien-être au travail dans un métier qui demande beaucoup d’investissement.

Joseph-Marie Marcille, prix du premier brevet professionnel boulanger de la Marne