De père en fils, depuis neuf générations, la famille Penneçot dompte matières et éléments, afin que se révèle, dans leurs travaux, la quintescence du feu, du fer et du bois. Forgerons, maîtres charron, puis menuisiers, ils ont pris plus d’un noble habit d’artisans. Aujourd’hui, Les Ateliers du bois Penneçot sont dirigés par Régis, qui a repris l’entreprise familiale en 1996. Avec son équipe, il met ce savoir-faire ancestral au service de toute la menuiserie du bâtiment et crée des meubles et aménagements sur mesure pour les professionnels et les particuliers.
Trois, dix, 20 ou bien 100 ans… Qu’est-ce qui fait la longévité d’une entreprise ? Le professionnalisme des hommes qui la compose à n’en point douter. La qualité des produits et des services proposés, la parfaite adéquation entre ces derniers et les attentes des clients, la vision à long terme du chef d’entreprise… sont à l’évidence d’autres pistes pour inscrire durablement une société dans l’histoire. Mais les rares aventures entrepreneuriales qui défient l’usure du temps, qui se jouent de Cronos et des siècles ont un petit plus. Cet atout dans la manche tient à la fois d’un vrai sens du timing, d’un certain goût du risque calculé, de la capacité d’adaptation, de la bonne perception des opportunités à saisir, de l’appétence au rebond et de l’habile négociation du virage salutaire au juste moment… Un jeu d’équilibriste que la famille Penneçot pratique avec art depuis près de 200 ans. « Si nous sommes là aujourd’hui, c’est grâce à Étienne Penneçot. De ce lointain ancêtre, je ne sais que peu de choses, déplore Régis Penneçot, l’actuel dirigeant de la société Les Ateliers du bois. Mon père a retrouvé son acte de naissance (le 24 septembre 1825) et celui de son fils. D’autres documents, nous apprennent qu’en 1850, il démarre à Foucherans, dans le Jura, une activité d’artisan charron (personne spécialisée dans la construction et la réparation des véhicules à traction animale, notamment dans le cintrage et le cerclage des roues. Ndlr). Une discipline qui fait autant appel au savoir-faire qu’au ressenti. J’ai moi-même cerclé l’une des dernières roues de chariot confiée à notre entreprise. Cela demande une grande maîtrise de la géométrie et de la découpe du bois, mais aussi une expérience certaine dans la notion du “jeu” nécessaire pour pallier au phénomène de dilatation du bois. Une tolérance qui se retrouve également dans la façon d’être des hommes qui font ces métiers ».
CHARRON, MARÉCHAL-FERRAND ET MENUISIER
Plus en arrière ? Si le père d’Étienne était bien artisan-maître charron, l’histoire familiale se voile dans les brumes du passé… Les choses s’éclaircissent avec le fils d’Etienne, Eugène qui en 1877 rachète la forge de la commune rurale de Billey, près d’Auxonne en Côte-d’Or et s’y installe. La maîtrise des arts du fer, du bois et du feu, se poursuit avec son fils ainé Théophile, qui marche dans les pas de son père en ouvrant, après son apprentissage, une activité de maréchal-ferrand et de charron à Beire-le-Fort, près de Genlis.
DE L’ART DE LA DIVERSIFICATION
À son tour, l’un de ses fils, Marcel, va d’abord apprendre le métier avec son père avant de suivre, en 1929, sa propre voie en direction de Longchamp et de sa célèbre faïencerie, où il travaillera au service entretien. Quatre ans plus tard, il démarre une activité de menuiserie en nom propre et, en 1941, apprenant qu’il n’y a pas de menuisier à Varanges, décide de s’y installer. Sur place, il met au point un tombereau et une remorque agraire à pneu, se faisant ainsi une jolie réputation auprès des agriculteurs du village. L’été, la cour de la menuiserie se remplit de matériels agricoles à réparer… Mais bientôt, le bois cède sa place dans la conception des engins, ce qui oblige Marcel à opérer une première diversification. Si les clients restent les mêmes, c’est au cœur de leur maison que l’artisan va maintenant opérer, réalisant pour les cultivateurs : parquets, portes et fenêtres… En 1869, avec son fils Pierre, qui a obtenu deux ans plus tôt son brevet de maîtrise, Marcel monte en collaboration avec un confrère, charpentier (les entreprises Roblot), le premier Groupement d’intérêt économique (GIE) de Bourgogne, afin de fabriquer ensemble des étaux de boucherie ainsi que des tables de laboratoire. « Ce fut une belle aventure pour mon grand-père. Jusqu’en 1978, ses étaux vont se vendre jusqu’à Madagascar, avant qu’une loi n’interdise la découpe de la viande sur du bois, en raison du risque d’ingestion de ce dernier… », raconte Régis Penneçot. Marcel Penneçot a connu bien des changements législatifs défavorables à son activité, ainsi que des crises, à l’image des deux chocs pétroliers. Freiné dans son élan mais jamais abattu, il a trouvé à chaque fois la niche inexplorée pour rebondir : « De la réalisation de chalets en bois en kit, montés en un jour, en passant par une activité d’opérateur de scie à grumes (stoppée là encore par une loi couperet interdisant l’utilisation d’un gaz permettant le séchage des grumes pour leur commercialisation)… Marcel aura été celui qui aura le plus diversifié ». En 1975, Pierre Penneçot reprend l’entreprise. Les Trente Glorieuses ne sont bientôt plus qu’un souvenir. Qu’importe, l’artisan se lance dans la fabrication de tables de monastères, d’armoires, de bahut et a bien du mal à suivre côté approvisionnement en bois. En 1987, Bruno Penneçot, le frère de Régis, qui a terminé son tour de France chez les compagnons du devoir, intègre l’entreprise familiale. « Mon frère, qui avait une capacité de travail hors norme a permis à la société de s’ouvrir à des chantiers de plus grosses envergures et d’agencement haut de gamme, en lien avec des architectes et des décorateurs, comme la restauration d’une partie du château de Pluvault après incendie, l’obtention de chantiers à Paris et à Cannes (meubles en merisier teinté de nacre pour la plus grande pharmacie de France), ou encore la réalisation de répliques de roues à aube pour les villes américaines de Houston et Washington… Il développera également la menuiserie d’extérieure ». En 1994, c’est au tour de Régis de prendre part à l’aventure familiale, deux ans avant le départ en retraite de son père. « J’avais 26 ans, je suis arrivé en “aimable touriste”. J’avais bien mon brevet de maîtrise mais je n’étais pas allé au terme de ma formation de compagnon, ce qui rendait mon entrée dans l’entreprise un peu tendu. Je me devais de faire mes preuves, notamment auprès de mon frère. Mon appétence pour les chiffres et ma capacité à lire un bilan ont été les clés de mon intégration, notamment lors d’un entretien avec un banquier dont j’ai démasqué les tentatives d’enfumage ». Avec Régis Penneçot l’entreprise décroche son premier marché public : les vestiaires de sport de Varanges et en 1996 les deux frères donnent naissance à la SARL « Les Ateliers du bois Penneçot ». Une naissance sous les meilleurs auspices puisque la société décroche un contrat avec l’enseigne de mode Pantashop pour la refonte complète de leurs 150 magasins en France. « De 1996 à 1998, nous avons réalisé tous leurs mobiliers en bois : cabines d’essayage, tablettes des comptoirs de vente… Sur ces années, cela a représenté 50 % de notre chiffre d’affaires. Une opportunité qui nous a permis de recruter et d’accroitre nos investissements, de moderniser l’outil de travail… ». La suite ? Des contrats d’agencement de boutiques pour de grands noms comme Porcelanosa, Pagot Savoie…, une commande atypique de panneaux acoustiques pour les studios de France Bleu à Dijon, puis de Radio France à Paris et une belle activité côté marchés publics : groupes scolaires et funérarium à Genlis, extension de la mairie de Varanges, rénovation des menuiseries de l’abbaye de Cîteaux… Sans oublier la réalisation d’un grand nombre d’escaliers, de portes fenêtres et de volets sur mesure pour les particuliers.
DE REBOND EN MODERNISATION
La route des Ateliers du bois Penneçot, qui passe la crise de 2008 sans trop de casse, semble ainsi toute tracée, avant qu’en 2013, un drame familial ne vienne remettre en question cette belle trajectoire. « Nous avions accepté sur Dijon un important chantier pour lequel nous n’avons pas été payé. Cela a eu un impact terrible sur nos comptes, conduisant mon frère à mettre fin à ses jours. Le choc fut d’une telle brutalité que l’envie de tout laisser tomber était prégnante. Si j’ai choisi de ne pas lâcher, c’est bien évidement grâce à la famille et également à toute mon équipe. Des salariés qui m’ont donné leur confiance, ont su me porter et me rebooster. J’ai aussi bénéficié du soutien des banques et des fournisseurs dans cette période de tempête ». Si l’entreprise passe par une inévitable traversée du désert, le rebond se fait jour en 2018, Régis a alors 52 ans. Bien décidé à faire entrer la société familiale dans le XXIe siècle, il se lance dans plusieurs extension du bâtiment et dans une forte modernisation de l’outil de production. « Lors d’une rencontre avec Guillaume Froment, menuisier à Pouilly-en-Auxois, nous avons évoqué l’idée de se doter de deux défonceuses numériques que nous partagerions en réseau. Nous avons monté un dossier d’aide à l’investissement de transformation vers l’industrie du futur, qui nous a permis de réaliser une économie de 40 % sur un prix des machines estimé à 200.000 euros. Pour accueillir ce nouvel outil qui occupera 50 mètres carrés au sol, nous avons dû repenser tout l’atelier et nous équiper de compteur fibre, la machine étant pilotée par une centrale à Lyon. Cet investissement va nous ouvrir de nouveaux marchés de par sa capacité de production accrue. Nous serons en capacité de réaliser six fenêtres par jour au lieu d’une par semaine actuellement, s’enthousiasme Régis Penneçot, qui voit également dans cet outil la possibilité d’offrir aux artisans locaux d’être plus fort ensemble, de capter des marchés de taille industrielle. Nos collègues de Côte-d’Or pourront réaliser sur ses deux machines toutes les opérations répétitives et chronophages : c’est une belle et nouvelle aventure qui commence ». Autre sujet de fierté pour Regis Penneçot, l’arrivée de sa fille, Marion, dans l’entreprise. « Elle a terminé une licence en gestion à la Business School Skema à Paris et souhaitait nous rejoindre temporairement. Depuis son arrivée, j’ai repris du plaisir à travailler en famille. Elle apporte ses idées et sa jeunesse. En 1998, nous étions parmi les premiers menuisiers à avoir un site internet. Aujourd’hui, c’est la maîtrise des réseaux sociaux qui est fondamentale. Marion est moteur sur cette question. Pour exemple : nous avons dans l’atelier une presse à briquette qui permet le compactage de nos copeaux de bois. Marion a réussi à vendre 200 sacs de ces briquettes via les réseaux sociaux ».
L’implication politique et locale
Régis Penneçot, dirigeant des Ateliers du Bois à Varanges met un point d’honneur à visiter lui-même ses clients et à mettre la main à la pâte dans l’atelier. Il aurait pu largement remplir son emploi du temps avec sa seule activité d’entrepreneur. Mais voilà, il est militant de la cause artisanale. Un syndicalisme qui trouve racine dans l’histoire bicentenaire des Penneçot. L’arrière-grand-père, puis le grand-père de Régis Penneçot en jette les bases. Marcel Penneçot sera même, comme Régis bien des années plus tard, président de la Chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) de Bourgogne pendant huit mois dans les années 1950. Bruno Penneçot, le frère de Régis participera activement à la vie de la « Maison des compagnon » à Dijon et y sera même formateur. Dès 1997, Régis Penneçot adhère à la Confédération des artisans et petites entreprises du bâtiment (Capeb) de Côte-d’Or. Il en est aujourd’hui le vice-président. Et, s’il vient de quitter la présidence de la CMA de Côte-d’Or, il est actuellement encore administrateur de l’institut supérieur des métiers et vice-président de la CMA de Bourgogne Franche-Comté. Également, trésorier de la CMA France, il a été récemment nommé nouveau coordinateur national du réseau des CMA pour les « Chantiers de France » dans le cadre de la reconstruction de Notre Dame de Paris.