La période actuelle est souvent source de difficultés pour les entreprises, mais elle peut aussi offrir des opportunités de reprise d’entreprise ou de rapprochements. Pascal Ferron, vice-président de Walter France, et David Treguer, avocat chez Fidal, font le point sur la question au terme d’une journée d’information et d’échanges sur la transmission d’entreprises, Transfair.
Le marché de la reprise est déséquilibré : pour une entreprise à reprendre, ce sont souvent cinq ou dix candidats repreneurs, voire plus, qui se présentent. Côté cédants, vendre son entreprise est une décision difficile à initier, ce qui explique qu’ils ont tendance à atermoyer. Or les professionnels de la transmission ont constaté que la crise du coronavirus est dans certains cas un élément déclencheur pour les cédants qui hésitaient jusque-là à passer la main. Ce sont donc de nouvelles opportunités d’affaires qui s’ouvrent, soit pour reprendre une entreprise, soit pour s’en rapprocher.
QUELLE STRATÉGIE ADOPTER POUR UNE CROISSANCE EXTERNE ?
Selon Pascal Ferron, vice président de Walter France, il existe plusieurs excellentes raisons pour reprendre une entreprise : il est beaucoup plus rapide de reprendre une entreprise que de créer ex nihilo une activité, c’est un très bon moyen de créer des synergies en matière commerciale ou entre produits et savoir-faire complémentaires. Cela permet également de mieux répartir les risques entre différents types d’activités, plusieurs régions, différentes clientèles, et de gagner en notoriété. Le plus important est que le projet de reprise corresponde à la stratégie, du repreneur. « Les entrepreneurs étant par nature des optimistes effrénés et enthousiastes, il est tout à fait naturel qu’en temps de crise, ils identifient davantage d’opportunités qu’en temps normal. » A contrario, vouloir grossir à tout prix pour flatter son ego est une très mauvaise raison…
Pour David Treguer, avocat chez Fidal, la croissance externe est clairement un accélérateur par rapport à la croissance organique. Elle permet de diversifier ses activités tout en réduisant les risques, de s’ouvrir à de nouveaux marchés, d’atteindre une taille suffisante pour répondre à des appels d’offres, etc.
COMMENT RECHERCHER ET CHOISIR UNE ENTREPRISE CIBLE ?
Le repreneur n’a pas intérêt à dessiner une cible idéale, selon Pascal Ferron, mais doit se focaliser sur sa stratégie de développement, et sur la valeur ajoutée qu’il peut apporter, avec quelques critères clés. Ensuite, pour trouver une entreprise à reprendre, tous les moyens sont bons : marché ouvert avec les bourses d’opportunités, intermédiaires, chambres de commerce et d’industrie, etc. L’important est de se faire aider, d’être conscient que la plupart des affaires intéressantes se dénichent dans le marché « caché » par approche directe, et que la cible idéale n’existe pas : une entreprise à reprendre ne répond jamais à tous les critères. Ensuite, un audit d’acquisition est évidemment indispensable, ainsi que l’intervention de conseils objectifs, a minima un expert-comptable et un avocat.
Une possibilité est de reprendre « à la barre » une entreprise en difficulté, mais dans ce cas attention à ne pas se laisser griser par un prix très bas.
QUEL MONTAGE JURIDIQUE ET FISCAL ADOPTER ?
Il faut d’abord, indique David Treguer, se structurer : « Il est fortement déconseillé, pour une entreprise d’exploitation, de racheter en direct une autre entreprise car en cas de difficulté, celle-ci rentrerait dans la “corbeille” du mandataire ». Le montage le plus classique consiste à créer une holding, avec les filiales en râteau en dessous, car on doit pouvoir se séparer d’une filiale sans mettre en danger les autres structures. La holding est également un moyen de regrouper le staff qui va intervenir, avec une refacturation aux filiales des prestations rendues par la holding.
Une holding présente un autre intérêt, en servant de pivot centralisant la trésorerie au niveau du groupe. Dans ce cas, la capacité d’emprunt de la holding augmente, et le fait de démontrer au banquier que si la filiale rachetée connaît des moments de faiblesse, les autres structures peuvent la soutenir, permet de faire baisser le ratio des 30 % d’apport.
Selon Pascal Ferron, en matière juridique et fiscale, il n’existe pas de règle immuable. Le schéma juridique et fiscal doit s’adapter au contexte de l’acquisition et des risques identifiés : création d’une holding, rachat de parts sociales, d’un fonds de commerce, etc. Et il va sans dire qu’un entrepreneur ne doit jamais envisager une reprise d’entreprise uniquement pour les avantages fiscaux qu’elle procurerait.
COMMENT SE FINANCE UNE OPÉRATION DE CROISSANCE EXTERNE ?
Pour David Treguer, un repreneur devra toujours arbitrer entre s’endetter ou ouvrir son capital. Récemment, des plates-formes de crowdlending ont vu le jour. C’est plus rapide, plus simple que le crowdfounding, mais plus cher. Et attention car, dès lors qu’un repreneur a lancé un prêt participatif auprès du public, ces plateformes le mettent en garde sur le fait qu’elles n’auront aucun état d’âme, en cas de non-remboursement, à l’assigner en liquidation judiciaire. En cas de difficultés, les banques « classiques » sont généralement plus souples.
Pour Pascal Ferron, il existe de nombreux moyens de financement hors du domaine bancaire, tels que le crédit vendeur, le complément de prix, le cédant qui remet du capital dans la structure de rachat, la love money… Il s’agit d’utiliser toutes ces possibilités comme une table de mixage, afin d’optimiser le financement et réduire les risques.
L’INTÉGRATION DE LA SOCIÉTÉ REPRISE : CLEF DE LA RÉUSSITE ?
Les fameux 100 premiers jours après la reprise sont vitaux. Pascal Ferron recommande d’arriver le premier jour sans préjugé, de mettre le business plan de côté, d’écouter les hommes et les femmes de l’entreprise, de comprendre ce qu’ils font, de quelle manière, pour les faire évoluer. « Toutes les bonnes surprises, le vendeur vous les a annoncées lors de la négociation. Très logiquement, lorsque vous prenez la tête de l’entreprise, il ne reste plus que les mauvaises ! » Alors autant s’y préparer.
Concernant les modalités d’accompagnement du cédant, elles doivent être étudiées très en amont. Et d’une manière générale, une lettre d’intention la plus précise possible permettra d’éviter les négociations de dernière minute lors du closing.