Le fondateur d’Eurécia, éditeur de logiciel dédié aux RH, est plus que jamais convaincu que le bien-être des salariés est un élément prépondérant dans la performance des entreprises.
Un lieu où il doit faire bon vivre… ou plutôt travailler. Difficile de ne pas avoir cette pensée lorsqu’on pénètre dans les nouveaux locaux d’Eurécia. Les équipes de l’éditeur de logiciel 100 % web de gestion administrative du personnel et de gestion des talents, ont pris place depuis décembre dernier dans un bel écrin de briques rouges entouré de verdure, l’ancien domaine des Fages, à Castanet-Tolosan. Le bâtiment, inoccupé depuis longtemps, squatté et délabré, a été racheté en 2018 par le président fondateur d’Eurécia, Pascal Grémiaux, qui a entrepris de très gros travaux pour le rénover et installer ses collaborateurs dont le nombre ne cesse de croître. Matériaux anciens préservés, déco chinée et soignée, espaces de travail et de réunion cloisonnés par des verrières qui laissent passer la lumière et les regards, vaste réfectoire, salle de repos au sous-sol, potager, rucher et un coin café très convivial où le matin se croisent tous les membres de la « team »… « On passe plus de temps au travail que chez soi en famille, alors autant faire en sorte que ce lieu soit agréable », résume Pascal Grémiaux.
Se préoccuper du bien-être au travail n’a rien d’une posture pour ce dirigeant âgé de cinquante ans, à la tête d’une entreprise qui a réalisé un chiffre d’affaires de 9,3 M€ en 2020, en progression de 24 % en un an, compte aujourd’hui 1 900 clients et 170 000 salariés utilisateurs dans 66 pays, emploie 100 collaborateurs et prévoit 30 à 40 recrutements dans l’année. C’est même le fil rouge de son parcours professionnel, une préoccupation qui l’a conduit à faire des choix radicaux, « à sortir de sa zone de confort » et quitter les rangs de l’avionneur européen pour créer sa propre entreprise.
Pascal Grémiaux n’a pas eu de modèles, ni de mentors, qui l’ont poussé, guidé vers la création d’entreprise. Plutôt des intuitions et des notes prises dans de petits carnets, des idées ruminées, qui ont parfois fait un flop avant enfin de trouver la bonne. Encore les choses ont-elles dû avancer doucement. Aux antipodes des start-up qui en quelques mois lèvent des sommes fabuleuses, faute d’avoir pu ou su convaincre les banquiers de l’accompagner, le fondateur d’Eurécia a financé le développement de son entreprise sur fonds propres, mis en vente sa maison, en pleine crise de subprimes, aidé de ses parents, de son ex-épouse, « mangé beaucoup de pâtes, de sardines et de tomates », et réussi, au bout de trois ans, à se payer un salaire, après seulement avoir réalisé sa première embauche. « Mais moi, j’y croyais », se souvient, dans un sourire, le dirigeant. La suite a montré qu’il a bien fait de s’obstiner !
Le natif de Mont-de-Marsan a préféré Toulouse et Fermat à Bordeaux, « la ville grise », pour faire ses classes prépas – « une épreuve » – et poursuivre ses études à l’Enseeiht, option électronique, « parce que je ne voulais pas faire d’informatique », pointe-t-il avec humour. L’étudiant, qui « a besoin de prendre l’air », obtient son diplôme d’ingénieur après une dernière année passée à l’École polytechnique de Montréal, au Québec. « Une très belle expérience, se souvient-il parce qu’on se lance dans l’inconnu, on se débrouille, on découvre une nouvelle culture, etc. ».
De retour à Toulouse, le jeune diplômé intègre Astrium – aujourd’hui Airbus Defence & Space. Une autre expérience « intéressante » dans le secteur du spatial, mais une grosse structure, « un système dans lequel, très rapidement j’ai senti que l’ennui pouvait pointer, reconnaît Pascal Grémiaux. J’avais des idées que je notais dans des cahiers, envie de créer quelque chose, une sorte de quête. Il me manquait quelque chose », explique-t-il. L’expérience tourne court. Le charme de la Belle Province a opéré si fortement que Pascal Grémiaux s’envole à nouveau pour Montréal trois ans plus tard avec femme et enfants pour y vivre et y travailler.
C’est là que le futur dirigeant d’Eurécia prend le virage du web. Après une petite formation « pour se mettre en confiance », Pascal Grémiaux trouve un job chez Cyberplex, spécialisé dans le web marketing. « Je suis passé de ce qu’on appelait l’informatique industrielle au HTML, au web naissant », résume-t-il. Mais comme beaucoup, il feint, un temps, de croire que l’herbe est plus verte ailleurs avant de s’apercevoir que la qualité de vie en France est, en comparaison, « très agréable, on l’oublie trop souvent ». De se rendre compte aussi, avec son épouse, « qu’on avait des racines ».
De retour à Toulouse, l’envie de créer son entreprise n’a pas diminué bien au contraire. Pascal Grémiaux réfléchit sur un premier projet. Mais au bout de trois mois, n’y croyant pas vraiment, il se résout à l’abandonner pour rejoindre les équipes de l’éditeur de logiciels, Access Commerce, devenu ensuite Cameleon Software, puis PROS. « Une très belle expérience professionnelle, affirme-t-il. J’étais responsable de l’équipe de R & D, et mon plaisir, c’était de partir d’une feuille blanche pour construire un produit. » Un job très formateur qui lui permet de se frotter aussi aux problématiques business de l’avant-vente. Taraudé par l’« envie de faire plus », il se paie un executive MBA à l’ESCP. Une façon « de se chercher, de se construire ». Une ligne de plus sur son CV, qui sert surtout à rassurer les potentiels partenaires, ajoute-t-il : « certes, on apprend des choses, mais rien ne vaut l’expérimentation lorsqu’on mène un projet ».
La formation à Paris est aussi l’occasion de côtoyer d’autres profils, « des gens avec des réussites professionnelles assez marquées, alors que moi-même, je n’avais pas fait grand-chose, qui gagnaient beaucoup d’argent. Mais en même temps, je n’avais pas envie de vivre leur vie, en termes de valeurs et de sens ».
En même temps que ce MBA, le futur dirigeant vit une « période difficile » : des licenciements économiques au sein de l’entreprise, une séparation, trois enfants en bas âge. « Je me suis demandé ce que j’allais faire de ma vie, grosse question ! » Pascal Grémiaux rejoint Airbus. « Une véritable prison dorée, glisse-t-il : une très belle boîte, avec de beaux produits. Ça peut faire rêver… mais personnellement, au bout de huit jours, j’avais l’impression d’être un pion dans un système, une ligne dans un fichier Excel. J’ai éprouvé un sentiment de frustration, dû à l’inertie d’un grand groupe, l’aspect politique, le pouvoir », explique-t-il. Au point qu’il passera une semaine plus tard un entretien dans une TPE sans salarié… Il finit par rester trois ans chez Airbus, comme directeur de projets informatiques, mais rêve d’évoluer, de changer de poste. C’est au cours d’une formation, à Paris, que survient le déclic, « l’idée de créer une palette de services autour d’une plateforme informatique ».
Le projet prend forme peu à peu. « J’ai arrêté de chercher à bouger au sein d’Airbus, pour peaufiner mon projet. Ça a duré deux ans ». En 2006, Pascal Grémiaux crée son entreprise et quitte l’avionneur. « En quelque sorte, j’étais au pied du mur, mais en même temps, la création d’Eurécia, c’était vital, une manière de survivre tant je m’ennuyais. J’allais dépérir, devenir frustré. J’étais véritablement obsédé ». Même les nombreux refus de financement qu’il essuie à l’époque, d’une certaine manière, le confortent : « cela a été une étape importante. C’est là que j’ai appris à avoir confiance en moi, en mes convictions, à m’écouter », se souvient-il.
Répondre aux problématiques auxquelles lui-même s’est trouvé confronté dans sa vie professionnelle, c’est en quelque sorte la baseline de la plateforme développée par Eurécia qui n’a cessé, depuis, de s’enrichir de nouveaux modules. « L’idée était de bâtir une offre qui touche l’ensemble des collaborateurs et ne soit pas réservée à quelques-uns ; qui cible la PME, parce que les grands comptes, j’en avais eu ma dose. J’avais envie de relations de proximité, dynamiques. » Le dirigeant fait aussi le choix du cloud, « ce qui permettait de tout gérer à distance », une donnée importante pour ce père de famille. « J’ai aussi construit Eurécia en fonction de mes contraintes et de la vie que j’avais envie de mener, assure-t-il. Pour moi par exemple, il était inconcevable d’être sur la route ou en clientèle trois jours par semaine, parce que j’avais mes enfants à garder. Au final, la construction a été très longue, mais le fil conducteur, c’est la volonté d’avoir ma liberté et d’être bien dans mon job au quotidien », affirme-t-il. Une période durant laquelle il a fait sienne cette citation : « dans la vie, il est souvent nécessaire d’entreprendre pour espérer et de persévérer pour réussir. » Une leçon d’humilité : « j’ai appris que ce n’est pas parce qu’on se lance qu’on va y arriver. Il faut travailler sans relâche. J’ai traversé des moments de doute, mais j’y croyais fortement, un mélange de conviction, d’intuition, de volonté et d’inconscience aussi ».
La crise de la Covid-19 n’a fait que renforcer le dirigeant dans ses convictions : « on a tous envie de vivre mieux, de trouver un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Ce n’est pas incompatible. Notre mission chez Eurécia, c’est justement d’essayer d’accompagner les entreprises dans cette transformation, non seulement à travers les outils du SIRH (système d’information de gestion des ressources humaines, NDLR) mais aussi à travers l’accompagnement de tous les acteurs de cette transformation, qu’il s’agisse des managers, des équipes RH et des collaborateurs, avec un module de coaching personnel, qui va permettre à chacun d’avancer et de progresser sur soi-même et essayer de trouver cet équilibre ». Pas de doute qu’il a trouvé le sien.