La Compagnie des Pyrénées, vers un modèle plus résilient

Pour accompagner la transition des stations de montagne vers un développement plus pérenne, la Région et la Banque des Territoires ont renforcé les moyens de N’PY. La SAEM, rebaptisée Compagnie des Pyrénées, est dotée de nouvelles ambitions. 

Si, crise sanitaire oblige, les remontées mécaniques sont à l’arrêt, dans les domaines skiables des Pyrénées, une révolution silencieuse est à l’œuvre. La Région Occitanie et la Banque des Territoires ont en effet décidé d’intervenir pour soutenir la transition des stations de montagne vers un développement plus pérenne en s’appuyant sur le savoir-faire de N’PY, rebaptisée en octobre dernier la Compagnie des Pyrénées. 

C’est en février dernier à Montpellier, que les élus de la Commission permanente du Conseil régional ont effet validé l’augmentation de la participation de la Région au sein de N’PY, dont le capital est passé de 60 800 € à 3,8 M€, et entériné la création d’une SAS de participation visant à accompagner les stations dans leur développement. « Face aux enjeux du changement climatique, si nous souhaitons préserver les emplois et la dynamique des Pyrénées, il devient primordial de changer d’échelle pour apporter des réponses aux besoins de nos stations, dans une démarche de promotion et de développement d’un tourisme durable, raisonné et innovant. La Compagnie des Pyrénées interviendra à trois niveaux : commercialisation, exploitation et investissement. La participation de la Région et de la Banque des territoires lui permettra en effet de jouer le rôle d’investisseur et de garantie bancaire pour soutenir les projets locaux. Ainsi, nous répondons notamment au besoin d’investissement des stations pyrénéennes, qu’il s’agisse de réhabilitation du patrimoine bâti ou de diversification des activités, dans la perspective d’un tourisme quatre saisons », expliquait à l’époque la présidente de Région, Carole Delga. 

D’UN MODÈLE À L’AUTRE 

Créée en 2004, la Société anonyme d’économie mixte (SAEM) N’PY a pour vocation de favoriser le partage d’expérience et l’accompagnement dans les domaines du marketing, de la commercialisation et des ressources humaines dans une logique de mutualisation des moyens. Premier acteur des Pyrénées françaises représentant plus de la moitié du marché du ski pyrénéen, elle regroupe sept domaines skiables (Peyragudes, Piau, Grand Tourmalet, Luz Saint-Sauveur, Cauterets, Gourette et La Pierre Saint-Martin), trois grands sites (Pic du Midi, Cauterets-Pont d’Espagne et Train de la Rhune) ainsi que quatre espaces nordiques (Piau-Pineta, Payolle, Le Pont d’Espagne à Cauterets et La Pierre Saint Martin-Le Braca). 

Ce changement de nom traduit à la fois « le changement de périmètre d’intervention, puisqu’aujourd’hui on intervient sur l’ensemble de la chaîne des Pyrénées, mais également le changement de mode d’intervention, explique Christine Massoure, directrice générale de la SAEM Compagnie des Pyrénées. Jusqu’à présent, nous étions principalement des sociétés de services, que ce soit N’PY ou N’PY Résa. Mais depuis ce printemps, nous sommes en capacité de capitaliser des sociétés mixtes locales via une nouvelle société, la Compagnie des Pyrénées Participations. C’est un changement majeur dans notre positionnement vis-à-vis des stations de montagne. L’objectif est de leur donner les moyens de se développer, mais aussi de s’adapter. L’activité neige reste une activité structurante dans le sens où elle porte elle-même un volume important de salariés, mais elle génère surtout dans les territoires des retombées très importantes qui permettent à la montagne de vivre toute l’année. L’enjeu des années à venir est de trouver un modèle qui s’adapte à l’attente de la clientèle et aux évolutions climatiques et génère une économie qui permette aux territoires de continuer à vivre. » 

Aider les stations de montagne à investir mais pas seulement, assure Christine Massoure : « il s’agit aussi d’innover, notamment en termes d’équipements. Aujourd’hui, les domaines skiables restent très frileux, s’agissant des activités hors ski, car ce ne sont pas des activités rentables. Le travail porte donc sur la définition du modèle économique qui permettra de se projeter dans ces nouvelles activités ». La Compagnie des Pyrénées mène une activité de veille sur ces sujets complexes, « parce que la problématique n’est ni française, ni européenne, mais mondiale. Le modèle américain, par exemple, fonctionne sur le principe de resort. C’est le domaine skiable qui gère aussi la restauration et l’hébergement, le produit ski, n’étant qu’un produit annexe. En France, ce modèle n’est pas crédible dans la mesure où les opérateurs de la restauration ou de l’hébergement sont bien installés et font bien leur métier. On ne peut pas imaginer se substituer à eux. En revanche, nous sommes en train de travailler sur la mise en commun de moyens dans différentes activités. Les établissements de bien-être, par exemple, ont une importance majeure dans les Pyrénées. Nous réfléchissons donc à des pistes d’articulation des moyens, à la fois pour limiter les charges des sociétés exploitantes et concevoir des produits qui répondent aux nouvelles attentes des clients. À la sortie de la crise, il y aura un besoin de bien-être au sens large, de nature, qui fait que les choses peuvent s’accélérer. Mais tout cela reste à inventer ! » 

PREMIÈRE PARTICIPATION 

Sans plus attendre, la SAS Compagnie des Pyrénées Participations est entrée au capital de la société d’économie mixte locale (SEML) du Grand Tourmalet à hauteur de 19 %, aux côtés du Syndicat intercommunal à vocation unique (Sivu) du Tourmalet (détenteur de 81 % du capital). De création récente, cette SEML a repris depuis juin dernier l’exploitation du domaine skiable du Grand Tourmalet. La structure prévoit d’investir 32 M€ sur 10 ans, tant dans les infrastructures que l’hébergement, en vue de faire du domaine « le mètre étalon de la station de demain », l’objectif étant de « pérenniser le développement économique raisonné » du territoire en favorisant « la diversification de ses activités » via « l’innovation technologique et environnementale ». 

Invoquant « le réchauffement climatique, les infrastructures coûteuses, les équipements d’hébergement souvent dépassés, un marché mondial du ski stagnant, l’émergence de nouvelles pratiques sportives et ludiques » qui rendent de plus en plus complexes les stratégies d’investissement dans les stations de montagne, le Département des Hautes-Pyrénées a décidé, lors d’un vote intervenu le 4 décembre, de devenir à son tour actionnaire à hauteur de 90 K€ de la Compagnie des Pyrénées. Il est le premier à le faire mais d’autres collectivités pourraient suivre selon Christine Massoure. « Nous avançons également très rapidement avec la région Nouvelle-Aquitaine, les départements de l’Ariège et des Pyrénées-Orientales qui sont aussi en train de réfléchir à une évolution de leur modèle d’aide aux domaines skiables, passant d’une intervention sous forme de subvention à une prise de capital, ce qui est un changement de paradigme fort, précise-t-elle. Mais tout cela est en train de se mettre en place, sachant que cette structuration se fait au moins pour les 20 ans à venir. Mieux vaut donc prendre un peu de temps pour bien poser les fondements que se précipiter ! » 

Quid de l’entrée de la Haute-Garonne au capital de la Compagnie des Pyrénées ? « Le département est en train de se structurer autour d’un syndicat mixte (créé en 2018, Haute-Garonne Montagne a vocation à gérer les stations de Luchon-Superbagnères, du Mourtis et de Bourg d’Oueil, NDLR). Rien ne l’empêcherait, à l’issue de cette structuration, de rejoindre la Compagnie, s’il souhaitait faire évoluer son modèle. Je pense que nous serons au moins amenés à échanger. » 

SUR TOUTE LA CHAÎNE DES PYRÉNÉES 

Cette révolution silencieuse passe aussi pour Christine Massoure par la commercialisation. « Aujourd’hui les Pyrénées ont une bonne image. Elles restent la dernière cordillère d’Europe sauvage et nature. Mais lorsqu’il s’agit de passer de l’intention aux vacances dans les Pyrénées, tout devient compliqué. La réflexion que nous avons déjà menée sur le périmètre de N’PY, nous voulons l’élargir à l’ensemble des Pyrénées, de manière à pouvoir donner accès à l’ensemble de l’offre et faire en sorte de bâtir des produits complémentaires et non pas concurrents comme c’est encore trop souvent le cas. » 

Quid des relations de la Compagnie des Pyrénées avec cet autre acteur important dans le massif qu’est Altiservice ? L’ex-filiale d’Engie, cédée par l’énergéticien au fonds BTP Impact Local de Mirova du groupe Natixis, exploite les domaines skiables de Font-Romeu Pyrénées 2000 et Saint-Lary. « Il y a de la place pour deux acteurs qui n’ont pas les mêmes modalités d’intervention. D’un côté, une collectivité délègue l’ensemble de son activité neige à un opérateur privé, dans le cadre d’un contrat. Mais elle n’est plus acteur de ce contrat. De l’autre côté, dans la société d’économie mixte, la collectivité reste majoritaire et donc réellement actrice de son développement. Ces deux modèles ne s’affrontent pas », assure Christine Massoure. 

Sur le papier mais dans les faits, la Compagnie des Pyrénées a engagé en septembre un recours devant le tribunal administratif de Pau pour contester la prolongation de la délégation de service public (DSP) dont bénéficie Altiservice pour l’exploitation de la station de Saint-Lary, accordée par le Sivu Aure 2000. « Les DSP obéissent à des règles très précises, détaille Christine Massoure. Nous n’avons pas pu, à plusieurs reprises, prolonger les contrats parce que les textes ne le permettent pas. Là, nous sommes face à une prolongation sur une période très longue, au total de plus de 20 ans. Pour nous, cela n’est pas légal. Certes cette prolongation sécurise l’exploitant. Mais notre recours vise la décision du Sivu d’Aure 2000, l’idée étant de rappeler aux collectivités que les DSP, quel qu’en soit l’objet d’ailleurs, répondent à des règles très précises. Le but est aussi de ne pas fermer la porte pour les 20 années à venir. Le développement d’une vallée comme celle d’Aure avec ses deux stations de Saint-Lary et de Piau, gagnerait plus à collaborer qu’à s’affronter. La collaboration est le principe qui fonde la Compagnie des Pyrénées. Nos concurrents ne sont pas ici mais loin du territoire. Essayons de trouver des modèles qui permettent de proposer une offre séduisante, complémentaire pour aller chercher de nouveaux clients. Parce que le marché de la montagne pyrénéenne est mature, la seule solution aujourd’hui, pour gagner des clients, c’est de les “prendre au voisin”. On ne peut pas rester dans cette logique ». Outre la création récente de la Compagnie des Pyrénées Participations – qui s’ajoute aux deux filiales déjà existantes, la SAS N’PY Résa (désormais en charge de la communication et de la commercialisation) et Skylodge (dédiée à l’exploitation d’hostels), une société foncière devrait également voir le jour dans les prochaines semaines. « La Foncière des Pyrénées va également permettre à des projets immobiliers de se réaliser, détaille Christine Massoure. Il peut s’agir aussi de rénovation. L’idée, en effet, n’est pas de bâtir des mètres carrés additionnels, mais de créer des lits chauds (des lits dont le taux d’occupation est supérieur à 12 semaines par an, NDLR) plutôt que des résidences secondaires. »

De son côté, Skylogde a ouvert en décembre 2018 un hostel pilote à Piau, un établissement de 290 lits qui a nécessité 5,5 M€ d’investissement. Cette ancienne résidence de vacances entièrement rénovée accueille une clientèle très diverse : jeunes, seniors, familles et groupes, en hiver comme en été, avec à l’appui une politique tarifaire très agressive. Le Skylodge de Piau a enregistré 15 000 nuitées l’an dernier. « Cela a permis de développer une clientèle totalement nouvelle puisque 75 % des personnes n’étaient jamais venues à Piau. C’est un premier motif de satisfaction. Ensuite Skylodge est un des moteurs de notre activité de R & D. Un établissement important comme celui-ci, avec des espaces communs assez vastes, peut en effet être le point de départ d’activités différentes et donc un lieu autour duquel nous pouvons structurer la diversification des activités. C’est un pilote innovant qui nourrit notre réflexion ! » D’autres projets de création de Skylodge sont du reste dans les cartons, même si précise Christine Massoure, « la Foncière des Pyrénées n’est pas dédiée uniquement à la réalisation de ce type d’hostel. D’ailleurs nous réfléchissons à des partenariats avec de grands opérateurs pour accélérer ce développement. Notre vocation n’est effectivement pas de devenir hébergeur. Nous l’avons fait pas défaut pour pousser une innovation qui nous semblait nécessaire pour dépoussiérer l’offre d’hébergement. » 

Pour l’heure, alors que les vacances de fin d’année débutent, les professionnels se sont mobilisés pour proposer des activités alternatives. Christine Massoure espère dès lors un afflux de touristes en station durant les prochains jours. « Les aides qui vont venir soutenir l’activité des domaines skiables sont conséquentes. Et nous ne sommes pas les seuls en difficulté. Il faut faire preuve de civisme », reconnaît-elle en attendant impatiemment le 7 janvier… une hypothétique réouverture. 

De N’PY à la Compagnie des Pyrénées 

La SAEM N’PY d’origine (Peyragudes, Grand Tourmalet, Luz-Ardiden, EPSA Gourette/La Pierre Saint Martin) s’est renforcée avec l’entrée de nouveaux actionnaires publics (Cauterets, Piau, Pic du Midi) dans un premier temps, puis, en 2016, avec l’arrivée de la Caisse des Dépôts et la création d’une première filiale : N’PY Résa. En 2018, un audit des domaines skiables et du groupe N’PY réalisé par la Compagnie des Alpes Management a conclu à la nécessité de renforcer N’PY afin de lui donner « la capacité d’accompagner les domaines skiables et sites touristiques dans les transformations majeures nécessaires à leur pérennité, la diversification de leur activité et l’adaptation de l’immobilier de tourisme ». Convaincus du bien-fondé de cette analyse, la Région Occitanie et la Banque des Territoire ont alors décidé de la soutenir. Le 24 janvier 2020, Michel Boussaton, représentant de la Région Occitanie, a été élu président de la SAEM N’PY, société à la tête du groupe N’PY (SAEM N’PY, SAS N’PY Résa et SAS Skylodge). Il a succédé à Michel Pélieu, qui a occupé le poste de président de N’PY depuis sa création en 2004. Michel Boussaton est chirurgien orthopédiste et administrateur de clinique. Ancien président régional de l’ordre des médecins, il a été élu conseiller régional Midi Pyrénées en 2010, puis Occitanie en 2015.