La communication : « une nécessité absolue »

Jean-Luc Herrmann, directeur du Cerefige (Centre européen de recherche en économie financière et gestion des entreprises, université de Lorraine).

La planète communication est en mouvement perpétuel ! L’univers de l’entreprise est directement impacté par les bouleversements entraînés par la conjoncture actuelle. Communication externe, interne, événementielle, décryptage avec le professeur Jean-Luc Herrmann, directeur du Cerefige (Centre européen de recherche en économie financière et gestion des entreprises, université de Lorraine), titulaire de la Chaire communication persuasive des organisations.

La pandémie, la crise sanitaire ont bouleversé l’univers des entreprises, la communication interne est apparue comme un levier indispensable à actionner. Quels sont les grands axes à mettre en œuvre pour une communication interne réussie en cette période de crise ?

Face à cette crise et aux façons de travailler inédites qui se sont imposées à tous les acteurs socio-économiques (activité réduite voire fermeture, chômage partiel, télétravail massif subi, etc.), la communication interne constitue évidemment une nécessité absolue. La variété des situations empêche évidemment d’emblée de croire qu’il existe des recettes magiques. Toute situation mérite d’être analysée avant d’entreprendre des actions destinées à l’améliorer, qu’il s’agisse de la communication (interne ou externe), ou de tout autre chose, il s’agit là d’un principe fondamental du marketing et plus généralement des sciences de gestion. Cette situation de crise sanitaire et les changements majeurs qu’elle a imposés sur le plan de l’activité des entreprises et des manières de travailler ont notamment conduit aux activités et au travail à distance, synonyme de bien moins d’interactions humaines directes engendrant toutes sortes de besoins, tant pour les personnels que pour les entreprises et les organisations. Pour y répondre et éviter ou atténuer les risques associés et leurs conséquences négatives, une communication interne spécifique et dédiée s’est avérée indispensable. Si les pratiques elles-mêmes ont certainement été très variées au gré des spécificités des activités mais aussi au gré de la créativité des uns et des autres, il me semble primordial de garder à l’esprit que l’objectif principal de ces temps de communication et donc d’échanges est de rendre possible (en partie au moins) via des interfaces digitales les interactions humaines avec les autres parties prenantes (autres salariés, managers, mais aussi clients, fournisseurs, etc.) qui ont disparu ou été fortement réduites du fait de la pandémie. Partant de là, en se référant à certaines recherches conduites au sein du Cerefige par exemple par Jean-François Stich sur les conséquences du télétravail, émergent trois grands principes.

Quels sont ces principes clés ?

Premièrement, les actions de communication interne doivent répondre à la perte de proximité physique quotidienne avec tous les autres salariés, et à ses conséquences en termes d’échanges formels et informels d’informations, de réactions affectives plus ou moins partagées, de comportements adoptés, observables et observés, autant de sources potentielles de perte de confiance et de stress ressenti. Il s’agit dès lors simultanément, de réduire la distance ressentie par chaque individu (et d’éviter les souffrances potentielles engendrées par l’isolement), et de (re) créer lien, confiance et implication au bénéfice du bien-être de l’individu et de son entreprise ou organisation. Deuxièmement nous ne sommes pas tous égaux face à l’utilisation des interfaces digitales multiples et variées susceptibles d’être mobilisées (source de (techno-) stress pour certains), d’où le besoin d’imaginer des dispositifs d’accompagnement plus ou moins adaptables et adaptés en fonction du ressenti des uns et les autres. Troisièmement, en lien avec le point précédent, il convient d’évaluer de façon récurrente l’efficacité des actions mises en œuvre aux niveaux collectif et individuel, en veillant par exemple à éviter la perception tant d’une surcharge de communication (propice en situation de télétravail dans l’environnement privé où se télescopent constamment préoccupations professionnelles et privées), que d’une sous-charge de communication conduisant l’individu à se sentir oublié par les autres, son équipe d’appartenance, et/ou son entreprise ou organisation. Observons par ailleurs en référence aux études menées par le professeur Laurent Taskin de l’université catholique de Louvain qu’il existe chez les salariés un réel souhait de garder une pratique de télétravail autour de deux jours par semaine. Pas davantage, car la crise a aussi contribué à mettre en valeur l’importance du collectif : une entreprise, une organisation, c’est avant tout une communauté humaine. Dès le retour en entreprise il conviendra d’ailleurs de faire un bilan de ce télétravail : ce qui était bien, ce qui a moins marché, les activités pour lesquelles le présentiel est indispensable, etc. Ce qui est important, et l’entreprise devra communiquer sur ce point, c’est de ne pas faire du télétravail pour faire du télétravail mais de l’intégrer dans une politique plus globale tenant compte du bien-être des collaborateurs, et in fine donc aussi de l’organisation.

La notion de communication persuasive, aussi bien chez nos politiques que dans l’univers entrepreneurial et le marketing, a-t-elle été renforcée pendant la période que nous connaissons, quels sont les grandes lignes à suivre ?

Essentielle en situation normale, la communication devient indispensable en situation de crise. C’est vrai pour une entreprise, une organisation ou un pays. Il est pourtant difficile d’apprécier si la communication a été renforcée pendant la période que nous vivons…

Pourquoi ?

D’un côté l’on peut en avoir l’impression du fait du rôle d’amplificateur souvent (involontairement) joué en ce type d’occasions par les médias et plus généralement les individus qui relaient quasi continuellement via internet et les réseaux sociaux toutes sortes d’informations et de commentaires (parfois volontairement faux) sur les actions de communication des organisations, les rendant potentiellement plus (omni) présentes qu’elles ne l’étaient en réalité… En outre, et comme l’analyse le professeur Christian Derbaix (université catholique de Louvain, site de Mons), on a vu et on voit encore une communication suscitant l’angoisse, le stress, la peur, le découragement (lorsque les indicateurs ne baissent pas malgré les efforts de nombreuses personnes), et parfois l’espoir. En clair, on voit de nombreuses réactions affectives dont certaines absolument non recherchées par les communicants, spécialement les réactions affectives négatives. Le tout dans un contexte où règne l’incertitude, incertitude que les individus détestent ! D’un autre côté, il est couramment admis que dans les situations de crise les premiers budgets qui en font les frais sont ceux des dépenses de communication, les entreprises recherchant des solutions pour réduire les charges et éviter la défaillance et ainsi s’adapter avec plus ou moins d’agilité à la situation fort préoccupante qu’elles tentent alors de traverser. La plupart des chiffres avancés ici et là sont en accord sur cette tendance à une baisse significative de l’ordre de plus ou moins 10 % par rapport à la période avant la Covid-19, qu’ils proviennent des dépenses des annonceurs ou des recettes publicitaires des médias (cf. Baromètre unifié du marché publicitaire, France Pub-IREP-Kantar). Pour autant, si l’on se réfère aux travaux académiques publiés sur la question des conséquences d’une réduction des dépenses de communication en période de crise et de récession, et même si les recommandations ne sont pas unanimes et sont évidemment contingentes à de multiples facteurs, force est de retenir qu’il importe de continuer à communiquer durant une récession économique, et qu’une bonne communication marketing peut s’avérer fort bénéfique pendant et après la période de crise.

Si la communication interne semble avoir pris une grande importance, notamment au début de la pandémie avec le chamboulement des façons de travailler (télétravail), la communication externe se révèle tout aussi primordiale. Comment mener une bonne stratégie de communication externe ?

En situation de crise il apparaît bien sûr primordial de communiquer. Gardons toutefois à l’esprit que dans le cas de la Covid-19, il ne s’agit pas d’une entreprise ou d’une marque qui se trouve à l’origine de l’apparition de la situation de crise, comme ce peut être le cas lorsque par exemple un produit défectueux s’avère dangereux pour les consommateurs. Ceci dit, crise ou non, une marque, une entreprise, une organisation doit demeurer présente dans l’esprit de « ses » consommateurs et plus généralement chez toutes les parties prenantes de son écosystème. Elle doit absolument chercher à demeurer proche, maintenir une certaine proximité par-delà les circonstances imposées par la crise, et veiller à ce que cette proximité soit ressentie par tous. Mais là encore il n’y a pas de recette magique, et ce d’autant plus que tous les secteurs d’activité, catégories de produits et services ne sont pas impactés de la même manière par la crise Covid-19. Ce qui importe néanmoins sans doute plus que jamais, c’est le respect des fondamentaux d’une bonne communication persuasive, qui doivent absolument guider les actions de communication envisagées, ce qui n’empêche pas évidemment de prendre en compte les caractéristiques spécifiques du contexte que crée cette situation de crise de la Covid-19 dans la mise en œuvre et l’exécution des actions de communication. Le grand principe de base qui mérite sans doute d’être rappelé ici est le suivant : la communication de l’organisation doit absolument faire écho aux préoccupations et besoins ressentis par sa cible, c’est-à-dire qu’il s’agit de communiquer des éléments qui ont de la valeur pour la cible au moment où elle va être exposée à la communication, mais toujours en restant particulièrement fidèle à ce qu’est réellement l’organisation, l’entreprise ou la marque, en un mot à son ADN.

Les éléments communiqués sont susceptibles d’avoir de la valeur pour la cible de différentes manières, ici en mettant en avant l’adaptation de son offre, là en montrant son utilité ou son engagement face à la situation de crise.

Déjà fortement utilisés, les réseaux sociaux et autres outils digitaux ont littérale- ment explosé, nécessitant une maîtrise certaine de leur utilisation, comment mener une bonne communication via ces outils sans se faire submerger ?

Les réseaux sociaux permettant le lien social et les interactions entre leurs membres, sont progressivement devenus des moyens de communiquer de l’information et du contenu. Dans le cadre de la communication externe des entreprises qui nous intéresse, ils doivent à mon sens d’abord être vus ainsi, c’est-à-dire comme des supports d’un nouveau média, Internet, faisant désormais partie de l’ensemble des médias disponibles (donc aux côtés des grands médias traditionnels) pour parvenir à transmettre un message à une cible. Partant de là, le plus important est de développer une vision intégrée, multimédias, de la communication de l’organisation, tout en sachant que chaque média peut s’avérer plus ou moins adapté en fonction du contenu du message à transmettre. Une fois les objectifs et les cibles prioritaires définies, il s’agit avant tout d’élaborer une stratégie globale et intégrée de communication pour les atteindre, qui m’amène à spontanément attirer la vigilance sur deux questions étroitement liées

Quelles sont ces interrogations ?

Celle de la cohérence d’ensemble qui renvoie à la nécessaire combinaison de plu- sieurs médias (et d’un ou plusieurs supports pour chaque média retenu) et aux éventuelles synergies escomptées en matière d’efficacité par rapport aux objectifs et cibles visés, et celle des ressources adéquates, en particulier des compétences professionnel- les indispensables pour mener à bien l’ensemble de ces choix nécessaires, et ensuite pour les mettre en œuvre avec les qualités d’exécution requises.

Les TPE et les PME considèrent souvent que la communication n’est pas forcément une priorité. Les choses évoluent-elles ?

Même si la communication ne reçoit sans doute pas toujours spontanément l’attention et l’importance qu’elle mérite dans les TPE faute souvent de ressources humaines et financières spécifiquement dédiées, la principale difficulté que je perçois sur ce plan est la complexification toujours accrue de l’ensemble de l’écosystème de la communication, du marketing et des affaires plus généralement, qui nécessite des ressources et des compétences spécifiques. Pourtant, étant donné le poids que les TPE et PME représentent sur le plan socioéconomique, et la nécessité de bien communiquer pour toute entreprise qui veut réussir durablement, il est vraiment souhaitable que les choses progressent dans ce sens.

La communication par l’événementiel a connu un arrêt brutal des congrès et autres séminaires et salons depuis un an et demi, entraînant un changement de modèle. Quel est son avenir ?

La communication événementielle compte un certain nombre de caractéristiques distinctives par rapport aux autres formes de communication qu’il convient d’avoir à l’esprit pour évoquer son avenir. Comme son nom l’indique, la communication par l’événement met d’emblée l’accent sur l’événement, et ce faisant sur l’expérience que vivront ceux (clients, consommateurs, collaborateurs…) qui participeront à cet événement. Nombreux sont les chercheurs à travers le monde – y compris en France, en marketing notamment, en particulier dans le Grand Est élargi à la Bourgogne et à la proche province belge du Hainaut – qui se sont intéressés à la notion d’expérience de consommation. La grande majorité sinon tous seraient sans doute d’accord pour reconnaître qu’une expérience, vue comme une interaction entre une personne et un objet dans le cadre d’une situation, est source pour la personne de sensations et d’états affectifs, de sens et de significations individuelles et sociales, ainsi que de perceptions relatives au temps passé et de certaines actions en lien avec l’intensité de son implication dans l’expérience que la personne vit. Au regard de cette grille de lecture, je crois qu’on doit être confiant dans l’avenir de la communication événementielle, ce qui ne veut pas dire qu’on la retrouvera à l’identique de ce qu’elle était avant la crise de la Covid-19. L’expérience de cette crise sanitaire a en effet entraîné de tels chamboulements (et apprentissages corollaires) dans ce secteur de l’événementiel, qu’il y a fort à parier qu’ils ne seront pas sans incidence sur les pratiques futures. Par rapport au mode présentiel, le distanciel imposé par la crise a incontestablement conduit à des pratiques qui n’ont pas révélé que des inconvénients, inconvénients qui avec le temps et les apprentissages associés pourraient sans doute encore être atténués en s’inspirant par exemple des moyens et savoir-faire de la production audiovisuelle et cinématographique pour enrichir le contexte expérientiel des événements en ligne. Mais de là à remplacer la richesse et l’intensité des gratifications reçues par les individus participant aux événements live, certainement pas…

Quelle sera la communication de demain pour les entreprises ?

C’est une vaste question… tant les évolutions sont continuelles en matière de technologies de l’information et de la communication, de nouveaux médias et de nouveaux formats de communication (avec plus de personnalisation en termes de contenu, de lieu, de moment), engendrant inévitablement des évolutions permanentes des comportements des consommateurs.

Ces évolutions et développements ont encore accru l’omniprésence de toutes sortes de communications, pas seulement d’ailleurs des marques et des entreprises, auxquelles sont continuellement exposés les individus dans leur vie quotidienne… Et comme si cela ne suffisait pas, ces mêmes individus s’activent à relayer les informations ou communications reçues, et en produisent de plus en plus souvent eux-mêmes pour les diffuser à leur tour ! L’une des conséquences directes de toutes ces évolutions est que les marques et les entreprises ont de moins en moins, et perdent de plus en plus, le contrôle des communications les concernant. J’en retire deux grands enseignements pour la communication de demain.

Lesquels ?

La communication pourrait être plus « indirecte », plus subtile (moins « directement » commerciale) dans la manière de délivrer le message de la marque ou de l’entreprise afin d’atténuer la perception d’une trop explicite tentative de persuasion et d’éviter les réactions négatives (et leur diffusion) susceptibles d’en résulter. En fait, parvenir à faire passer un message sans avoir besoin de l’exprimer explicitement, mais en cherchant à faire en sorte que les consommateurs ressentent progressivement l’équivalent du message au gré de leurs expériences de contact avec l’entreprise ou la marque, qu’ils le diffusent autour d’eux, et qu’ils deviennent « naturellement » des « ambassadeurs » de l’entreprise ou de la marque.

Quelle autre évolution ?

La communication pourrait être toujours plus globale et intégrée, les expériences de contact des consommateurs avec la marque ou l’entreprise dépassant de loin les expériences d’exposition aux actions menées dans le strict périmètre de ce qu’évoque traditionnellement la communication, ce qui nécessite une plus grande coordination et intégration de l’ensemble des signaux et messages émis dans toutes les actions menées par l’entreprise. Cette vision plus globale et plus intégrée concerne dès lors aussi la mesure et le contrôle de l’efficacité l’ensemble des actions mises en œuvre pour promouvoir l’entreprise ou la marque.

Propos recueillis par Emmanuel Varrier, Les Tablettes Lorraines, pour RésoHebdoEco www.reso-hebdo-eco.com