La commande publique s’adapte à la crise

Président de la société LPME, Yannick Paris est spécialiste des marchés et de la commande publique.

L’économie ayant été affectée par un ralentissement de l’activité, la commande publique n’a pas échappé à la crise. Pour limiter les conséquences et relancer les marchés publics, l’État a pris certaines mesures.

Entre confinement et report du second tour des élections municipales, quels sont les impacts de cette crise sanitaire sur les marchés publics ?

Yannick Paris : Beaucoup de marchés publics ne peuvent aujourd’hui être exécutés et certaines entreprises sont ainsi dans l’incapacité à honorer leurs engagements contractuels, parce que les dispositions sur lesquelles elles étaient engagées ne peuvent pas s’exécuter comme prévu en raison de problème d’approvisionnement en fournitures, d’impossibilité de faire travailler leurs équipes dans des conditions sanitaires satisfaisantes ou encore d’incapacité de se déplacer… Parfois même, ce sont les collectivités qui ont demandé aux entreprises de suspendre voire même de ne plus faire ce qui était prévu, on sera dans ce cas face à une résiliation de marché. Le contexte change et impacte tout le monde. Rappelons tout de même que les marchés publics représentent 120 milliards d’euros par an en France dont 2,8 milliards rien qu’en Bourgogne Franche-Comté, tous domaines d’activité confondus, soit entre 8 et 10% du PIB.

Sont-ce des évènements pris en compte habituellement et quelles sont les solutions ?

Y.P : Habituellement, dans certains contrats, il y a certaines clauses qui prévoient des situations de cas de force majeure. L’État en a parlé dans ses allocutions, ils ont tout de suite dit que dans les marchés publics, compte tenu de cette situation de force majeure, les sanctions contractuelles ne seront pas impliquées. Ceci dit, juridiquement, c’est un peu plus compliqué parce que la force majeure est définie par l’article 1218 du Code civil et caractérisée par un certain nombre de conditions, à savoir l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité. Là, en l’occurrence, une crise sanitaire est bien extérieure aux deux parties du contrat. Elle est aussi imprévisible pour en tout cas les marchés qui ont été passés avant la crise sanitaire, en revanche, ceux qui sont passés après le 12 mars ne pourraient plus vraiment se ranger derrière une situation de force majeure. Ainsi, le Code civil prévoit qu’en cas de situation de force majeure, les deux parties peuvent légitiment remettre en cause les conditions du contrat. Indépendamment du Code civil, certains contrats prévoient eux-mêmes une clause pour indiquer ce qu’il se passera en cas de situation de force majeure.

L’État a-t-il pris des mesures plus spécifiques depuis le début de cette crise ?

Y.P : Dans son ordonnance 2020-319 du 25 mars 2020, l’État a en effet apporté une réponse législative à cette situation pour essayer de minimiser les impacts. Elle a finalement traduit en partie les allocutions du Président de la République et du gouvernement dans la loi, précisant des dispositions d’application du Code de la commande publique dans l’intérêt des parties.

Pour les contrats en cours, elle prévoit que, si l’entreprise le demande et à condition d’un lien avéré et justifié entre le retard et la crise sanitaire, elle peut obtenir une prolongation des délais contractuels. Ce délai est prolongé d’une durée au moins équivalente à celle mentionnée à l’article premier de l’ordonnance, qui dit que c’est pendant l’État d’urgence sanitaire défini par une loi du 23 mars 2020, c’est-à-dire du 12 mars 2020 à quatre mois au-delà, l’ordonnance prolongeant de deux mois la durée mentionnée par la loi du 23 mars. Ça reconnaît ainsi qu’il faut plus de temps à l’entreprise quand celle-ci est empêchée par cette crise sanitaire. Le deuxième point très important de cet article 6 est qu’il n’y aura pas de sanctions ni de pénalités contractuelles (Art. 6 – 2-a). Dans ce texte est aussi mentionnée la possible indemnisation s’il y a résiliation ou annulation par l’acheteur en raison des mesures prises par les autorités dans le cadre de l’État d’urgence sanitaire. Enfin, entre autres dispositions sur les contrats en cours qui viseraient à limiter les besoins en trésorerie des entreprises, la collectivité à la possibilité d’augmenter le montant des annonces prévues au contrat.

Concernant les procédures en cours, il y a évidemment nécessité de les aménager pour tenir compte de la crise. Le législateur demande notamment dans cette ordonnance, par les articles 2 et 3, que les délais laissés pour répondre aux appels d’offre soient suffisants et qu’ils soient aménagés, par exemple dans les cas de procédures qui nécessitaient des visites de chantiers ou encore des négociations ou des auditions des entreprises… Cela concerne bien sûr les appels d’offres qui ont été passé avant l’État d’urgence sanitaire mais dont l’échéance de remise des offres arrivait pendant, mais aussi les procédures qui sont menées maintenant, pendant cette période de crise sanitaire et pour lesquelles l’État demande là aussi aux collectivités d’avoir du bon sens en accordant suffisamment de temps aux entreprises pour pouvoir répondre et en fixant des modalités qui soient adaptées à cette situation particulière. Sur les contrats en cours et en lien avec les procédures en cours, les collectivités ont, d’après l’article 4, le droit de prolonger des contrats en cours pour lesquels elles n’auraient pas la possibilité de les renouveler, parce que la procédure actuelle a été empêchée par la crise sanitaire.

Quels conseils apporteriez-vous aux entreprises ?

Y.P : Côté entreprise, il faut signaler les difficultés le plus tôt possible à son client public, lui écrire en lui demandant des délais, documenter les difficultés pour pouvoir préserver ses intérêts. Il faut surtout essayer de trouver des voies amiables de règlement des différends si vraiment il y a des difficultés, ce qui peut arriver. Et si ça ne suffit pas ou ne débouche pas, ne pas hésiter à saisir le médiateur des entreprises.

Que révèle cette crise et comment voyez-vous l’après Covid-19 ?

Y.P : Cette situation de crise sanitaire révèle en effet un certain nombre de difficultés et de limites. Prenez par exemple un hôpital public qui doit acheter ses masques à l’étranger… Nous nous rendons finalement compte que nous sommes tributaires de l’Asie dans certains de nos approvisionnements… Ça révèle des limites que nous n’avions jamais touchées du doigt, ça interpelle sur le sens des critères d’évaluation des offres. Sachant que dans beaucoup de domaines, pour les fournitures, c’est le critère prix qui l’emporte.

Dans beaucoup de domaine, l’achat public va être obligé de se réinventer, de se restructurer, de se repositionner et peut-être en étant beaucoup plus stratégique avec des objectifs de promotion de l’économie locale et de relocalisation de certaines productions. Et sans doute que les limites que l’on a touché parfois du doigt en mettant trop en avant le critère prix par exemple va être révélé au travers de cette crise. Et je pense personnellement qu’on va aller de plus en plus vers ce que certains ont déjà initié depuis quelques années, c’est une recherche du bon achat public en faisant en sorte que l’achat public soit le bras armé ou le levier des ambitions politiques que nous avons dans notre territoire. Nous allons vers un nouveau paradigme en termes d’achat public, en tout cas je le souhaite. Il y aura à l’avenir une nécessaire réflexion à avoir sur le sens de nos achats.

LPME, EN ACTION

Pendant cette période de crise sanitaire la société LPME, présidée par Yannick Paris et spécialisée dans l’accompagnement des donneurs d’ordres publics comme des entreprises privées sur l’ensemble du territoire et dans toutes les problématiques que soulève un marché public, propose gracieusement un échange avec les entreprises en difficulté.

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