Alors que la troisième convention de la Confédération des petites et moyennes entreprises de Haute-Garonne vient d’avoir lieu, son président Samuel Cette, également président délégué de la CPME Occitanie, fait le point sur les sujets qui préoccupent ses adhérents comme la prise de risque et la fiscalité.
Le mouvement social des Gilets jaunes a fortement impacté l’économie et la vie politique française ces dernières semaines. Que vous inspire-t-il ?
Les Gilets jaunes sont le plus grand paradoxe du moment. Au début, ce mouvement était lié à un trop-plein fiscal, déclenché certes par une augmentation du prix des carburants, dont je me plais à rappeler qu’elle est aujourd’hui parfaitement identique, par le jeu de l’évolution du prix du baril et de l’application de la TIPP, à ce qui était à l’époque considéré comme scandaleux.
Depuis, de glissements en récupération, le mouvement s’est transformé en: « il y a trop de taxes, trop d’impôts, vite rajoutons-en ». C’est de cela dont il est question. On en est venu à l’idée qu’il faut augmenter les impôts des autres afin qu’ils paient, l’autre étant celui qui est plus riche que soi. Pourtant, si les Gilets jaunes avaient pris en considération qu’un grand nombre de patrons de TPE-PME sont les Gilets jaunes du CAC 40, peut-être auraient-ils fédéré plus de monde autour d’eux. Et peut- être que, dès lors par la force du nombre et non par la force de la casse extrémiste, auraient-ils été entendus plus facilement et plus en profondeur.
Que voulez-vous dire par plus en profondeur ?
Eh bien, en fin d’année, sur le dos de ceux qui continuent à payer, des annonces ont été faites qui vont coûter entre 8 et 10 Mds€. C’est d’autant plus un paradoxe : on utilise une vieille recette – une manifestation à laquelle on répond en filant de l’argent –, mais avec l’esprit « nouveau monde » de nos dirigeants, on ne tape pas trop sur l’entreprise. C’est le cas avec l’augmentation de la prime d’activité. Autrefois, on aurait fait payer les entreprises, mais vu qu’au sein de ce gouvernement, on a fait un peu plus d’études en économie, on s’est aperçu qu’en réalité, en augmentant le Smic on détruit des emplois. Regardez ce qui s’est passé en Espagne, où le gouvernement a décrété une augmentation de 200 € du salaire minimum. Cela s’est soldé le premier mois par la suppression de 20 000 postes et de 200 000 postes dans les deux mois. On peut noter, au passage, que le mouvement n’a pas pénétré l’entreprise. C’est aussi une nouveauté.
Quelle attitude la CPME 31 a-t- elle eu vis-à-vis du mouvement ?
Nous avons rencontré beaucoup de Gilets jaunes, nous sommes allés sur les ronds-points. On a essayé de débattre mais on est tellement éloigné qu’il faut faire preuve d’une grande altérité quand on est face à des personnes qui tiennent des discours par-delà le raisonnable. Car lorsqu’on parle de taxer plus, il y a des faits immuables qu’il est bon de rappeler. Le premier est notre taux de prélèvement obligatoire : 47,6 % en 2017. C’est le plus fort taux de l’OCDE. Dans le monde, il n’y a que la Corée du Nord qui est devant… Le deuxième est le taux de dépenses publiques : 57 %. C’est le plus fort taux du monde. Et que je sache, nous n’avons pas le meilleur service public au monde. Je suis pragmatique, je ne fais pas constamment le parallèle entre le fonctionnement de l’État et celui d’une entreprise. Évidemment, ce n’est pas pareil. Mais quand on a la dépense la plus importante et pas le meilleur service, c’est qu’il y a assurément des possibilités d’optimisation.
Quelles sont vos craintes ?
Certains chefs d’entreprise – c’est un signal d’alarme – n’ont pas trouvé d’autres moyens que de partir et c’est malheureux. Tant que cela ne concernait que les Bernard Arnault qui ont des actifs dans le monde entier, ce n’était pas très grave. Mais désormais, il y a des migrations intérieures face à l’insécurité et puis il y a ces chefs d’entreprise qui ont un petit patrimoine, et qui, sans faire de bruit, décident de s’en aller ou sont tentés par une forme de grève, à l’image de celle décrite dans le roman d’Ayn Rand, La grève. Pourquoi en fait prendre des risques fous alors qu’au final, tout tend vers une privatisation des risques et une socialisation des bénéfices ?
J’en veux pour preuve l’article 61 de la loi Pacte qui vise à modifier l’objet social de l’entreprise. C’est la plus grosse escroquerie intellectuelle des cinquante dernières années. C’est le fruit d’une création politicienne dont les conséquences sont destructrices dans des proportions folles. L’article 1833 du code civil édicte que l’objet d’une entreprise est de créer des richesses. En France c’est un tabou : on laisse dire ici ou là que l’objet de l’entreprise est de créer de l’emploi. C’est faux. Pour autant, aujourd’hui quelqu’un qui a le projet de se développer comprend aisément que s’il ne soigne pas son capital central qui est son équipe, ses salariés, il mourra seul. Alors, qu’un grand groupe, qui génère beaucoup d’argent, ait besoin de donner du sens à ce qu’il fait, tellement il est justement écrasé par tout cet argent qu’il ne sait plus quoi faire pour se donner une bonne image, je peux l’entendre. En revanche, je le comprends beaucoup moins dans le cas d’une TPE-PME où le dirigeant se porte caution pour tout. Et qui, quand ça tourne mal, est tout seul. Et quand cela marcherait, on devrait obligatoirement partager ? Je crois que chacun est libre de faire ce qu’il veut. S’il comprend que son essor et le bien-être de son entreprise passent par le partage des richesses avec ses employés, tant mieux. S’il ne le comprend pas, il doit disparaître, comme le prévoit le marché.
Cet article 61 est inspiré d’un rapport rédigé par Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et aujourd’hui présidente de la société de conseil Vigeo, et Jean-Dominique Senard, désormais à la tête de Renault et ancien de Michelin. Quel risque a pris cet homme ? Quel risque prend le dirigeant d’un grand groupe ? Je ne lui en veux pas de diriger un groupe et de se goinfrer. C’est très bien. Mais qu’il ne vienne pas donner des leçons de bravoure et nous demander de partager les richesses alors qu’il ne partage rien du tout. C’est indécent.
Vous opposez volontairement petites entreprises et grands groupes ?
On me le reproche souvent, mais il faut être lucide : nous avons des intérêts divergents. Cela a toujours été comme cela. On a d’un côté des gens qui mettent en caution leur maison Phénix, qui prennent tous les risques et de l’autre des dirigeants salariés qui brassent des ensembles et qui n’en prennent aucun.
Qu’est-ce qui singularise le patron d’une TPE-PME ?
Je pense qu’il n’y a pas de meilleur facteur d’intégration que l’entrepreneuriat. Il n’y a pas de racisme dans l’entrepreneuriat où cela se résume à : « qu’est-ce que tu vends ? Combien ? Quand est-ce que tu me livres ? » Ça me paraît beaucoup plus efficace que toutes ces politiques sur le vivre-ensemble. Il n’y a pas d’histoire de diplôme non plus dans l’entrepreneuriat. Et quand on nous enferme dans cette caste des patrons qui gagnent beaucoup d’argent, je réponds : « viens mettre tout ce que tu as, y compris ce que tu n’as pas, en commençant par tes tripes… » Il est difficile de trouver activité plus noble, plus ouverte d’esprit, plus embrassante que l’entrepreneuriat. Je parle même de fraternité : on a tous les mêmes problèmes et le même ennemi qui n’est en aucun cas le salarié. Il n’a seulement pas le même problème que nous. L’ennemi, c’est tout ce qui vient nous empêcher de nous développer sereinement. Il n’a jamais été autant à la mode de créer son entreprise et pourtant on ne s’est jamais autant fait massacrer par des règles intenables et des charges aussi importantes.
Des exemples ?
Oui, on peut citer la CFE, la cotisation foncière des entreprises. C’est l’un des sujets les plus graves et les plus explosifs pour les prochaines années. La CFE est venue remplacer la taxe professionnelle, « l’impôt le plus bête du monde » selon Sarkozy parce qu’il s’appliquait avant production. On l’a donc supprimé pour le remplacer par quoi ? Par le même impôt, un peu plus imbécile encore.
La taxe est composée d’un taux que l’on applique à la valeur locative du bien que l’on occupe. Ce taux est voté par les collectivités qui la perçoivent. Les élus votent donc des taux sans avoir conscience des sommes que cela représente. Jusqu’à présent, ces taux étaient calculés sur la base de valeurs locatives qui dataient de 1971. Or l’année dernière, ces valeurs locatives ont été revalorisées sans que les taux n’aient baissé. En conséquence les montants sont tellement énormes, qu’ils sont obligés de faire un lissage sur 10 ans. Et ça, c’est la future bombe.
À la CPME31, on a développé un outil dénommé Odette pour Observatoire des taxes territoriales d’entreprise et créé un site odette.pro sur lequel nos adhérents pourront vérifier quel sera leur lissage sur les 10 prochaines années de CFE. Et les résultats sont effrayants. On va également utiliser cet outil comme base de discussion avec les collectivités et une fois par an, nous publierons un name and shame, pour pointer où il est préférable de s’installer et d’où il est urgent de partir… On s’est appuyé sur une structure qui a référencé la totalité des parcelles dans la France entière ce qui nous permettra de déployer l’outil au national.