Bernard BeaulieuJusqu’au bout de ses rêves

Bernard Beaulieu devant le chantier du complexe hôtelier de Mutigny, au début de deux ans de travaux après 20 ans de lutte pour faire sortir de terre le projet.

Figure emblématique du syndicalisme champenois, l’ancien maire de Mutigny voit enfin “son” projet hôtelier sortir de terre, après 20 ans de travail acharné pour faire aboutir le dossier.

S’il est bien une qualité qui résume Bernard Beaulieu, c’est la pugnacité.

En effet, qui d’autre que lui aurait continué à porter à bout de bras un projet maintes fois modifié, reporté, voire condamné ? En posant officiellement la première pierre du complexe hôtelier de Mutigny, l’ancien maire de la commune a engagé l’épilogue d’un dossier engagé 20 ans auparavant.

Elu maire de Mutigny en 1995, la commune dans laquelle il a grandi, Bernard Beaulieu ne voulait en effet pas cantonner son rôle d’élu à « déposer des chrysanthèmes » mais plutôt à « contribuer au développement du village ». Un challenge de taille pour une commune d’à peine 200 habitants nichée au-dessus de la Vallée de la Marne, uniquement accessible par son flanc sud. « Mutigny est dans un cul-de-sac, et au vu de sa situation géographique, nous ne pouvons pas accueillir d’entreprise ni de centre commercial. Mais notre point fort c’est le vignoble et notre point de vue unique », rappelle-t-il. Après avoir effectué le tour des régions viticoles de France, l’élu remarque que ces dernières valorisent davantage leur vignoble que leur cave, contrairement à ce qui se fait en Champagne. Il décide alors de monter un projet de sentier du vigneron, avec Dominique Lévêque et Pierre Cheval (élus de la commune voisine d’Aÿ, NDLR) dès 1997. Un projet œnotouristique avant l’heure qui fait la part belle aux visites et aux dégustations et qui voit le jour en septembre 2000.

« Cela me semblait encore insuffisant pour la commune, alors nous avons lancé l’idée de racheter une maison pour y créer un restaurant et quelques chambres pour y accueillir des touristes », se souvient-il.

UNE CONSCIENCE SOCIALE PRÉCOCE

Devant les difficultés d’un tel projet de réhabilitation d’un bâtiment existant, le maire lance, avec un ami, le rachat d’une parcelle de 6000 m2 pour y réaliser un projet de construction. S’engage alors un parcours du combattant, entre bras de fer avec les représentants du parc naturel régional, dialogues de sourds avec l’administration et poker menteur avec des investisseurs plus ou moins sérieux. Deux décennies d’abnégation qui auraient découragé les plus optimistes mais qui n’ont cependant pas altéré la détermination de Bernard Beaulieu.

Il faut dire que le bonhomme en a vu d’autres. Vivement incité, dès l’âge de 14 ans, par ses parents à rejoindre le monde du travail, il entre chez Bollinger en tant qu’apprenti remueur sur les recommandations de son grand-père auprès du chef de cave. Très vite, le jeune homme rejoint les combats syndicaux du champagne. Une conscience sociale héritée de son entourage familial, avec un père et un oncle délégués du personnel dans des Maisons de champagne mais pas uniquement. « L’institutrice de Mutigny, qui m’a mené une vie d’enfer dans la classe unique du village, nous commentait régulièrement la presse et la radio », se souvient-il. Une figure marquante, tout comme celle du curé du village, qui lui a très tôt transmis les valeurs de partage et de défense des plus faibles. « Ces deux personnes ont contribué à faire de moi un militant et à me donner la vocation à défendre les autres pour une vie meilleure ».

SYNDICALISME CONSTRUCTIF

Encarté à la CGT à l’âge de 16 ans, il s’intéresse rapidement à son environnement social, à la manière dont fonctionne l’entreprise, aux revendications à porter et au travail des élus. « À 17 ans, on m’a proposé de partir trois semaines en RDA dans le cadre d’un échange avec des jeunes Allemands de l’Est. Représentant de la Marne et de la Champagne-Ardenne, j’ai été un des premiers jeunes à franchir le rideau de fer ». Instructif, le voyage marquera le jeune militant, à la fois touché par le pouvoir des syndicats dans les entreprises d’Allemagne de l’Est et par l’absence de liberté et la souffrance des habitants coupés du monde.

Elu à 21 ans délégué du personnel, alors que survient mai 68, Bernard Beaulieu se jette alors à corps perdu dans les événements sociaux. « À l’époque, j’avais une 2 CV et mes parents m’avaient confisqué les clés pour éviter que j’aille dans les manifestations », sourit-il aujourd’hui. D’autant que les précautions parentales étaient rapidement balayées par la détermination du jeune homme, qui n’hésitait pas à partir à pieds à Epernay pour participer aux mouvements de protestations. « Je me souviens de manifestations interprofessionnelles où nous étions plus de 10 000 personnes dans les rues d’Epernay, entourés par les CRS ».

LA CICATRICE DES 35 HEURES

Tour à tour, représentant puis Secrétaire du Comité d’Entreprise, élu au CHSCT du Champagne Bollinger, mais aussi secrétaire général de la CGT Champagne, Bernard Beaulieu occupera également des fonctions au sein de la CGT départementale et régionale, sans jamais en faire une carrière. « J’ai toujours refusé de partir dans les méandres des organisations syndicales et j’ai voulu rester salarié du Champagne Bollinger. J’y ai passé 46 ans et j’y ai bénéficié de la liberté syndicale permise par la profession », admet-il. « Et même si je ne me retrouve plus vraiment aujourd’hui dans cette organisation, je reste attaché à l’engagement social et je conserverai toujours ma carte à la CGT. J’ai toujours prôné un syndicalisme constructif. Contester oui, mais il faut aussi savoir participer et créer ».

Cette philosophie le conduira à contribuer à « faire évoluer le statut social du Champagne, qui dispose sans conteste de la meilleure convention collective de France et d’Europe. Peut-être même du monde… ». Si les succès des négociations pour l’intéressement des salariés aux résultats, les primes de participation, le 14e mois, les primes de vacances et d’ancienneté, la garantie invalidité… représentent aujourd’hui encore « une fierté » pour lui et son équipe, d’autres luttes ont laissé des traces. « Je ne me remettrai jamais de la mise en place des 35 heures, imposées par des gens dans les ministères qui étaient à 100 lieues d’être capables de les mettre en œuvre en entreprise. En Champagne, elles ont été mises en place à la veille des vendanges, nous étions à deux doigts de la catastrophe ».

Et s’il a dû faire face à de nombreux plans sociaux au cours de ses quatre décennies d’activité syndicale, Bernard Beaulieu est toujours parvenu à éviter les licenciements secs.

Acteur de la création du Fongecif, de l’Agefos PME, de l’Ecole de la 2e Chance et d’un cabinet d’expertise comptable neutre dans le cadre de la cogestion des entreprises, membre du CESER, on lui doit également la création du premier Bac Pro maintenance des systèmes automatisés.

Autant d’engagements qui ont sans doute forgé sa ténacité, si nécessaire dans le cadre de son projet hôtelier. Ce dernier s’est finalement décanté en 2018, quand, à la faveur d’une heureuse rencontre, celui qui est entre temps devenu maire honoraire de Mutigny, est parvenu à convaincre le groupe autrichien Loisium de miser sur la création d’un établissement touristique sur les hauteurs de sa commune.

Une nouvelle fierté pour Bernard Beaulieu qui va consacrer désormais l’essentiel de son temps à suivre le chantier, « son » chantier tant espéré, jusqu’à l’ouverture de l’établissement au printemps 2022. L’aboutissement d’un rêve en passe de devenir réalité.

Parcours

1947 Naissance à Aÿ le 30 mai.
1967 Voyage de trois semaines en République Démocratique Allemande.
1995 Elu maire de Mutigny.
2000 Création du Sentier du Vigneron.
2015 Classement des Paysages de la Champagne à l’Unesco.
2020 Pose de la première du Mutigny Resort Hotel.
2022 Ouverture du Mutigny Resort Hotel.