Jérôme Gavaudan, un nouveau souffle de dynamisme pour le CNB


Jérôme Gavaudan préside le Conseil national des barreaux depuis le 1er janvier dernier pour un mandat de 3 ans. Ancien bâtonnier de Marseille, ancien président de la Conférence des bâtonniers, il connaît bien l’institution représentative des 70 000 avocats de France puisqu’il a été son vice-président pendant deux ans. Il nous donne sa vision de l’avenir et nous parle des enjeux pour la profession.

Jérôme Gavaudan, vous êtes le nouveau président du CNB, élu dans une période extrêmement compliquée pour le pays et pour la profession. Quelle est votre vision de la situation ?

Jérôme Gavaudan : A la fois du fait de ma personnalité et des conditions dans lesquelles a fonctionné le Conseil national des barreaux l’année dernière, ma première vision, c’est la continuité. On a, notamment grâce à la présidente sortante Christiane Féral-Schuhl, une institution représentative nationale de la profession d’avocat qui, techniquement, est en ordre de marche et est politiquement renforcée vis-à-vis, à la fois des confrères qui la reconnaissent peut-être plus qu’avant comme étant leur institution représentative, à la fois des barreaux mais aussi de chacun d’eux, et vis-à-vis des pouvoirs publics qui reconnaissent que ce qui s’est fait au CNB le positionne, dans toutes ses composantes comme un pôle fort et efficace de la défense et de la représentation des avocats.

La deuxième idée, c’est pragmatisme et solidarité. Je pense que le CNB doit continuer à œuvrer pour les avocats et dans leur intérêt premier, à la fois dans l’intérêt collectif qui ne se confond pas avec la masse des intérêts individuels, mais aussi dans l’intérêt bien compris de chacun des métiers de notre profession, des types de nos cabinets, de chaque forme d’exercice de la profession. La profession d’avocat sait s’adapter et, malgré la crise, est pleine d’optimisme et de jeunesse.

Vous connaissez très bien les institutions puisque vous étiez bâtonnier de Marseille, président de la Conférence des bâtonniers et vice-président du CNB. Pensez-vous que la nouvelle composition des élus du CNB vous permettra de mener les réformes que la profession attend ?

J. G. : Clairement, oui, en raison de deux ou trois observations. La première, c’est la qualité des élus telle qu’elle ressort. Le CNB s’est largement renouvelé, presque aux deux tiers, tout en permettant une stabilité parce que les élus qui sont présents à l’Assemblée générale sont des gens qui sont représentatifs des différentes formes d’exercice de la profession et qui y sont très dévoués, avec une grande bienveillance et une volonté de bien faire que j’ai remarqué dès la première Assemblée générale (AG). Le deuxième point, c’est que cette première AG, avec la répartition et les votes, notamment sur la composition du bureau et celle des présidents de commissions, a montré une grande forme de maturité, des élus comme des groupes qui composent l’AG. J’ai vu, notamment dans la mise en place des élections pour attribuer les postes de présidents, beaucoup de maturité, de fermeté et de bienveillance entre les responsables des groupes, les groupes eux-mêmes, pour arriver à équilibrer les responsabilités, dans la parité, dans le respect des forces qui sont sorties des urnes et sur la répartition des compétences en fonction des qualités des uns et des autres, sans débat partisan, dans le respect mutuel de chacune des composantes, à la fois individuelle et collective, et dans un grand respect démocratique, ce qui pour moi est très important. Si nous arrivons à maintenir ce bon état d’esprit pour les mois à venir, ce sera très positif.

La composition du bureau est aussi très équilibrée, avec des élus de qualité qui ont manifesté leur volonté de venir travailler à mes côtés. Je suis très heureux de la façon dont les choses se mettent en place, en sachant très bien qu’il y aura toujours des moments de discussion. On va éviter les moments de tension, on est en capacité d’avancer, de travailler ensemble. Je crois que la crise sanitaire et économique a aidé les uns et les autres à se concentrer sur le principal, à évacuer les points de tensions ou d’oppositions qui pourraient l’être.

L’important reste, en premier lieu, le bien-être des confrères, le sentiment que chaque élu veut travailler pour le bien commun et pour le bien des confrères.

Justement, cette crise sanitaire mène-t-elle à transformer la profession ? Quel est le « plan de relance » que vous mettez en place grâce au CNB ? Il y a des barreaux qui ont déjà pris des mesures d’aide pour les confrères. Quel sera le rôle du CNB ?

J. G. : Premier point, effectivement la crise sanitaire a créé un moment de sidération, en mars avril 2020. Moi, je l’ai vécue de manière particulière parce qu’à ce moment-là, je n’avais plus de mandat, j’étais à nouveau dans mon cabinet, j’ai vu de l’intérieur le fonctionnement des cabinets à cet instant de sidération qui a duré quelques semaines. La nécessité a permis de constater qu’on pouvait s’organiser différemment malgré les blocages sur la façon dont le métier peut s’exercer, quel que soit le type de cabinet, et qu’effectivement, cela a débloqué dans l’esprit d’un certain nombre de confrères qui pouvaient être réfractaires sur ce point, leur vision de la numérisation. En même temps, on a pu voir les limites du tout numérique, puisqu’il y a des moments où cette profession ne peut pas se faire sans présence physique et particulièrement sur le judiciaire. Je pense qu’en matière pénale, l’audience est nécessaire. Donc on voit bien l’intérêt et aussi les limites de ce que les technologies peuvent nous apporter dans le fonctionnement des cabinets, dans la façon dont les justiciables sont traités. Ensuite, sur les aides, ce que l’on semble voir c’est que les cabinets sont manifestement en fragilité. C’est une année difficile et les vraies difficultés vont apparaître dans le courant de l’année 2021. Au premier semestre, va se poser la question des cabinets qui ont souscrit un prêt garanti par l’Etat. Nous n’avons pas encore suffisamment d’éléments mais il sera intéressant de savoir dans quelle mesure les cabinets ont souscrit à ces prêts, dans quelle mesure ils les ont utilisés et comment ils géreront la gestion du ou des remboursements.

Des aides ont été mises en place, ce qui a permis aux barreaux de montrer à nouveau leur solidarité et leur proximité et à l’institution nationale qu’elle peut agir auprès des pouvoirs publics pour que les affaires puissent reprendre, que les audiences puissent se tenir et que les clients soient satisfaits du service. Et puis, il y a effectivement l’intervention auprès des organismes de la profession, les liens entre la CNBF et le CNB se sont améliorés et ce dernier s’est mobilisé aux côtés des confrères pour faire remonter un certain nombre d’informations.

Je crois que la dynamique qui doit être donnée n’est pas forcément aider économiquement mais surtout aider les confrères à reprendre et/ou à continuer une activité économique, à développer tous les nouveaux champs d’activités, à s’investir dans les modes alternatifs de règlement des différends en matière judiciaire, à continuer à défendre au pénal de mieux en mieux.

On doit se battre pour la revalorisation de l’aide juridictionnelle, il faut qu’on obtienne l’exécutoire dans les actes d’avocat, qu’on avance sur un certain nombre de réformes et permettre aux confrères de sentir qu’ils ont une institution nationale qui va se battre auprès des pouvoirs publics pour que l’activité économique puisse se développer.

C’était la rentrée de l’École du Barreau de Paris (EFB), les élèves avocats sont de plus en plus nombreux, on a même battu des records cette année. La procédure d’inscription a connu quelques accrocs, qui ont ensuite été résolus. Quel est votre sentiment là-dessus ?

J. G. : C’est un sujet assez anxiogène, notamment parce que l’on est en situation de crise et que les élèves avocats ont vécu des périodes difficiles, qui attirent l’attention sur la question générale de savoir si la situation particulière de l’année 2020 est l’occasion de se pencher sur une réforme globale des examens. Moi, je ne suis jamais favorable à réformer parce que l’on a pointé à un moment donné une situation qui était difficile. Et à l’instant où je vous parle, je pense qu’il n’y a plus aucune situation qui n’a pas été réglée. Il faut d’ailleurs rappeler que le CNB n’est pas compétent pour la répartition des élèves. Après, cela pose la question du lien avec l’université, avec l’IEJ, la question du financement et de la gouvernance des écoles, de l’examen ou du concours etc. mais tout ça a déjà été discuté et les positions du CNB sont claires sur ces questions-là. Je pense qu’il faudra que la Commission de la formation du CNB donne quelques lignes et préconisations nouvelles sur l’organisation des examens mais je ne suis pas certain que ce soit à cette occasion là qu’il faille effectivement repenser le tout. C’est un vrai sujet sur lequel la Commission de la formation a travaillé et continuera à travailler, on aura des propositions de réforme, voire de refonte ou d’aménagement, mais on le fera tranquillement et dans la sérénité.

Près de la moitié des jeunes avocats finiront un jour en entreprise et beaucoup ont le Capa mais ne sont pas inscrits au Barreau et ne peuvent plus s’y inscrire parce qu’ils exercent en entreprise. Le garde des Sceaux a évoqué la possibilité d’expérimenter l’avocat en entreprise. Comment cela peut-il se faire et quelle est votre vision sur ce projet ?

J. G. : Tout d’abord il faut faire attention aux chiffres qui circulent sur ce sujet car il n’y a aucune étude d’impact sur ce projet de réforme. Mon opinion personnelle ne compte pas vraiment. J’ai été placé à la tête du CNB pour être le chef d’orchestre de cette belle institution représentative de la profession. L’Assemblée générale sera saisie de la question de l’avocat salarié en entreprise puisque le Garde des Sceaux a décidé de mettre le sujet sur la table. C’est son projet, pas celui du CNB. Il n’y a pas de sujet tabou mais mes priorités, c’est la gestion et la sortie de la crise économique pour mes 70 000 confrères.

On ressent un besoin en entreprise d’être aligné sur un statut qu’on retrouve dans les pays anglo-saxons. Le rapport Gauvain a clairement mis en avant les problématiques très graves que pourraient rencontrer nos entreprises si elles ne sont pas protégées de l’intérieur. Quel est votre avis ?

J. G. : L’intérêt du rapport Gauvain est de montrer la potentielle fragilité des entreprises françaises, moins bien protégées et travaillant avec un handicap par rapport à des entreprises de pays anglo-saxons. A partir de ce constat, il y a un débat entre plusieurs solutions dont la confidentialité des échanges ou le statut d’avocat en entreprise. Il est certain que nous devons tout faire pour que les entreprises françaises puissent être aidées sur cette question-là, mais en étant très attentifs et vigilants sur les conséquences pour les avocats. Il est aussi très important de réfléchir sur la place du droit français, du droit continental, des cabinets et des entreprises françaises. C’est un vrai sujet, c’est certain.

L’aide juridictionnelle est un sujet important, il y a beaucoup d’avocats qui comptent là-dessus, sans être une finalité. Aujourd’hui, les montants ont été relevés. Est-ce satisfaisant aujourd’hui ?

J. G. : Si l’idée est de rémunérer l’avocat en fonction du service rendu, non, ce n’est pas suffisant. On voit une forme de bonne volonté, en tout cas apparente, du Gouvernement sur cette question et c’est positif, mais si l’aide juridictionnelle c’est permettre à celui ou celle qui ne peut pas assumer le montant d’un vrai honoraire, d’être aidée par l’Etat, évidemment, les choses ne sont pas satisfaisantes. Il faudrait beaucoup plus. Le compte n’y est pas.

Les avocats doivent donc trouver de nouvelles formes d’exercice s’ils veulent prospérer ?

J. G. : C’est déjà en train de se faire, les avocats s’intéressent à des activités particulières, ils créent des legaltechs, des plateformes, des services particuliers, ils s’investissent dans la protection des données, dans la gestion de mandats et dans la fiducie. Je vois beaucoup de jeunes qui se spécialisent, soit dans des grands cabinets parce qu’ils ont des savoir-faire qui sont quasiment des pépites, soit parce qu’ils sont très créatifs entre eux. Si beaucoup de jeunes avocats ne s’inscrivent pas au Barreau ou le quittent, c’est parce que l’activité, le monde économique sont difficiles, la gestion entrepreneuriale est compliquée. Et puis certains jeunes avocats préfèrent parfois une forme d’activité adaptée plutôt que de tension. C’est une forme assez intéressante d’exercice de la profession que de pouvoir l’exercer comme on l’entend, même si d’un point de vue économique, on peut se retrouver en difficulté.

Au-delà de ces sujets importants, quelles sont aujourd’hui vos grandes priorités ?

J. G. : Elles sont de deux ordres. La première, c’est que le ministre de la Justice a annoncé une loi “profession”, visant notamment le secret professionnel, donc à cette occasion, on pourra avancer un certain nombre de sujets qui sont portés par le CNB et par le rapport Perben : l’aide juridictionnelle, la formation, l’acte exécutoire d’avocat, l’exécution des décisions des bâtonniers etc. Ensuite, je veux relancer les réflexions sur la profession d’avocat, pour être en ordre de marche sur les questions territoriales au moment de l’organisation des élections, à court ou moyen terme, départementales et régionales, et, à plus long terme, des élections présidentielles et législatives. Nous allons prendre des initiatives et pas attendre que les candidats ou leurs équipes nous sollicitent pour voir ce qui se pense de la profession d’avocat, du droit en France, des libertés, de la place du droit dans son acception la plus grande. Pouvoir être force de propositions et non agir seulement en réaction. Nous évoquerons tout cela à la prochaine assemblée générale du CNB, je pense que les commissions vont pouvoir se mettre en marche pour venir en AG faire des propositions que nous soumettrons à chacun des candidats, au moment de la présidentielle.

Il sera intéressant de voir comment les uns ou les autres se positionnent sur l’échiquier politique. Donc les deux priorités sont de savoir ce que l’on fait de cette loi qui a été annoncée par le ministre et quelles sont les propositions que le CNB présentera aux candidats qui seront sollicités.

Concernant le justiciable, un sujet très important pour vous, comment le rapprocher de l’avocat ? C’est une personne physique, mais ça peut être aussi une entreprise, et il y a parfois un éloignement avec l’avocat. Comment rendre l’avocat plus proche des justiciables et de l’entreprise ?

J. G. : Je n’ai pas de solution à vous donner dans l’immédiat, mais par exemple, il y a un vide juridique, sur lequel le CNB a beaucoup travaillé, sur la définition de la consultation juridique, c’est-à-dire que, malgré tout, si un texte législatif définit la consultation juridique, cela permettra à des concurrents sauvages qui fondent des questions réponses sur des algorithmes de pouvoir être juridiquement encadrés. On est pour la concurrence loyale, on ne peut pas avoir une legaltech qui crée un logiciel de questions réponses fondé sur une appréciation sans juristes derrière pour réfléchir à la question. Cela implique aussi la protection que la loi donne à la consultation juridique, aux effets engendrés si elle est confiée à des avocats, des notaires ou des professionnels du droit. On œuvre à la consolidation du travail, de la plus-value des avocats et on est en capacité de rappeler aux justiciables ce que nous sommes, de dire qu’il vaut mieux aller voir un avocat qu’un mauvais braconnier du droit. Après, il n’y a pas de nouveauté sur ces questions-là, au CNB, la commission Exercice du droit y a beaucoup travaillé et des efforts ont été faits. Même si les statistiques ne sont pas définitives, le sentiment qu’ont les justiciables des capacités que peuvent apporter les avocats en tant que tels, comme une profession réglementée indépendante, à la résolution de leurs difficultés peut être améliorée. Votre question pose aussi le rôle de la commission communication du CNB. Il y a aussi à faire savoir ce que nous savons faire et il pourrait y avoir un regain de dynamisme dans le cas de cette nouvelle mandature.

Propos recueillis par Boris Stoykov (Les Affiches Parisiennes) pour ResoHebdoEco (www.reso-hebdo-eco.com)

Le nouveau bureau du CNB.