La Cour de cassation précise les conditions dans lesquelles le port de la barbe peut être limité dans l’entreprise sans que cela constitue une discrimination religieuse et politique.
Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation, un salarié qui était consultant sûreté pour des gouvernements, des organisations internationales non gouvernementales et des entreprises privées, avait été licencié pour faute grave. Son employeur lui reprochait son refus de tailler sa barbe afin qu’elle ait une apparence plus neutre.
RESTRICTIONS RELIGIEUSES, POLITIQUES OU PHILOSOPHIQUES
Le règlement intérieur peut apporter des restrictions aux signes religieux, politiques et philosophiques. Les restrictions à la liberté religieuse dans l’entreprise sont possibles mais elles doivent :
• être justifiées par la nature de la tâche à accomplir ;
• répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante ;
• et être proportionnées au but recherché.
Le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (Code du travail, art. L. 1321-3).
Ainsi, le règlement intérieur (ou une note de service) peut contenir une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe religieux mais également politique, philosophique sur le lieu de travail. Mais la restriction doit être justifiée par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par la nécessité du fonctionnement de l’entreprise et proportionnée au but recherché. Cela peut être par exemple pour des raisons de sécurité.
Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle que cette clause générale et indifférenciée ne peut être applicable qu’aux salariés en contact avec les clients.
Sans clause de neutralité, l’employeur ne peut pas interdire aux salariés de porter un signe qui reflète une conviction religieuse, politique ou philosophique. En l’absence de cette clause, l’interdiction caractériserait une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses, politiques ou philosophiques.
Dans l’affaire jugée récemment par la Cour de cassation, l’entreprise n’avait pas de clause dans son règlement intérieur prévoyant des restrictions à ces libertés.
Elle avait toutefois demandé au salarié de ne pas porter la barbe lors de ses missions au Yémen car elle manifestait des convictions religieuses et politiques.
Pour les juges, l’injonction faite par l’employeur de revenir à une apparence plus neutre caractérisait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.
PRÉCISION SUR LA NOTION D’EXIGENCE PROFESSIONNELLE
Sans clause de neutralité, la restriction imposée au salarié peut être légitime si elle répond à une exigence professionnelle essentielle et déterminante.
Cette notion a été précisée par la Cour de cassation. Elle rappelle que celle-ci doit renvoyer à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle.
Dans cette affaire, on trouve à l’origine de l’injonction faite au salarié de couper sa barbe, une demande d’un client. Pour les juges, la seule volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers d’un client renvoie à une considération subjective. Cela ne répond donc pas aux critères de l’exigence professionnelle essentielle et déterminante.
La situation aurait été différente si l’employeur avait démontré les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe pour des missions exécutées au Yémen. Cela aurait constitué une justification à l’atteinte proportionnée aux libertés du salarié.
Mais l’employeur qui considérait la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse ne précisait ni la justification objective de cette appréciation, ni de quelle façon tailler sa barbe pour que cela soit admissible au regard des impératifs de sécurité.
Le licenciement du salarié reposant pour partie sur un motif discriminatoire, celui-ci a été annulé.
Cour de cassation, chambre sociale, 8 juillet 2020, n° 18-23.743