Professeur et chercheur en gestion des ressources humaines à TBS, Alain Klarsfeld propose de permettre aux personnes en chômage à temps partiel de valoriser leur temps libéré dans le soutien aux personnes.
De nombreuses personnes confinées se sont découverts une passion pour les métiers de «care» ou de proximité : aide à la garde d’enfants, appels ou visites à des personnes âgées, livraisons de courses à domicile, soutien scolaire, livraison de médicaments et masques, transports de malades, travaux agricoles. Une nouvelle entreprise – une des plus grandes de France aujourd’hui, avec 250 000 nouveaux membres entre le 22 mars et le 1er avril – vient de voir le jour sous nos yeux, en l’espace de quelques jours. Il s’agit de la Réserve Citoyenne Covid-19.
Ses activités relèvent du bénévolat à ce jour. Mais à terme, les anciens confinés salariés en chômage partiel risquent de se retrouver chômeurs tout-court, confinés ou pas. Il semble indispensable de valoriser ces chômeurs – dès la perception de leurs allocations et au titre du versement de ces dernières – au travers de toutes ces activités répondant à un besoin non pourvu par le secteur marchand ou en fort manque de main d’œuvre : recyclage, santé, social, agro-alimentaire, soutien scolaire, entretien des espaces naturels, auxquels il est possible de contribuer à raison par exemple, de deux jours par semaine. En gardant bien sûr un temps pour mûrir un nouveau projet professionnel.
Interdire aux chômeurs toute activité à caractère social au motif qu’ils touchent des allocations, est un scandale à l’échelle nationale qui dure depuis que dure l’assurance- chômage.
Le scandale devient intenable dans le contexte aujourd’hui prévisible d’un effondrement de l’emploi, malgré toutes les exhortations à la reprise, lesquelles relèvent de l’incantation davantage que d’un véritable projet de société.
Au contraire, assurer les chômeurs qu’on a besoin d’eux tout de suite, au moins pour une partie de leur temps de travail disponible, nous donne à tous, chômeurs potentiels, la perspective que nous pouvons servir à quelque chose quels que soient les revers de fortune que la conjoncture nous imposera. Une telle perspective ouvre sur un vrai projet de société.
Exiger des chômeurs des activités de « care » à temps partiel semblerait légitime mais peut être socialement peu acceptable, et au fond nuisible à la qualité des services attendus si les personnes ne sont pas volontaires pour s’inscrire dans une mission qui a un sens pour eux. Il existe une voie moyenne, consistant à encourager ces activités par une valorisation, par exemple sous forme de prolongation des allocations chômage ou l’accès privilégié à des formations.
Certaines de ces activités peuvent s’assimiler à une reprise partielle d’activité dans le secteur privé. Tel est le cas des travaux agricoles en manque cruel de main d’œuvre du fait de la suspension de l’entrée sur le territoire des travailleurs étrangers qui les réalisaient jusqu’ici. De telles activités peuvent parfaitement être financées par les employeurs du secteur agricole qui en ont besoin plutôt que par l’argent public.
Mais d’autres activités – telles le soutien scolaire pour des enfants défavorisés ou encore l’appel à domicile de personnes vulnérables – sont par essence non solvables, et devraient pouvoir être financées en toute légitimité via les caisses allocations chômage, ou des entreprises percevant ces fonds sous la supervision de la puissance publique, sur le modèle des entreprises à but d’emploi mises en place dans le cadre de l’expérimentation « Territoires zéro chômeurs longue durée ».
En temps de crise durable et profonde telle que celle que nous connaissons, bien gérer les ressources humaines n’est donc plus l’affaire des seules organisations prises isolément les unes des autres. Elle devient l’affaire de la société tout entière. Afin que perte d’emploi ne rime plus jamais avec inutilité sociale.
Tribune parue dans Le Monde le 16 mai 2020