Par Jérôme Brosset et Virginie Desbois, du cabinet d’avocats August Debouzy.
L’article 16 de la loi n° 2019- 744 du 19 juillet 2019 a en effet modifié les articles L.225-96 (relatif aux règles de quorum et de majorité dans les assemblées générales extraordinaires) et L.225-98 (relatif aux règles de quorum et de majorité dans les assemblées générales ordinaires) afin de modifier la base de calcul à prendre en compte pour calculer l’atteinte de la majorité requise pour l’adoption des décisions collectives. Ainsi, cette base comprend désormais les voix exprimées par les actionnaires présents ou représentés ; étant précisé que les voix exprimées ne comprennent ni les abstentions, ni les votes blancs, ni les votes nuls, ni les voix de l’actionnaire n’ayant pris part au vote pour la résolution considérée (la « modification »). Cette modification, qui concerne les assemblées générales des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions (sur renvoi), revêt un caractère impératif ; les statuts ne pouvant déroger aux règles de majorité des assemblées. Les justifications suivantes ont été apportées à l’appui de la modification :
– avant la modification, les abstentions étaient comptabilisées comme des votes contre les résolutions mises aux voix, ce qui constituait, selon le rapporteur de la commission des lois, une singularité française favorisant une surpondération de fait des voix « contre ».
– le règlement européen relatif au statut des sociétés européennes ne comptabilise pas les abstentions en votes négatifs. Il prévoit en effet que la majorité pour les décisions collectives est calculée sur la base des voix exprimées, lesquelles ne comprennent pas « celles attachées aux actions pour lesquelles l’actionnaire n’a pas pris part au vote ou s’est abstenu ou a voté blanc ou nul ».
– une prise en compte des abstentions en dehors des votes exprimés permettrait de traduire plus fidèlement la position de certains actionnaires soucieux d’adopter une position médiane mais porteuse d’un message, en leur évitant que leur vote soit comptabilisé comme négatif s’ils ne sont pas frontalement hostiles à un projet de résolution sans aller jusqu’à l’avaliser.
– la modification susciterait une large approbation de la part des représentants des milieux économiques entendus par le rapporteur de la Commission des lois. Cette mesure a par ailleurs été préconisée par le rapport de juillet 2012 du groupe de travail de l’Autorité des marchés financiers sur les assemblées générales d’actionnaires de sociétés cotées. Cependant, le régime ancien a toujours vocation à s’appliquer pour le moment, la loi ayant prévu une entrée en vigueur différée de la modification. Les nouvelles règles de décompte des votes résultant de la modification favoriseront ainsi l’adoption des décisions en cas d’abstentions. Ces nouvelles règles auront des conséquences sur l’exercice du vote en séance, mais aussi :
– en cas de vote par correspondance : l’article L.225-107 du code de commerce a également été modifié afin de préciser que les formulaires de vote par correspondance ne donnant aucun sens ou exprimant une abstention ne seront plus considérés comme des votes négatifs. Ils ne seront pas à prendre compte dans les votes exprimés.
– en cas de vote via l’utilisation du document unique (formulaire de vote à distance et par procuration) : il est en effet prévu que, si des résolutions nouvelles étaient présentées à l’assemblée, le signataire de ce document a la faculté soit d’exprimer sa volonté de s’abstenir, soit de donner mandat le président de l’assemblée générale ou à un mandataire. Ainsi, si le choix de l’abstention était fait, il aurait pour conséquence de favoriser l’adoption des résolutions nouvelles présentées en assemblée, ce qui pourrait au final présenter un certain attrait pour des actionnaires activistes tablant sur l’effet de surprise lié au dépôt en séance de projets de résolution.
Le changement de décompte des voix résultant de la modification n’est pas applicable immédiatement. En effet, l’article 16 de la loi précise que le nouveau régime s’applique « à compter des assemblées générales réunies pour statuer sur le premier exercice clos après la promulgation de la présente loi ». En conséquence, s’agissant des assemblées générales de sociétés clôturant leurs comptes au 31 décembre, le nouveau régime issu de la modification ne s’appliquera qu’à compter de l’assemblée générale tenue en 2020 statuant sur les comptes de l’exercice clos le 31 décembre 2019. Ainsi, toute assemblée tenue avant cette date sera soumise au régime avant modification. De la même façon, s’agissant d’une société clôturant ses comptes au 31 juillet 2019, le nouveau régime issu de la modification ne s’appliquera qu’à compter de son assemblée tenue au plus tard fin janvier 2020 et relative à l’approbation desdits comptes.
Dès lors, les assemblées des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions tenues au cours des prochaines semaines resteront soumises au régime ancien. L’entrée en vigueur de la modification est conditionnée à la tenue de l’assemblée générale annuelle d’approbation des comptes clôturés après la publication de la loi.