Industrie et territoires : je t’aime, moi non plus

Se réapproprier les savoir-faire locaux pour aider les PME à croître : tels sont les enjeux des territoires en matière de développement industriel.

(par Jean-Philippe Malicet, directeur général de Cap’tronic)

Le secteur industriel en France se porte bien. Si l’on en croit le rapport publié en novembre 2018 par le cabinet EY, la France serait la première destination européenne en nombre d’investissements industriels étrangers, avec 323 projets menés en 2017 (implantations ou extensions d’usines), soit une hausse de 52% sur un an.

L’essor du digital et des hautes technologies a naturellement contribué à redéfinir les contours de l’industrie, en France comme ailleurs. La French Tech, écosystème de start-up « made in France », a permis une redynamisation de l’entrepreneuriat La French Fab vise la même ambition pour l’industrie. Mais les industries innovantes, tout comme les emplois qu’elles génèrent, se concentrent encore trop souvent autour des grandes métropoles, au détriment des territoires périurbains ou ruraux qui peinent à faire valoir leur attractivité.

Dans ce contexte, le gouvernement a récemment lancé un dispositif visant à renforcer la dimension territoriale de la politique industrielle française. 136 « Territoires d’industrie », reconnus pour leur savoir-faire industriel, bénéficieront ainsi d’un accompagnement prioritaire pour le développement des entreprises industrielles dans les petites et moyennes agglomérations.

L’INDUSTRIE : CRÉATRICE DE VALEUR POUR LES TERRITOIRES

Cet effort en faveur du développement industriel territorial se justifie par le potentiel de croissance et de valeur généré par les entreprises industrielles pour les territoires. Une industrie concentre en elle un savoir-faire, une innovation et un éco-système de partenaires, qui créent de la valeur bien au-delà des murs d’une usine ou des frontières d’un territoire.

Une entreprise industrielle va en effet créer directement de l’emploi, mais aussi s’entourer de sous-traitants locaux, faire appel à des services tiers (entretien, comptabilité, marketing, etc.), employer des salariés dont les enfants seront scolarisés localement… En moyenne, un emploi industriel génère ainsi trois autres emplois. La création de valeur d’une entreprise industrielle ruisselle donc sur l’ensemble du territoire où elle est implantée.

La présence d’une industrie dynamique permet également en soi de renforcer l’attractivité d’un territoire. Comme en témoigne la concentration de certaines filières industrielles au sein de régions données – comme l’aéronautique dans le sud-ouest, l’automobile dans le nord et l’est, ou encore les hautes technologies dans le sud-est. L’expertise appelle l’expertise, et les régions qui ont su valoriser leur potentiel industriel sont celles qui en récoltent aujourd’hui les fruits en développant de véritables pôles d’excellence industrielle.

LA LOI DE L’ATTRACTIVITÉ : VALORISER SES ATOUTS ET SAISIR LES OPPORTUNITÉS

C’est là tout l’enjeu pour les territoires : valoriser les atouts susceptibles d’accroître leur attractivité auprès des acteurs de l’industrie, mais aussi savoir saisir les opportunités de développement de filières locales.

Il s’agit, dans un premier temps, de valoriser les industries déjà présentes et de les accompagner dans leur croissance et leur développement. Car ces industries portent déjà en elles un savoir-faire et des points forts sur lesquels elles peuvent s’appuyer. On parle aussi ici des enjeux de transmission et de reprise, qui constituent souvent des facteurs intéressants de redynamisation – à condition toutefois d’être préparés très en amont. À ceux-ci s’ajoutent tous les enjeux de transformation numérique et de passage du produit au service. Dans cette approche, l’objectif pour le territoire est de s’appuyer sur ses filières déjà présentes et ses points forts, et la façon dont il peut les développer.

Il peut également s’agir de favoriser de nouvelles implantations, ce qui nécessite de se poser la question de ses infrastructures (notamment numériques) et de la façon dont on peut les améliorer. C’est également la question des formations et de la capacité d’un territoire à favoriser le développement endogène d’une filière, grâce à la présence d’écoles et d’étudiants qui constituent des forces vives pour les entreprises implantées localement.

Quelle que soit l’approche privilégiée, tout l’enjeu réside dans la capacité d’un territoire à savoir se positionner sur l’avenir, sur un savoir-faire qu’il pourra valoriser sur le long terme pour favoriser de nouvelles productions localement. Ce qui nécessite une vision globale, qui intègre à la fois filières industrielles, programmes de recherche, soutiens à l’innovation, et écosystèmes de partenaires et de sous-traitants.

LA NÉCESSAIRE COORDINATION DES ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Si la France dispose d’un réel savoir-faire industriel et d’une grande capacité d’innovation, elle peine en revanche à en tirer véritablement profit pour développer son tissu de PME et d’ETI. Face à des marchés professionnels (B2B) ou grand public (B2C) de plus en plus mondialisés, exigeants et concurrentiels, les entreprises ont besoin d’un large éventail d’appuis : réflexion stratégique, marketing et innovation d’usages, innovations technologiques apportées à leurs produits, transformation de leurs process de production, développement à l’international, gestion de la propriété intellectuelle, formation, recrutement, financement, immobilier, logistique… Les entrepreneurs ont besoin d’être accompagnés, d’être challengés, de s’appuyer sur des expertises et des compétences extérieures pour adopter une vision et une stratégie favorisant l’innovation et la compétitivité.

Il faut souligner les efforts des politiques publiques dans ce sens. Mais il est indispensable de développer, à l’échelle des territoires, une véritable coordination des différents acteurs du développement économique à même de fournir un accompagnement global et efficient. L’État, les régions, les métropoles mais aussi les syndicats professionnels, les clubs d’entreprises, les pôles de compétitivité, les clusters, et les institutions parapubliques, doivent parvenir à s’articuler entre eux, à mutualiser leur savoir-faire et leurs ressources pour structurer leurs projets et les accompagnements proposés sur le moyen et le long terme.

Le rôle des financeurs publics est ici fondamental : c’est à eux que revient la responsabilité d’arbitrer et de coordonner les ressources, grâce au levier du financement public, au regard des enjeux, de la stratégie et des financements engagés. En s’inscrivant dans la durée, en étant clair sur les objectifs visés et les moyens d’évaluer les actions engagées, ils permettront un usage optimisé et efficace des fonds publics en réussissant à apporter un accompagnement à la fois global et spécialisé, tout en évitant l’effet millefeuille des dispositifs.

Les territoires ont ici pleinement leur rôle à jouer, en permettant aux acteurs industriels de bénéficier de savoir-faire, de ressources et d’infrastructures qui soutiennent leur croissance. Tout en profitant eux-mêmes des répercussions économiques d’un tissu industriel local redynamisé.

REPÈRES
Fondée par le CEA et Bpifrance, et financée par le ministère de l’Économie et des Finances, l’association Jessica France est chargée de la mise en œuvre du programme Cap’tronic. Celui-ci a pour objectif d’aider les PME françaises, quel que soit leur secteur d’activité, à améliorer leur compétitivité grâce à l’intégration de solutions électroniques et de logiciel embarqué dans leurs produits et leur process de production. Spécialistes en électronique et en logiciel embarqué, les 23 ingénieurs Cap’tronic (dont trois en Occitanie) mettent en place, en toute neutralité, les expertises adaptées au projet, à l’entreprise et au marché. Les interventions prennent la forme de séminaires techniques et marché, de formations et de conseils. L’aide de Cap’tronic peut prendre ensuite la forme d’expertises cofinancées par le programme (choix technologiques, mise au point du cahier des charges…) et d’accompagnement du projet. Sur ces cinq dernières années, Cap’tronic a aidé 9 400 PME, tous secteurs confondus.