Immobilier d’entreprise: les professionnels dans l’attente

L’offre certaine de bureaux neufs est de 36 000 m2. On compte huit opérations de plus de 1 000 m2 dont le Waypost, en cours de construction à Montaudran Aérospace.

Quelle incidence la crise du Covid-19, marquée par un fort développement du télétravail, aura-t-elle sur le marché de l’immobilier d’entreprise ? À long terme, nul ne le sait mais pour l’instant la réaction du marché est… modérée. Les professionnels n’ont pas enregistré un désengagement massif des investisseurs. Tout au plus constatent-ils un certain attentisme. Réunis au sein de l’OTIE, ils ont récemment fait le point.

Pour Julie Pasques, depuis 30 ans dans le métier, la situation est « inédite ». La présidente de l’OTIE, l’Observatoire toulousain de l’immobilier d’entreprise, qui présentait le 9 juillet dans les locaux de l’AUAT, le bilan de l’activité du secteur au premier semestre 2020, s’est presque excusée d’adopter un ton « un peu lourd ». Pour autant, s’il est nécessairement influencé par le Covid-19, au final, les chiffres publiés à cette occasion se révèlent très contrastés en fonction des différents segments de marché.

EFFONDREMENT DU MARCHÉ DE BUREAUX

Ainsi, le marché tertiaire a-t-il été particulièrement affecté par la crise sanitaire. Au cours des six premiers mois de l’année, seuls 24 700 m2 de bureaux ont été commercialisés dans l’agglomération toulousaine, contre 56 400 m2 placés au premier semestre 2019. La demande placée au premier semestre 2020 atteint ainsi un niveau historique puisqu’elle est inférieure de 59 % par rapport à la moyenne décennale (65 200 m2). 67 opérations ont été enregistrées en six mois contre 102 un an plus tôt. Après un premier trimestre moins dynamique que les années précédentes, à 19 400 m2 placés, la demande s’est littéralement effondrée au deuxième trimestre, avec 5 300 m2 de bureaux commercialisés. Cette chute affecte du reste tant le neuf (6 500 m2) que les bureaux de seconde main (18 200 m2).

Dans cet environnement peu favorable, les grosses opérations ont été rares. On dénombre ainsi au cours du premier trimestre cinq transactions de grande envergure (supérieures à 1 000 m2) contre une vingtaine les années précédentes. Sur les 67 opérations comptabilisées, 55 concernent des surfaces inférieures à 500 m2, la surface moyenne des transactions s’établissant à 369 m2, contre 1 200 m2 entre 2016 et 2019.

Ces cinq opérations phares concernent 1 012 m2  vendus en centre-ville de Toulouse à Calaf, 4766 m2 loués à Sono vision Ortec et 1 159 m2 loués à Percall, à Saint-Martin du Touch/Ramassiers, 1 500 m2 loués à Viveris technologies dans le Parc du Canal et 1 595 m2 loués à Mercator Ocean, sur la Zac de Toulouse Aerospace.

Cet effondrement du marché de l’immobilier tertiaire n’est cependant pas propre à la région toulousaine pointe Julie Pasques, la présidente de l’OTIE et DG d’Arthur Loyd. « Cette chute est la même partout. On constate que l’immobilier de bureaux a beaucoup souffert de cette période de confinement qui a bloqué les entreprises pendant deux mois et demi et qui redémarre timidement avec de nombreuses questions en tête. Le télétravail va prendre une place que l’on ne sait pas encore déterminer et qui amène les entreprises à réfléchir à ce que sera demain. »

Malgré les difficultés annoncées et les plans de licenciements qui se profilent, particulièrement dans l’aéronautique, pour les professionnels de l’immobilier d’entreprise, réunis au sein de l’OTIE, il s’agit avant tout de rassurer les investisseurs. « Le socle est solide. L’écosystème reste performant, même si, notamment pour Airbus, il s’agit d’une passe difficile », martèle Julie Pasques, qui pointe « les autres filières d’excellence » de la région toulousaine : la santé, les transports du futur, les systèmes embarqués, les objets connectés. « Toulouse restera une métropole forte, nous en sommes tous convaincus. Ce que nous ne savons pas dire aujourd’hui, c’est comment le marché va se comporter. »

Le centre-ville et le nord-ouest toulousain ont capté plus de la moitié du marché sur le semestre. Une répartition géographique qui devrait évoluer au second semestre, puisqu’on « imagine, ajoute Julie Pasques, que le secteur ouest et nord-ouest sera affecté par les surfaces qui vont être lâchées par les métiers de l’aéronautique. On s’attend également à des difficultés dans le sud-ouest, par capillarité, le sud-est étant certainement affecté par l’impact de programmes qui seront retardés. »

Dans ce contexte, l’offre de bureaux disponible progresse de 6 % au deuxième trimestre. Sur cette période, le stock s’élève ainsi à 194 000 m2 dont seulement 14 000 m2 de neuf. Des chiffres qui devraient fortement évoluer d’ici l’automne, les professionnels redoutant une hausse des surfaces disponibles dans le secteur nord-ouest déjà pourvu de 77 000 m2 de surfaces vacantes.

L’OTIE chiffre l’offre certaine de bureaux neufs à 36 000 m2. Elle est constituée de huit immeubles de bureaux en cours de construction dont la livraison est attendue entre 2020 et 2022, situés à Blagnac, Saint-Martin-du-Touch, aux Ramassiers, à la Cartoucherie, Basso Cambo, Toulouse Aerospace, et Ramonville. Quid de l’offre future ? « Nous avions plus de 50 000 m2 de projets prêts à sortir, dénombre Julie Pasques, avec une progression que nous souhaitions lente, de manière à pouvoir l’absorber et qui devait se développer sur trois à quatre ans. On ne peut se cacher que les investisseurs restent prudents. Les programmes immobiliers en blanc auront du mal à avoir du succès. L’offre sera donc forcément naturellement très régulée ».

LOCAUX D’ACTIVITÉ ET ENTREPÔTS MIEUX ORIENTÉS

Au cours du premier semestre 2020, les surfaces de locaux d’activité et d’entrepôts commercialisées accusent également un net recul : 61 000 m2 contre 128 100 m2 un an auparavant, un chiffre en baisse de 38,5 % par rapport à la moyenne quinquennale (99 200 m2) elle-même marquée par des opérations exceptionnelles dans le domaine de la logistique. « Le marché a mieux résisté, assure ainsi Julie Pasques. Le niveau de transaction est “normal” puisqu’on retrouve le niveau du premier semestre 2018. »

On note toujours, poursuit la présidente de l’OTIE, « une appétence pour le neuf et une inadéquation de l’offre. Il manque toujours des produits de petites, moyennes et grandes surfaces dans le neuf même si les promoteurs y travaillent. Nous espérons d’ailleurs que la conjoncture ne remettra pas en cause les programmes qui doivent être lancés à la fois dans le secteur des locaux d’activité et de la logistique. » Sur le premier semestre, deux opérations supérieures à 5 000 m2 se distinguent dans le champ de la logistique : elles  concernent 6 835 m2 en compte propre pour Perrenot Transport sur la zone Grand Sud Logistique, 4 300 m2 loués à Geze à Saint-Alban et 10 000 m2 sur le pôle d’activité de Colomiers-Plaisance-du-Touch, une opération restée confidentielle. Côté locaux d’activité, il faut signaler trois importantes transactions, car elles portent sur des surfaces supérieures à 3 000 m2 : deux sur la zone Grand Sud Logistique, de 3 100 m2 en compte propre pour MCI et 4 600 m2 également construits en compte propre pour Barrau Transport, auxquels s’ajoutent 3 700 m2 vendus à Puybaret sur le pôle d’activité Nord. Au terme du deuxième trimestre, le stock de locaux disponibles s’élève à 350 500  m2 dont 93 500 neufs, essentiellement situés au nord de l’agglomération.

Quel impact la crise aura-t-elle sur le marché de l’immobilier d’entreprise ? « Nous n’avons pas toutes les réponses », reconnaît Julie Pasques. S’agissant d’éventuelles répercussions sur les prix de location et de vente, « je ne pense pas qu’il y en ait, admet la directrice générale d’Arthur Loyd Toulouse, car nous sommes sur un territoire où les coûts de mise sur le marché ont toujours été maîtrisés par rapport à d’autres métropoles. La progression des prix y est très lente, parfois trop lente. Ce qui nécessite de la part des promoteurs une gymnastique difficile car comment pallier la hausse des coûts de construction et une sortie de Covid-19 qui les oblige à mouliner pour éviter les pénalités ? Je ne vois pas comment dans ces conditions, on pourrait baisser les prix. Les investisseurs qui ont des immeubles difficiles à commercialiser vont plutôt faire de l’accompagnement, type franchise de loyers ou prise en charge de travaux, etc. »

Quid du développement du télétravail ? « Le lieu de travail sera aménagé différemment mais cela dépendra des métiers, des habitudes et des nécessités. Pour certaines activités, le télétravail sera peut-être une solution, mais dans la majorité des entreprises, les gens ont besoin de se parler, de se croiser. Pendant le confinement, on s’est adapté, mais il a fallu faire un effort et cela a été compliqué pour chacun de garder ce lien de travail, social, mental, humain. Certes, le télétravail a des avantages, mais cela reste une solution complémentaire, anecdotique », affirme Julie Pasques. « Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, on n’est pas capable de mesurer cet impact, reconnaît Marc Delpoux, ancien président de l’OTIE. Aucune entreprise n’est en mesure de savoir de quoi l’avenir sera fait. Aucune n’a une vision claire de ce dont elles auront besoin demain. Le seul pronostic que l’on peut faire, c’est que la demande va aller en diminuant, soit parce qu’il y a une perte d’activité liée aux difficultés de l’aéronautique, soit que le télétravail se développe, ou que l’entreprise déploie de nouveaux usages de bureaux, type flex office ».

Dans ce contexte, l’enjeu pour les professionnels de l’immobilier d’entreprise est de conserver la confiance des investisseurs. Pour cela, il faudra les convaincre que « Toulouse, ce n’est pas que l’aéronautique. C’est le message que nous devrons tous porter », martèle Julie Pasques. « Les investisseurs sont dans l’observation. Ils se posent des questions, et c’est ce que feront les utilisateurs qui déterminera leur appétence pour notre territoire », conclut la présidente de l’OTIE.