« Il n’y a qu’une armée »

Général Patrick Henry, directeur du Centre interarmées du soutien « restauration et loisirs ».

Basé au quartier Général-Frère, dans le 7e arrondissement de Lyon, le Général Patrick Henry arrive au terme de son mandat et passera le relais à la fin de l’été, le 26 août.

Réso Hebdo Éco. Vous êtes arrivé à la tête du Centre interarmées du soutien “restauration et loisirs” à la fin de l’été 2016. Pensez-vous que l’on accorde à ce centre – et aux missions qui lui incombent– l’importance qui lui est due ?

Général Patrick Henry. Le Centre interarmées du soutien “restauration et loisirs” a la charge de 350 restaurants et anime une filière imposante (environ 8 000 personnes concernées). On parle de sites physiques (les restaurants des bases aériennes, navales, des casernes) mais aussi des bateaux de la Marine nationale. Sans oublier les militaires déployés en opérations extérieures (Opex), comme ceux de l’opération Barkhane, menée au Sahel et au Sahara. La mission du Centre est primordiale. Il s’agit de nourrir le militaire dans son contexte de vie. Le soldat n’a pas vocation à passer sa vie en caserne, il se déplace, est mobile et actif sur divers terrains. Napoléon disait : « Le soldat se bat quelquefois, marche parfois, mange tous les jours ». Il n’y a pas d’un côté, celui qui combat, et de l’autre, celui qui soutient. L’équipe prime, l’esprit collectif prédomine. Je le répète souvent : le Centre interarmées du soutien “restauration et loisirs” joue un rôle capital dans le bon fonctionnement de nos armées, en France et à l’étranger.

L’implantation de ce Centre à Lyon, c’était une évidence ?

Non, il aurait pu voir le jour n’importe où en France. Mais en raison de l’incroyable écosystème lyonnais en termes de gastronomie, je pense que c’est une très bonne idée que de l’avoir positionné ici, en 2014. Le Centre regroupe 70 experts, ceux du matériel de restauration, de l’offre alimentaire, c’est-à-dire la manière de concevoir les menus et de travailler dans les cantines, des experts de la sécurité alimentaire, de la sûreté alimentaire, qui vérifient par exemple que l’eau ne soit pas polluée par des actes malveillants ou qu’aucun poulet congelé ne soit bourré de TNT et ne saute dans les soutes d’un bateau… Il y a aussi un vétérinaire, Sébastien, originaire de la Chartreuse. C’est une pointure dans son domaine, il anime le réseau français des responsables de la sécurité alimentaire. Il redouble de vigilance quand il com- mande et quand il réceptionne les marchandises. L’élaboration de fiches pratiques nous a permis d’accroître notre efficacité dans les contrôles. C’est peu ou prou tout ce qui gravite autour de l’univers de “food defense”.

Recensez-vous de nombreux actes de malveillance ? Sont-ils en croissance ?

La Toxi-infection alimentaire collective (TIAC) est le cauchemar de tout responsable de restaurant. L’armée s’est dotée de procédures lourdes mais qui s’avèrent indispensables et efficaces. Depuis le début de l’année 2019, des problèmes ont été relevés. À la suite d’enquête, il s’avère que l’armée n’est pas impliquée dans ces incidents. Les causes étaient extérieures. Un cas a été signalé à Brest et concernait la marine. Finalement, il s’agissait d’un acte malveillant d’un salarié d’une entreprise
qui fournissait de la nourriture à l’armée. Ce dernier avait volontairement brisé la chaîne du froid des aliments livrés, car il voulait se venger de son patron.

Le Centre a-t-il vocation à répondre favorablement aux exigences des militaires, qu’elles soient confessionnelles ou dictées par de nouvelles habitudes de consommation ?

En 2017, on a adhéré au réseau Restau’Co qui fédère le monde de la restauration collective (300 000 agents). Cela nous a permis de suivre de près les débats liés à la loi Egalim (ndlr : adoptée par le Parlement le 2 octobre 2018, la loi pour l’Equilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable a été promulguée le 1er novembre 2018) et en déduire de manière concrète, comment se préparer à l’échéance de 2022. L’idée est de répondre à la question : comment mettre plus de bio et de produits de qualité dans l’assiette sans coût supplémentaire ? Notre méthode : bien connaître les filières d’approvisionnements. Notre avantage est d’acheter et d’expérimenter à grande échelle. Ainsi, on parvient à de bons résultats. Nous avons donc intégré du bio et des produits labellisés en maîtrisant les coûts. L’augmentation est mineure : seulement 10 centimes de plus par repas. Nous tentons de répondre aux tendances sociétales (végétarien, vegan…) et dans la mesure du possible aux particularismes confessionnels, en proposant des menus variés. En revanche, quand on est en opération, pas de passe-droit. L’opération prime !

Quid des opérations des missions Sentinelle ?

À l’origine du déploiement de Sentinelle, on passait des partenariats avec des restaurants qui accueillaient les militaires, généraient les factures, attendaient le paiement deux mois après… Ce système, rigide, ne convenait ni aux restaurants ni à nos équipes. Désormais, il existe le Pass’Sentinelle, déployé sur tout le territoire depuis juin 2018 sous la forme d’une carte monétique d’alimentation individuelle. Et grâce à un système de géolocalisation sur smartphone, nos soldats ont aussi accès à 200 000 points de vente . Sans omettre les potentialités offertes par les restaurations dites alternatives comme les kiosques à pizzas – des automates mis en place dans les enceintes militaires isolées et qui délivrent, entre 22 heures et 6 heures, des pizzas – ; ou les food trucks. On a aujourd’hui la capacité de livrer au plus près du soldat.

Vous insistez sur l’importance de la restauration pour l’armée. L’image est en train d’évoluer, positivement, sous l’effet d’évènements nouveaux, comme le concours Trident d’Or…

Nous nous devons d’évoluer. Pour challenger les restaurants militaires, on attribue un label Trident. Si le restaurant respecte à 80 % le référentiel, il obtient le label. Aujourd’hui, 90 % de nos restaurants l’ont. Tout est contenu dans ce label, qui s’adapte chaque année : bien nourrir, bien accueillir, bien informer, bien piloter. Il a permis de professionnaliser nos modes de fonctionnement. Nous voulons donner au cuisinier l’occasion de démontrer qu’il est un professionnel remarquable, notamment auprès des hautes autorités. D’où la création d’un concours, organisé tous les deux ans et qui monte en puissance. Cette année, il était parrainé par Guillaume Gomez, chef cuisinier du palais de l’Elysée, le chef cuisinier du chef des Armées, à savoir le Président de la République. Le jury comprenait aussi les Meilleurs ouvriers de France Davy Tissot, Alain Le Cossec et Christian Janier, la présidente des Toques françaises Marie Sauce Bourreau, Bernard Leprince qui dirige les cuisines du groupe Frères Blanc à Paris, le Lyonnais Christophe Marguin, le chef des cuisines du NegrescoVirginie Basselot… Ce sont les garanties d’un jury impartial et haut de gamme. Tous ces grands noms ont fait preuve de simplicité vis-à-vis de nos binômes de chefs cuisiniers militaires. Quand les protagonistes entendent : « Ce plat, je le prends à ma carte », ils sont fiers. C’est la reconnaissance d’un travail de l’ombre. Quand on gagne Trident, on représente ensuite la France aux États-Unis. Guillaume Gomez va accueillir, dans ses cuisines, le vainqueur pour le stimuler et le coacher avant l’épreuve. À l’instar du civil, il y a très peu de femmes dans nos cuisines. L’idée est désormais de valoriser les parcours féminins, c’est un point d’attention pour l’avenir.

Justement, l’avenir pour vous s’écrira ailleurs. Comment jugez-vous votre mandat ? Des regrets ?

Mille regrets car les choses n’avancent pas à l’allure souhaitée. Je viens de lancer des actions pour réduire le gaspillage alimentaire. Selon une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), il y a, de la fourche à la fourchette, 15 à 20 % de gâchis. À l’heure où les crédits budgétaires sont insuffisants, on se doit d’agir et de lutter contre le gaspillage. Des sites pilotes vont mener des actions. Autre réflexion, la réduction des déchets. Il faut repérer les process et voir où les gains sont possibles. Beaucoup de chantiers sont en cours, beaucoup de fers au feu. À titre personnel, je juge mon bilan positif. Beaucoup d’innovations émaillent le Centre. Nous allons au contact de start-up. L’une d’elles, rencontrée en juin 2018, faisait des tapis connectés pour Roland-Garros afin de diriger les spectateurs vers les stades et optimiser les remplissages. Dans les restaurants militaires, on rencontre des problèmes de files d’attente. Grâce aux tapis, il sera aisé d’informer en cuisine que le coup de feu n’est pas fini, de renseigner des panneaux devant les salles pour dire si telle salle est pleine, mais qu’une autre, à côté, est libre, de faire passer des messages aux professeurs pour leur dire de ne pas libérer les élèves de suite car il y a de l’attente aux cantines. Des tests seront opérés à Lyon, à Toulon et à Rochefort. Nous avons rencontré les dirigeants d’une start-up qui conçoit un boîtier avec intelligence artificielle pour les salles froides. Ce boîtier écoute et analyse les bruits du compresseur et se déclenche pour prévenir la panne. Bref, l’innovation est omniprésente dans l’Armée.

Propos recueillis par Laurent Odouard, pour RésoHebdoÉco.

L’alimentation, nerf de la guerre ?
Après trois années au Centre interarmées du soutien « restauration et loisirs », le Général Patrick Henry livre un bilan positif, en rappelant le professionnalisme et l’exigence qui président aux métiers de la restauration militaire, trop souvent oubliés, ou à tout le moins méconnus, alors qu’ils s’avèrent indispensables pour un fonctionnement efficient des armées sur le sol domestique ou en opérations extérieures.