« Il n’y a nulle part en Europe cette politisation de l’économie que connaît la France »

Pierre Gattaz, président de Business Europe. (Droits réservés)

En mai 2018, à peine sorti du Medef qu’il a dirigé pendant cinq ans, Pierre Gattaz était élu à l’unanimité président de Business Europe, succédant à Emma Marcegaglia, la tête du groupe ENI. Point d’étape et ambitions.

Business Europe, un Medef européen ?

Nous représentons les 28 patronats européens, plus sept patronats « amis » (comme la Suisse). À 35, nous voulons promouvoir l’excellence économique, fondamentale, mais en partageant tous la valeur de la protection sociale et du bien-être des salariés. Business Europe, ce sont des gens responsables, très proeuropéens.

Votre touche personnelle depuis votre élection ?

Côté terrain, j’ai fait le tour de l’Europe en six mois, via une dizaine de capitales, juste avant le 26 mai. Et avec mes pairs locaux, nous avons organisé des rencontres, et une communication autour de ces rencontres, pour donner la position du patronat. Le message était clair : si on veut, à terme, améliorer les prestations sociales, alors il faudra écouter les entreprises… En interne, nous avons développé une argumentation simple : l’Europe a apporté au passé la prospérité, la démocratie et la croissance, aux 28 pays, surtout aux pays de l’Est. C’est assez incroyable, ils ont un taux de chômage de 5 %… À présent, l’Europe est une nécessité face aux deux géants que sont la Chine et les États-Unis, qui veulent tous deux être maîtres du monde. Dans le futur, l’Europe porte des challenges, comme le climat, l’énergie, l’intelligence artificielle, le respect de la planète. La démographie en Afrique ou en Inde va exploser, que pourrait faire, tout seul, un petit pays comme la France ?

Le rapport direct avec les entreprises ?

L’entreprise apporte 80 % des jobs en Europe, et elle apporte aussi 80 % des solutions à tous ces challenges à venir.

Vos rapports avec les instances politiques européennes en tant que président de Business Europe ?

J’ai beaucoup bossé avec Jean-Claude Juncker, avec les commissaires européens. Nous sommes prêts à rencontrer la nouvelle équipe, avec un certain nombre d’arguments, parmi lesquels l’importance du marché unique, pour 500 millions de consommateurs, l’importance aussi d’une union douanière, l’importance de l’euro. Nous travaillons sur une vision industrielle à 30 ans. Le marché unique, c’est plus d’agilité, de rapidité, de créativité, avec en parallèle des réglementations moins lourdes. Pas question pour nous d’opter pour un marché unique à l’américaine, façon cow-boy. Oui, nous voulons transformer nos start-up en Google ou en Amazon, mais avec une vraie vision à long terme. Sans pour autant faire des plans à la chinoise… Il y a quelque chose d’intermédiaire à trouver entre les deux.

N’est-ce pas une vision trop… française ?

Sans doute un peu. C’est surtout une vision industrielle, je l’ai beaucoup testée auprès de mes pairs, à travers Ambition 2030, le premier document avec une réelle perspective. Et les autres patronats écoutent, y compris les plus libéraux, comme les Polonais et ceux des pays de l’Est en général, qui sont très américanophiles, qui ont un peu peur de trop de directives de Bruxelles. Moi, je leur dis de réfléchir à l’Afrique, qui va passer de 1,2 à 2,5 milliards d’habitants : il faut les aider, leur créer des jobs, les pousser à réfléchir sur des concepts comme les smart cities. Il faut les épauler, pour le travail, l’éducation, la santé. Les Indiens sont en train de créer 106 villes nouvelles, et ils nous demandent de les aider, notamment la France avec son écosystème porté par des Veolia ou des Suez. Il faut chasser en meute, nous y sommes parvenus sur de grands programmes comme Airbus, Galileo, Erasmus… Il y aurait tant d’autres visions extraordinaires si nous ne subissions pas une fiscalité idiote. J’avais 30 concurrents avec Radiall, ils sont tous partis à cause de l’ISF, il nous faut une politique qui pousse les entrepreneurs à rester, les motiver pour qu’ils investissent et qu’ils embauchent en France.

Propos recueillis par Isabelle Auzias pour RésohebdoEco.

« Je l’appelle ma start-up du Luberon »
En rachetant le domaine du Château de Sannes (84), Pierre Gattaz s’inscrit « dans le temps long »

70 hectares dont 30 dévolus aux vignes, c’est un retour à la terre assumé pour Pierre Gattaz. « Après le Medef, je cherchais un job passionnant et fondamental en plus de Radiall et de Business Europe, qui ne va durer que quatre ans… ». Et pour s’enraciner, il choisit la Provence, lui qui passait ses vacances chez ses grands-parents à Saint-Raphaël et qui possède déjà une propriété dans le Var. « C’est l’endroit où je me sens bien, ma madeleine de Proust ». Il avoue n’avoir ressenti aucune affinité particulière avec le Bordelais, à l’heure de la prospection pour trouver domaine à son goût. « J’ai découvert Sannes un peu par hasard, via une petite annonce, ça a été le coup de foudre. Ici, il y a quelque chose qui se passe, au-delà du projet d’entreprise, un écosystème humain incroyable ». Car Sannes n’a rien d’une retraite. Et à bientôt 60 ans, Pierre Gattaz n’a pas raccroché les gants. « Ce domaine, c’est ma start-up du Luberon, que l’on crée à partir de zéro ou presque, en famille ».
Trois bâtiments, une imposante bastide, une bergerie et une ancienne écurie transformés en chambres d’hôtes, « il faut des recettes pour faire vivre un tel lieu ». Alors cap sur l’accueil de séminaires à tendance bio et nature côté loisirs, sur de l’événementiel maîtrisé pour respecter le patrimoine, sur les produits de la vigne, sur l’huile fournie par 400 oliviers… « Pourquoi pas, aussi, mieux profiter de la nature ». Et d’imaginer sur les berges du Renard, le ruisseau qui traverse la propriété, un sentier découverte à mi-chemin entre l’espèce endémique et le jardin botanique aux excroissances extraordinaires. Pierre Gattaz y organise aussi des rencontres économiques ou culturelles, profitant à plein des 15 chambres disponibles sur l’ensemble du bâti. Pour lui, c’est une nouvelle aventure: « Radiall, c’est une société familiale, créée par mon père et mon oncle. Depuis mon arrivée en 1992, nous nous sommes bien sûr développés, mais là, partir d’une feuille blanche, c’est fabuleux. C’est un risque aussi… » Il n’était pas question d’acheter un domaine juste pour s’y installer ponctuellement, « trop ennuyeux, la chaise longue, je ne sais pas faire… » Pour qu’il soit pleinement heureux, « il faut que ça bouge, il faut des idées, des projets. Donner du sens à une réalité économique, c’est vraiment magique ». C’est l’occasion aussi de faire travailler les artisans locaux, une force patrimoniale française qu’il soutient bec et ongles, dans son « projet multifonctions autour de la vigne et du vin ».