« Il faudra six mois à un an avant un retour à la normale »

Opticien depuis 1999, Olivier Padieu est aujourd’hui gérant de 11 établissements à Dijon et en Bourgogne Franche-Comté.

Président du groupement Optic 2000 – Lissac – Audio 2000 qui regroupe quelque 1 200 magasins sur le territoire national pour un chiffre d’affaires global de plus d’un milliard d’euros, Olivier Padieu imagine les métiers de l’optique et de l’audiologie post-Covid.

Le Journal du Palais. Quels sont les impacts de cette crise sanitaire sur les métiers de l’optique et de l’audio ?

Olivier Padieu : Bien que les opticiens étaient sur la liste des magasins qui pouvaient rester ouvert, nous avons choisi de fermer les magasins. Nous n’avions en effet pas de quoi protéger nos collaborateurs et pas non plus suffisamment de masques et de gels hydro-alcooliques pour pouvoir ouvrir dans de bonnes conditions. Mais pour assurer une continuité de soin en optique, comme l’a souhaité le gouvernement, les syndicats d’optique, au niveau national, ont mis en place un service d’urgence. Le site urgenceopticien.fr, référencie l’ensemble des magasins qui ouvrent une à deux demi-journées par semaine, uniquement pour assurer tout ce qui est réparation, ainsi qu’une continuité de service pour le personnel de santé. Les impacts sont donc multiples. Le premier est humain puisque chacun est confiné. Il n’y a plus d’échanges comme nous avions l’habitude, tant entre collaborateurs qu’avec les clients. Nous l’avons remplacé par beaucoup de visioconférences et d’échanges téléphoniques, pour maintenir un lien et avec les collaborateurs et avec les équipes et les autres opticiens. Bien sûr, il y a aussi un impact financier puisque les magasins sont fermés et les ouvertures sur le système d’urgence, ce n’est que du dépannage donc il n’y a pas d’entrée financière. On se retrouve donc, comme beaucoup de commerçants, dans une situation financière compliquée. L’accompagnement et les aides mises en place par l’État sont les bienvenues. Pour le moment, au niveau national, il n’y a pas encore de casse importante. En revanche, il faudrait qu’on retrouve un rythme d’activité assez rapidement parce que là, on sent bien qu’on a pu tenir un mois et demi, peut-être deux, mais il faut que l’économie reparte.

Comment, aujourd’hui, les professionnels s’organisent-ils ?

O.P. : Au sein de l’enseigne, de la coopérative Optic 2000, nous aidons et nous assistons quelques fois nos opticiens pour bénéficier des aides. Ensuite, il y a aussi une aide financière. Par exemple, au niveau Optic 2000, nous avons suspendu et annulé tous les prélèvements, c’est-à-dire, qu’il n’y a plus de redevance de marque, ni de redevance de service et encore moins de redevance de publicité. Nous avons choisi d’alléger toutes les charges qui étaient liées à l’enseigne pour aider nos associés.

Quels enseignements pourrons-nous tirer de cette crise ?

O.P. : Elle nous apprend beaucoup de choses. Je pense déjà sur le plan humain, à tout ce qui concerne la solidarité et l’entraide, deux valeurs qui dans une coopérative font partie des fondamentaux. Avant cette crise, on avait peut-être tendance à privilégier l’aspect commercial et financier… En début d’année, tout le monde se souhaite la bonne santé mais en le prononçant très rapidement. Finalement, je crois que tout le monde a compris que la santé ne tenait qu’à un fil, personne n’avait vu venir cette crise.

Vous devez vous préparer à une sortie de crise, reste à savoir quand… Comment voyez-vous l’après-Covid-19?

O.P. : Il y a déjà le juste après. Comment allons-nous rouvrir ? Dans quelles conditions de sécurité optimale pour nos collaborateurs et pour nos clients ? J’imagine que comme tout le monde, on y travaille. Nous sommes en train de mettre les protections nécessaires pour pouvoir travailler sereinement et sans prendre de risque. Ensuite, à moyen et long terme, concernant les opticiens, la difficulté va venir aussi du fait que les ophtalmologistes n’auront travaillé pendant deux mois. On a chiffré qu’il manquerait à peu près deux millions de consultations ophtalmologistes pendant cette période. Il n’y aura donc pas eu d’ordonnance. C’est à dire que le temps que les ordonnances reviennent, il va y avoir une difficulté réelle pour les opticiens. Sans oublier que cette crise va aussi complexifier l’accès aux soins pour les Français. Il fallait déjà, avant le début de la crise, 90 jours en moyenne pour consulter un ophtalmologiste, ce délai va être encore prolongé parce que les mesures barrières feront qu’ils ne pourront plus voir autant de patients chaque jour. Dès que nous reviendrons à un fonctionnement plus classique, nous allons d’ailleurs insister auprès de notre ministère de tutelle, la Santé, pour faire des propositions et notamment pour que l’opticien prenne une part plus importante dans le parcours de soin visuel pour désengorger les ophtalmologistes et leurs permettre de se concentrer sur les urgences chirurgicales, pendant que nous nous occupions de l’aspect réfraction, c’est-à-dire la correction de l’œil. Aujourd’hui, on estime que ce n’est pas encore la priorité du ministère de la Santé, mais nous sommes prêts à aborder ces points au moment venu.

Comment, demain, les métiers de l’optique et de l’audiologie vont devoir être réorganisés en réponse aux enseignements de cette crise ?

O.P. : Il faut en effet distinguer l’optique et l’audiologie de par la moyenne d’âge des clients. On a en audiologie une moyenne d’âge plus élevée, donc une population plus sensible au Covid-19. Nous avons des difficultés en optique qui seront encore plus fortes en audiologie. Les contraintes en audio sont telles qu’on est encore plus proche du patient. On pense d’ailleurs que l’audiologie prendra plus de temps à redémarrer normalement. Mais dans les deux cas, nous allons mettre un certain nombre de nouvelles mesures. Par exemple, dans l’optique, les clients ne pourront plus accéder eux-mêmes aux montures. Ce sera le conseiller en optique qui ira choisir les lunettes et qui les proposera au client après les avoir nettoyées. Ce sont autant de remises en cause de la façon dont on travaillait avant qui vont être appliquées dans les semaines et probablement les mois et les années à venir. Concernant certains examens qui nécessiteraient une certaine proximité entre le professionnel et le patient, comme la contactologie, le port et l’essai de lentilles de contact, nous allons reprendre certaines activités plus tardivement pour deux raisons. Il va d’abord falloir qu’on s’habitue à travailler complètement différemment sur l’optique, donc le temps qu’on prenne d’abord les bons réflexes et les bons gestes barrières. Et ensuite, dans les mesures de protection pour nos collaborateurs, la contactologie un peu comme l’audiologie augmente la proximité du patient et j’aimerais remettre ces activités en place seulement quand j’aurai accès à des masques FFP2 en quantité suffisante pour pouvoir équiper le collaborateur et le client.

Dans la mesure où un déconfinement aurait bien lieu le 11 mai, quel temps faudrait-il pour qu’un retour à la normale s’observe, tant dans l’optique que dans l’audiologie ?

O.P. : Nous avons notre idée bien à nous. Au niveau de l’optique, je pense qu’on devrait revenir à un rythme qu’on espère normal d’ici à la fin de l’année. Et au niveau de l’audiologie, j’ai peur que ce soit plutôt six mois de plus. De toute façon, globalement, tant que nous n’aurons pas une économie qui sera repartie totalement, je pense aux cafés, bars et restaurants qui resteront fermés, sans parler de l’incertitude d’une possible deuxième vague, c’est très difficile de se projeter. Personnellement, j’ai revu l’exercice 2020 en étant en perte sur toute l’année.