Hydroélectricité: la Shem à la croisée des chemins

La Shem compte 56 usines et 12 grands barages dans le grand Sud-Ouest.

L’hydroélectricien poursuit son plan d’investissements en attendant qu’une décision soit (enfin) prise sur la question du renouvellement des concessions. Trois des vallées gérées par la Shem sont concernées sur neuf.

Avec ses 56 usines et ses 12 grands barrages répartis sur la chaîne des Pyrénées, les rivières du Lot et de la Dordogne, la Société hydroélectrique du Midi (Shem), basée à Balma, est un producteur d’hydroélectricité majeur dans le grand Sud-Ouest, le troisième en France. La filiale d’Engie, qui emploie près de 315 collaborateurs, n’en est pas moins inquiète pour son avenir. L’entreprise, qui a produit l’an dernier 1,4 térawattheure (TWh) contre 1,8 TWh en 2018 et 1,2 TWh en 2017, est en effet fortement soumise aux aléas de la météo et le réchauffement climatique, qui fait varier le niveau des précipitations, accroît cette incertitude. « La Shem est à la fois productrice d’électricité verte et gestionnaire de la ressource en eau à travers la gestion des crues et la fourniture d’eau au territoire pour l’irrigation, l’agriculture, l’eau potable. Et ce volet a vocation à s’accentuer avec les évolutions climatiques », détaille Cyrille Delprat, directeur général de la Shem.

TENSIONS SUR LA GESTION DE L’EAU

« 2019 a été la troisième année la plus chaude du XXIe siècle. En termes d’hydrologie, les neuf premiers mois ont été très secs et les trois derniers très pluvieux. Ce contraste très fort, comme en 2017 et 2018, aboutit à une production très moyenne en termes de volume. Mais cela ressemble à ce que les prévisionnistes nous annoncent pour les décennies à venir, c’est- à-dire des phénomènes alternant pluies très fortes, grandes crues et sécheresses, avec des périodes d’étiage très marquées et plus longues qu’aujourd’hui. » S’il se veut très prudent, le DG de la Shem estime que « cela va dessiner des tensions entre le métier de producteur d’électricité et la gestion de la ressource en eau. »

Pour preuve les difficultés générées cet été par la sécheresse dans la vallée de la Neste. L’hydroélectricien a, en effet, l’obligation de fournir à la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne, 48 millions de m3 d’eau entre le mois de juin et le mois de mai de l’année suivante. « Or cette année, compte tenu de la sécheresse, nous avons fourni la quasi totalité de ces 48 millions de m3 sur les quatre ou cinq premiers mois de cette année glissante, entre juin et octobre. » Pour satisfaire à cette obligation, la Shem a « quasiment mis à sec » les lacs des vallées d’Aure et du Louron. « Heureusement à partir d’octobre, il s’est mis à pleuvoir et ensuite il a neigé ce qui a permis de détendre cette période de tension. Mais viendront des années où il y aura moins d’eau encore et où nous ne serons pas en mesure de fournir ces millions de m3 parce que nous ne les aurons pas. Cela doit nous amener à réfléchir. Nous sommes en discussion avec les services de l’État sur ces sujets : comment permettre l’alimentation en eau et en même temps la production d’énergie verte ? » Une expertise est en cours à la maille du bassin Adour Garonne, dans laquelle la Shem est partie prenante. Associée à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), la Shem participe également au programme de recherche européen Interreg Piragua qui vise notamment à évaluer les évolutions des apports en eau sur l’ensemble des Pyrénées ainsi que les modifications du cycle de l’eau en fonction de l’augmentation des températures. Sachant que les prévisions de diminution de la ressource en eau « varient selon qui on écoute, entre 0% et 40% en 2050 », précise Cyrille Delprat. Ce qui est sûr en revanche pour ce dernier, c’est que « l’avenir ce n’est pas d’être un simple producteur d’hydroélectricité, même si elle a une place majeure dans le schéma qui doit nous conduire à la transition énergétique. Nous voulons être un acteur au sens plus large en intervenant à la fois sur la production d’hydroélectricité, sur la gestion de la ressource en eau et sur la biodiversité. »

37 M€D’INVESTISSEMENTS

Illustration de cette volonté, la Shem, qui a réalisé l’an dernier 89,7 M€ de chiffre d’affaires (contre 91,3 M€ en 2018 et 90,2 M€ en 2017) continue d’investir. En 2019, ce sont ainsi 37 M€ (contre 32 M€ en 2018) qui ont été dépensés pour la maintenance ou la rénovation de ses installations, dont près de 11 M€ sur le territoire de l’Occitanie. Dans les Hautes-Pyrénées, la Shem mène notamment un important chantier à l’usine d’Eget où elle remplace les sept conduites forcées par une seule de plus gros diamètre. Les travaux doivent se poursuivre durant quatre ans.

En 2020, la Shem prévoit une nouvelle enveloppe d’investissements de 37 M€ (dont 15 M€ en Occitanie) pour moderniser certains de ses sites, les redimensionner ou encore assurer « la continuité écologique », avec par exemple l’installation de passes à poissons. La Shem mène également des travaux préparatoires à d’autres grands chantiers qui débuteront l’an prochain dont le remplacement d’une conduite forcée aux Bouillouses, le confortement du barrage de Touluch sur le Lot ou encore la vidange de celui de Fabrèges dans le Béarn. Cet effort d’investissements que Cyrille Delprat, juge « conséquent pour une entreprise comme la nôtre », devrait se poursuivre au même rythme jusqu’en 2025, prévoit-il.

DE NOUVEAUX MICROBARRAGES DANS LES ALPES

La Shem, qui dispose d’une puissance installée de 783 MW veut encore étendre ses capacités de production. Faute de pouvoir se positionner sur le marché du renouvellement des concessions toujours en stand-by (lire plus loin), l’entreprise lorgne celui de la « petite hydroélectricité » qui concerne les installations d’une puissance inférieure à 4,5 MW via la création d’une filiale, Odissy, qui exploite la quinzaine de sites que la Shem détient dans ce segment. Elle a remporté l’an dernier un appel d’offres de l’ONF pour exploiter une installation de ce type située en Savoie, la région Auvergne-Rhône-Alpes constituant un nouveau terrain de jeu pour la Shem, sachant, rappelle Cyrille Delprat, que « les Alpes concentrent 80 % du potentiel de la petite hydroélectricité. Dans les Pyrénées, il est plus difficile de développer des projets de cet ordre au regard du classement des cours d’eau. » La Shem espère gagner d’ici 2030 via ces nouveaux projets 30 MW de puissance installée.

OUVERTURE À LA CONCURRENCE ?

Autre motif d’inquiétude pour l’industriel nonagénaire : le serpent de mer de l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques. L’Europe pousse depuis plus de 10 ans la France à mettre fin au quasi-monopole d’EDF dans la production d’hydroélectricité, sachant que l’opérateur historique détient 80 % des capacités de production. L’État français a temporisé depuis, reportant sine die la publication d’un calendrier de renouvellement des concessions, alors que certaines, à l’image de trois concessions hydroélectriques de la vallée d’Ossau, dans les Pyrénées-Atlantiques, sont arrivées à terme depuis fin 2012…

Les choses semblent cependant bouger au plus haut niveau de l’État, après que la Commission européenne ait adressé à la France deux mises en demeure, l’une en octobre 2015 et l’autre en mars 2019. L’actuelle ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, a en effet montré en décembre 2019 devant le Sénat la volonté du gouvernement de rechercher avec l’Europe une solution qui permettrait d’éviter l’ouverture à la concurrence. « Nous réfléchissons à un système de quasi-régie pour octroyer sans mise en concurrence des concessions et structures publiques dédiées », avait- elle ainsi déclaré devant les parlementaires.

Une solution qui est loin de satisfaire la Shem. « Plusieurs scénarios existent pour alimenter ce dispositif de quasi-régie 100 % publique, qui demandent à être consolidés. Des discussions sont en cours avec l’Union européenne pour s’assurer que ces solutions sont acceptables. Nous sommes embarqués dans un dossier qui ne nous concerne pas directement mais l’acteur majoritaire qu’est EDF. L’État recherche en effet une solution qui satisfasse cet acteur dans le cadre du projet Hercule qui vise la réorganisation d’EDF de manière large et dont le sujet d’entrée est le nucléaire. L’hydro est secondaire et dans le dossier hydro, la Shem est aussi secondaire. Nous sommes donc très attentifs à ce qui se passe. Nous discutons avec l’ensemble des parties prenantes. Ce que nous demandons c’est de la transparence et que le dispositif adopté soit équitable, que l’ensemble des acteurs soient pris en considération. Parce que selon les formes que prendrait ce dossier, il y a un enjeu vital pour la Shem. Compte tenu de notre taille, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre une partie de nos concessions. Il y a des enjeux d’emplois et de pérennité. » De fait, si le dossier est porté à son terme, « ce qui n’est pas sûr », reconnait Cyrille Delprat, « nourrir cette quasi-régie avec les concessions arrivées à échéance est la solution la plus simple. Or nous avons trois vallées concernées aujourd’hui, l’Ossau, le Louron et la Têt, sachant que nous en gérons neuf… »