Jean-Marc LalaneHomme du monde

Jean-Marc Lalane

Ce chef d’entreprise multirécidiviste s’est lancé dans un nouveau projet: Monkilowatt qui développe un générateur d’énergie renouvelable mobile qui sert aussi d’abri, un concept aux multiples applications. Il espère signer ses premières ventes en 2020.

Il suffit de pousser la porte d’un hangar du plateau de la Ménude à Plaisance du Touch, pour prendre la mesure du dernier bébé de Jean-Marc Lalane: son concept complètement déployé de Containwatt impressionne. L’entrepôt est tout juste assez grand pour abriter ce générateur d’électricité renouvelable mobile qui sert aussi d’abri autonome et aménageable. Le serial entrepreneur planche dessus depuis trois ans et le premier exemplaire qu’il a exposé à Montpellier récemment a très vite séduit. La structure, qu’il a voulu simple à installer, et surtout robuste pour résister à des environnements sévères (vent, sable, etc.), est destinée au marché des bases de vie, civiles et militaires, à celui de l’événementiel et peut aussi offrir un accès à l’énergie aux populations des villages qui, dans le monde, n’ont pas accès aux réseaux d’électricité. Labellisé par le Pôle de compétitivité Derbi, Monkilowatt, qui a reçu le prix « coup de cœur » du salon Energaïa 2018, a fait parti, en novembre dernier, de la sélection d’Occitanie Invest… Rien d’étonnant quand on connaît le parcours du créateur de la start-up.

Ce « caouec » pur jus a grandi entre Blagnac et le quartier des Sept-Deniers – sa mère travaillait chez Job, son père chez Sud Aviation, ancêtre d’Aérospatiale puis d’Airbus. Après deux années d’IUT à Nîmes, il se lance à Toulouse avec un ami dans le développement de logiciels de conception assistée par ordinateur (CAO) en créant IGE. Pour le thermique à l’origine, mais très rapidement dans le domaine électrique. « Il m’a suffi de quelques minutes de recherche sur le minitel, à l’époque, pour faire mon étude de marché, s’amuse Jean-Marc Lalane. Il y avait très peu de thermiciens mais des milliers d’électriciens » et donc de potentiels clients. Très bonne pioche.

« J’ai une chance extraordinaire parce qu’avec Monkilowatt et IGE, j’aurai vécu l’arrivée de produits qui ont un peu révolutionné le monde, s’enthousiasme aujourd’hui le quinqua. Dans les années 80, c’était la micro-informatique, et avec Charles (NDLR, Charles Baudron, cofondateur d’IGE), nous avons été parmi les premiers à construire nos propres ordinateurs et à développer des logiciels. D’ailleurs au début d’IGE, on nous appelait les Bill Gates de Toulouse, toutes proportions gardées, bien sûr ! Du reste, à l’époque, on n’appelait pas ça des start-up. Pourtant nous avons vécu la même chose. Cela me fait rire aujourd’hui lorsque je discute avec les jeunes créateurs d’entreprise que j’accompagne dans le cadre de Moovjee. Parce qu’un an après avoir créé ma boîte, à l’âge de 21 ans, on avait un bar, des canapés, la machine à café, etc. Or, depuis qu’on a découvert que Google mettait des baby-foot dans ses salles de repos, c’est devenu révolutionnaire. Mais non ! On faisait ça bien avant. »

L’idée d’IGE de développer des logiciels pour concevoir des schémas d’installations électriques est très novatrice à l’époque. Sauf que pour les vendre, « nous n’avions pas d’ordinateur portable, se souvient Jean-Marc Lalane qui se déplace alors aux quatre coins de l’Hexagone avec pour seule arme son bagou et des plans électriques dessinés par traceur sur des feuilles de papier… « Les gens, dans les entreprises, étaient éberlués de voir ce qu’on était capable de faire avec nos ordinateurs ! J’ai fait partie de cette histoire- là », s’amuse t-il avant de poursuivre. « Aujourd’hui avec Monkilowatt et le photovoltaïque, on revit la même chose. Les gens découvrent qu’on peut produire de l’électricité simplement, autrement, et que c’est peut-être une piste positive, optimiste pour l’avenir. J’ai l’impression, avec cette nouvelle aventure, qu’on change un peu la donne. Je m’éclate en innovant ! »

Trente ans plus tôt, la réussite d’IGE leur est littéralement « tombée dessus » assure Jean-Marc Lalane.

D’ailleurs, ce père de trois enfants de 25, 24 et 19 ans, aime leur rappeler qu’à 25 ans justement, « j’avais déjà plus de 100 salariés. On a vécu des choses invraisemblables ». Dont la création de la filiale en Pologne, en 1988, un an avant la chute du mur de Berlin. Jean-Marc Lalane évoque « le manque de nourriture, la tristesse infinie, des gens qui rêvaient de l’Occident… »

Soutenue par l’Irdi, IGE connaît rapidement le succès. « Nous n’avions pas le meilleur logiciel, admet Jean-Marc Lalane, mais nous, on le vendait ! » La force de l’entreprise d’alors réside dans son caractère bicéphale. « Charles s’est concentré sur le développement du produit parce qu’il était meilleur que moi sur ce plan-là et moi, parce que j’avais un plus grand bagou, je me suis coltiné la vente. Je n’ai pas fait d’école de commerce et les gars du marketing peuvent me raconter ce qu’ils veulent, pour moi, c’est du bla-bla! J’ai tout appris sur le tas. » Tous les jours de la semaine, le DG d’IGE parcourt la France, de sorte que « quand mes concurrents vendaient un soft par mois, moi j’en vendais 10 ! »

La PME génère rapidement du chiffre d’affaires et réalise plusieurs opérations de croissance externe. En 1992, XAO Industrie tombe dans son escarcelle. Cinq ans plus tard, le groupe, devenu IGE + XAO, a besoin de restructurer ses fonds propres et s’introduit en bourse. L’année suivante, Charles Baudron « rend son tablier » tandis que c’est Alain Di Crescenzo qui prend les rênes de l’entreprise. « Si une chose me définit, c’est que je n’aime pas l’argent, explique Jean- Marc Lalane que la perspective de devoir négocier avec banquiers et financiers pendant des mois suite à l’arrivée sur le Nouveau Marché n’enchante guère. Techniquement, je ne suis pas bon dans ce domaine. Ça ne m’intéresse pas ! ».

En 2003, Jean-Marc Lalane revend à son tour ses parts. Après « 15 ans de croissance démoniaque », le désormais ex-DG éprouve le besoin de faire une pause. Durant cette « retraite active », il « bricole », bouquine, s’instruit, voyage – « c’est un de mes moteurs, explique-t-il, j’aime le monde ». « J’avais 40 ans et je m’interrogeais sur ce que je voulais faire, vraiment », ajoute-t-il.

En 2008, avec l’entrepreneur Benoît Moulas, qu’il a rencontré au Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), Jean-Marc Lalane crée Midi Solaire, une entreprise qui surfe sur la vague des énergies renouvelables. L’occasion à nouveau de « faire un pas de côté » en imaginant un système photovoltaïque intégré innovant certifié par le CSTB. Mais deux ans plus tard, l’enthousiasme des deux chefs d’entreprise est douché par le changement de réglementation, le gouvernement d’alors ayant décidé, compte tenu de l’emballement que connaît le secteur, d’abaisser le prix de rachat de l’électricité produite par les centrales photovoltaïques puis d’imposer un moratoire suspendant les nouveaux agréments. Des décisions prises par des « ministres hors sol », regrette Jean-Marc Lalane qui décide, avec Benoît Moulas, de mettre un terme à l’aventure. Loin de l’abattre, il tire une leçon de cet échec : « ne plus jamais dépendre d’un marché régulé par l’État ». Et puis, assure-t-il, « on ne peut pas réussir si on n’a pas été confronté à l’échec. »

L’année suivante, il prend la direction générale d’un éditeur de logiciels dans le domaine de la conception d’installations électriques, à Paris. Mais faute d’entente avec le dirigeant, l’épisode parisien tourne court. L’homme prend à nouveau un an de réflexion. « Même si ça fait “flipper”, admet-il, je vis ces moments positivement dans la mesure où cela permet de se poser les grandes questions existentielles. Est-ce que je veux être entrepreneur ou salarié, cadre dirigeant dans une entreprise? Est-ce que je veux créer ou faire quelque chose de plan-plan ? Est-ce je veux créer une entreprise qui gagne beaucoup d’argent ou une dans laquelle je m’éclate? »

Ce « rebelle » choisit sans surprise la seconde option. De cette pause créative, naît l’idée de créer Monkilowatt, avec Christian Saubion et Stéphane de La Fournière, fondateur et DG de Cirtem. Un projet auquel une discussion lors d’un déjeuner avec Denis Le Meur, ex-commandant de la base aérienne de Francazal, qui met aujourd’hui son expertise dans les secteurs de la défense, de l’aéronautique et des marchés de l’ONU au service d’ETI et des grands groupes, finira par donner tout son sens.

Du sens, c’est aussi ce que ce sportif qui pratique le ski, la rando, le triathlon et la pala, recherche en s’investissant dans le monde associatif. Au CJD d’abord dont il en sera membre pendant 15 ans et où il a noué des amitiés « à vie », « basées sur des valeurs ». Un engagement qui lui permet de formuler ce qu’il savait déjà, à savoir que « l’entreprise a un rôle sociétal fort, qu’elle a besoin d’avoir des liens ». Au sein de Toit et moi également, qu’il a rejoint il a six ans et dont il a créé l’antenne toulousaine, une association de lutte contre la pauvreté qui depuis 2014 a fait l’acquisition de quatre appartements dans la Ville rose en vue de loger des SDF et de les aider à se réinsérer. « Certains estiment que c’est à l’État de s’occuper de ce problème. Non ! Chacun de nous peut faire son colibri », affirme-t-il. Depuis quatre ans, il a également rejoint le Moovjee, ce mouvement de jeunes et d’étudiants entrepreneurs, auprès desquels il joue désormais les mentors. Un rôle qu’il apprécie : « je me régale à leur contact. J’apprends autant que je les aide à réfléchir. Du reste, j’aurais bien aimé, alors jeune chef d’entreprise, avoir quelqu’un à qui parlait, de mes doutes, de mes peurs… » Des incertitudes qu’il a manifestement réussi à surmonter.

Parcours

1964 Naissance à Blagnac
1985 DUT à Nîmes
1986-2003 Cofonde avec Charles Baudron d’IGE qui deviendra le groupe IGE + XAO après rachat de XAO Industrie
2008-2012 Fonde avec Benoît Moulas Midi Solaire, entreprise spécialisée dans le photovoltaïque
2013-2015 Prend la direction générale d’Alpi, éditeur de logiciels pour la conception d’installations électriques, basé à Paris
2016 Cofonde avec Christian Saubion et Stéphane de La Fournière Monkilowatt qui développe des générateurs d’énergie renouvelable transportables