À 63 ans, ce conservateur du patrimoine, qui dirige le musée des Beaux-Arts de Nîmes depuis 20 ans, a récemment été nommé président de l’association Occitanie Musées. Il affiche de belles ambitions et a toujours œuvré pour donner du sens à l’art.
Googlisez tant que vous voulez, vous n’aurez aucune avalanche d’informations à glaner sur Pascal Trarieux. Homme discret, faisant sien l’adage « pour vivre heureux, vivons cachés », il arbore le titre de conservateur du patrimoine et dirige le musée des Beaux-Arts de Nîmes depuis deux décennies. Un costume taillé pour lui, qu’il a pourtant assurément récusé lors de ses premiers pas professionnels en tant que chef de projet d’informatisation des collections et de banque d’images des musées et du patrimoine, en 1986. Le propos est net. « Au début de ma vie professionnelle, j’ai vu de près ce qu’était le métier de conservateur et je ne voulais pas de ça pour mon avenir, car je me suis vite rendu compte qu’il était dévolu à la gestion administrative et beaucoup moins au travail d’historien de l’art ». Lorsque vous le questionnez sur cet étonnant virage, à savoir si c’est le métier qui l’a choisi ou lui qui a finalement cédé, il sourit : « Ce poste est le résultat de mes deux expériences précédentes, l’informatisation et la gestion des collections. À la quarantaine, je me suis réconcilié avec l’image que j’avais du métier de conservateur du patrimoine et accepté la charge administrative avec plus de maturité ». Sa définition de la profession ? « C’est quelqu’un de sachant et de faisant, c’est un métier d’action qui requiert une kyrielle de connaissances. »
À l’aube de sa vie de jeune adulte, il rêve d’embrasser une carrière d’historien de l’art. Une conviction atypique pour ce parisien banlieusard, né de parents fonctionnaires éloignés des prédispositions artistiques. Enfant peu assidu, son goût pour les arts plastiques et l’architecture en bac littéraire le réconcilie avec l’école. Un tournant, qui dessine les prémices d’une carrière sans faute, un avenir que certains professeurs ne voyaient pourtant pas de cet œil. « Mon principal avait affirmé à mes parents qui m’ont finalement soutenu : “ vous en ferez un chômeur à 40 ans”». Des paroles qui tombent comme un couperet mais qui, en aucun cas, n’ont eu raison de ses ambitions.
À 63 ans, ce passionné d’art grec antique, nommé en parallèle depuis mars dernier, président de l’association Occitanie Musées, succédant à Jean-Louis Augé – qui a fait valoir ses droits à la retraite –, n’a pas dit son dernier mot. Après avoir activement contribué à la fusion des deux associations professionnelles de Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées accompagnant la refonte régionale en 2017, en tant que vice-président, Pascal Trarieux écrit désormais un nouveau chapitre avec le lancement de la nouvelle plateforme Occitanie Musées qui rassemble 132 établissements. « L’Occitanie est l’une des régions les plus riches en nombre de musées avec la région Paca, souligne-t-il. Nous avons beaucoup de projets autour de cette initiative tels que développer une banque de données, lancer une campagne photo y compris pour les petites collections des musées territoriaux ». Et pas seulement. Le sexagénaire affiche de belles ambitions, notamment « la création d’une route de l’archéologie et de l’antiquité en vue de montrer à quel point l’Occitanie témoigne de l’héritage gréco-romain, et en parallèle, une route des peintres. Entre Ingres, Goya et des artistes moins connus mais tout aussi prestigieux, il y a de quoi faire ». Parmi ses lignes directrices, figure l’organisation d’une journée professionnelle qui aura pour thème : « Le musée comme fabrique des savoirs », afin de répondre à l’interrogation : Que peut dire et apporter une collection de musée ? Le nouveau président envisage, par ailleurs, d’étoffer les formations professionnelles en partenariat avec le Centre national de la fonction publique territoriale. Construire des ponts entre les institutions, les collections des bibliothèques et les associations culturelles est en filigrane l’objectif de ce passeur d’émotions. Après une année au ralenti sur les terres gardoises, dans la Rome française, il espère au travers de ce second rôle passer à la vitesse supérieure d’ici l’été, si besoin à marche forcée.
Diplômé en histoire de l’art, cet ancien élève de Bruno Foucart de l’Institut d’art à Paris IV- Sorbonne (dont les travaux de référence dans le domaine de l’histoire de l’art du XIXe siècle ont contribué à la « réhabilitation » de l’art du siècle de l’industrie) a mené des recherches sur le décor lié à l’architecture, et particulièrement sur la sculpture avec Anne Pingeot, au musée d’Orsay en 1984-1985. De son propre aveu, il s’est également égaré dans les méandres d’un long travail de recherche sur le destin insaisissable du sculpteur des grands quadriges du Grand-Palais. Une étude inachevée qui, pour autant, ne le détournera jamais des secrets du patrimoine. Pour preuve, il est aujourd’hui membre de plusieurs sociétés savantes (Académie de Nîmes, Société d’Histoire de Nîmes et du Gard, etc.). ll y aurait donc matière à se pousser du col, mais ce n’est pas le genre de la maison. Il poursuit aussi, à ses heures perdues, des recherches en histoire des arts dans les secteurs particuliers de l’iconographie des monuments romains, du patrimoine pictural des églises, de l’historiographie des musées et des collections… Avec une douzaine de contributions à son actif, il a également été en résidence à l’Institut national d’histoire de l’art (Inha), planchant sur le phénomène du collectionnisme, à savoir un passionné qui achète et constitue une collection pour son plaisir puis en fait don. « Au-delà de toute collection, entre passion et grain de folie, il existe un rapport à l’histoire, aux tendances sociétales et c’est captivant!»
Lui ne collectionne rien, mais donne en revanche un coup de projecteur aux objets rares et anciens. Avant d’accéder au poste privilégié de conservateur de musée, il a redoublé d’efforts pendant plusieurs années pour faire bouger les lignes d’un environnement parfois atone. Visionnaire dans l’âme, sans perdre une once de passion en chemin, il fait progressivement son trou dans le sud de la France. Après sa soutenance à Paris, il obtient d’abord un stage au sein des musées et du patrimoine de Nîmes en 1986 avant d’accéder pendant sept ans au poste de chef d’informatisation des collections. Il accompagne à l’époque un projet de banque d’images archivées sur vidéo disques. « Je possédais des notions de micro-informatique. Ainsi, j’ai conseillé à la mairie de Nîmes d’acheter son premier ordinateur. Si aujourd’hui, les lieux culturels en sont généralement équipés, à l’époque l’informatique restait encore confidentielle. Il a fallu batailler pour prouver son utilité. » En 1993, lors de l’inauguration du Carré d’Art, il se voit confier la gestion des expositions et le fond iconographique de la bibliothèque. Autre challenge puissamment palpitant. « C’était à la fois passionnant et compliqué, surtout lorsqu’il s’agissait de mettre en place des expositions de livres rares car ces objets sont infernaux à exposer. Je me souviens également d’un rouleau, relevé d’une inscription présente sur la frise de la Maison Carré, de 12 mètres de long, que nous devions exposer. De plus, étant donné que l’ancienne bibliothèque déménageait dans un bâtiment contemporain, ce poste m’a ainsi permis d’appréhender l’ensemble des étapes des règles de la conservation, à savoir le classement, la méthode de dépoussiérage, etc. À l’époque, il s’agissait quasiment de nouvelles théories. Et, si lors de mon ancien poste, nous utilisions les informations sur l’objet et sa représentation, ici j’étais en présence de l’objet, ce qui changeait la donne », précise-t-il. Au total, le responsable affiche 25 expositions à son palmarès, « une expérience exceptionnelle ! »
En 1999, une autre opportunité s’offre à lui. Sans hésitation, il saute le pas pour endosser le rôle de conservateur de musée. Lequel évolue avec les prémices de la loi relative aux musées de France promulguée en 2002 et la mise en place d’actions culturelles au sein des établissements. « J’ai d’abord instauré un atelier pédagogique. Il a fallu mener une réflexion sur “qu’est-ce que les Beaux-Arts évoquent au public dans les années 2000”. Cette terminologie, qui remonte au XVIIIe siècle – fusion des académies de peinture, sculpture et architecture – semblait trop fermée. Nous devions donc l’associer aux arts vivants. Ainsi, concerts itinérants, résidence pour chorale d’enfants et divers spectacles ont évolué au cœur du musée, en interaction avec les collections. Certains artistes venaient spontanément. Leurs projets devaient cependant être en résonnance avec les collections ou le musée, détaille-t-il. Cette initiative a très bien fonctionné auprès du grand public, puisque le nombre de visites a triplé en quelques années ». Après une décennie d’actions culturelles, le musée s’est, dans un second temps, concentré sur des expositions plus ambitieuses.
Pour l’heure, si l’univers culturel et artistique, est privé du regard de son public, il expérimente tout de même des innovations, telles que « la création de teasers de commentaire d’une œuvre, ou encore la création de vidéos sur chacun des musées de Nîmes qui est en réflexion », afin de ne pas perdre un lien « sacré ». « Je reste persuadé que le public est en manque, toutefois, nous ne nous attendons pas à un afflux massif dès la réouverture. Ce qui est aussi terrible, c’est la perte de transmission notamment avec le public scolaire. »
D’ailleurs, le regard du public a-t-il évolué en 20 ans ? L’art s’est-il démocratisé ? « Lorsque je suis arrivé, il s’agissait d’un public de connaisseurs, âgés, demandeurs. Aujourd’hui, c’est un public différent, curieux. Faire appel aux connaissances ne suffit plus, il faut vraiment expliquer, raconter une histoire ce qui suscite alors un intérêt. »
Quid de la réalité augmentée pour attiser la curiosité des foules ? « Je reste prudent sur cette pratique. Il y a souvent une incompréhension entre les développeurs et la connaissance des musées, des collections. Ça peut, en effet, être intéressant de toucher un public de non-connaisseurs, avec des scénarios plus adaptés et familiers, mais dans ce cas, il faut pousser le concept encore plus loin, comme la mise en place d’un jeu vidéo. Il manque pour l’heure une interface. De plus, ce qu’on appelle exposition virtuelle n’est ni plus ni moins un catalogue virtuel. C’est bien mais insuffisant. »
La poésie accrochée aux lèvres, cet homme d’esprit, adepte du modelage artistique ne se lasse pas du « bleu du ciel des jours de mistral » depuis 35 ans, qui surplombe souvent sa région de cœur. Il ne lui reste de Paris que quelques attaches, des souvenirs et l’image tragique de la cathédrale Notre-Dame piégée dans les flammes. « J’étais vraiment attristé et en ébullition, surtout après les premières annonces hâtives de la reconstruction. Aujourd’hui, je suis davantage rassuré », souffle-t-il. Un tableau bien sombre qu’il aimerait oublier.