Hiam MouannèsLa dame de fer

Spécialiste de la laïcité, la vice-présidente de l’université de Toulouse 1 Capitole s’est forgée un solide caractère et des convictions fortes au gré d’une vie mouvementée, depuis son Liban natal jusqu’à la Ville rose où elle vit depuis trente ans.

Voix chaleureuse, bienveillance, gestes amples et calmes : au premier abord, Hiam Mouannès a tout du charme rond et doux, presque maternel, de la femme orientale. Mais qu’on ne s’y trompe pas : si la vice-présidente de l’université de Toulouse 1 Capitole est effectivement une Méditerranéenne pur jus – elle est née à Baabda, au Liban, en 1957 – la douceur de ses manières ne va pas sans abriter un esprit ferme. Déterminé. Peut-être même un peu dur, reconnaît-elle, lorsqu’elle se confronte à « un système éducatif français droit car, à l’école, on ne veut surtout pas fatiguer l’enfant. En France, je constate qu’on aide tellement un jeune, quand il a besoin de quelque chose, qu’il n’a pas besoin de faire un effort. Et pour les élèves au collège ou au lycée, s’ils ne sont pas bons, ce n’est pas grave : on se débarrasse de lui en le poussant vers le niveau supérieur. Résultat, il arrive à l’université sans bien savoir lire ou écrire. Il ne comprend pas ce qu’on lui raconte ! ». Aussi la juriste ne se gêne-t-elle pas pour « bousculer » ses étudiants en les poussant à lire, à se renseigner, et même à travailler sans ordinateur : « quand je vois les étudiants en début d’année, je leur dis “les illusions c’est fini ! à partir de maintenant, c’est une autre vie que vous allez devoir construire”. Et que, quand ils iront en entreprise, on ne leur demandera pas quel est leur diplôme, mais ce qu’ils savent faire ». Et à l’en croire, ça marche : là où, les années précédentes, elle avait à corriger des copies « illisibles, pleines de fautes d’orthographe », l’obligeant à décerner des « zéros innombrables », cette année, les bulles ont disparu des copies d’étudiants.

Sa détermination, elle ne s’en cache pas, lui vient de ses origines. « J’ai eu la chance de naître au Liban. Un pays magique qui vous apprend à être debout toute votre vie, et quelles que soient les circonstances, à vous en sortir. C’est ça ou rien ». Une habitude de la débrouille telle que, lorsqu’elle est arrivée en France il y a trente ans pour fuir la guerre civile au Liban avec seulement quelques affaires, ses diplômes et son fils de neuf ans, « cela ne m’a même pas traversé l’esprit de demander de l’argent ou qu’il y ait une allocation pour mère isolée » afin de survivre. Une période sur laquelle elle ne s’étendra pas, parce qu’elle ne veut pas « qu’on la plaigne, qu’on pleure sur son sort » Alors Hiam Mouannès vend des gâteaux, distribue des prospectus, tout en poursuivant ses études de droit, et en lisant le plus possible pour améliorer son français – qu’elle avait étudié au Liban certes, « mais quand je suis arrivée, j’avais du mal à bien formuler une phrase ». L’ancien directeur du Crous lui trouve une chambre dans le tripode de l’université Paul-Sabatier. Quatre ans plus tard, la jeune femme qui, après un DEA en droit public à l’université de Toulouse 1 Capitole puis un doctorat, a gagné son statut d’Ater (attaché temporaire d’enseignement et de recherche, un poste généralement dévolu aux doctorants) achète un terrain à Pech David, et y fait construire sa maison.

Drôle de destin pour une femme qui, pourtant, a commencé sa vie de jeune adulte… les armes à la main. En avril 1975, lorsque la guerre du Liban éclate, Hiam et son frère voient Beyrouth s’embraser depuis le balcon de l’appartement familial à Baabda, à une dizaine de kilomètres de la capitale. « Une région très protégée : nous habitions en face du ministère de la Défense et dans le même coin que le palais présidentiel », non loin d’une caserne où la jeune fille, depuis chez elle, peut voir les soldats s’entraîner dans leur caserne. Aussi aurait-elle pu vivre une vie loin du conflit ; « mais avec mon frère, on ne s’est pas posé la question. Dès le premier jour, je me suis jetée dans la guerre pour protéger les autres ». À 18 ans, elle s’enrôle donc dans la résistance menée par Bachir Gemayel, habillée d’un éternel treillis militaire, un pistolet sanglé à la jambe et un fusil dans les mains, « que je posais dans la voiture avant de prendre le volant, comme on l’au- rait fait d’un sac à main ». Et lorsque l’on demande à la juriste d’aujourd’hui comment elle regarde son passé de combattante, elle réplique aussitôt : « quelquefois, quand je ferme les yeux, je me dis que ce n’est pas possible, que ce n’est pas quelque chose que j’ai vécu ! » Pourtant, « quand je pense que j’ai porté les armes pendant des années, que j’étais derrière les lignes de démarcation, la juriste que je suis est vraiment fière, et même si je souhaite que les jeunes n’aient jamais à porter les armes, je me dis que si c’était à refaire, je referais la même chose ». Y compris pour la France, ce pays que petite, elle pensait être son autre patrie, « et que la Marseillaise était notre hymne ! » tant son influence dans l’ancienne colonie était, alors, omniprésente. Une influence d’autant plus forte qu’elle a fait toute sa scolarité dans des écoles catholiques privées « où l’on étudiait tout tant en français qu’en arabe. Cet amour pour la France, c’était dans notre lait maternel ! », sourit la Libanaise. Aussi, oui, elle reprendrait les armes pour défendre sa patrie de cœur, « même si aujourd’hui, mon fusil a changé de nature », et prend désormais l’allure d’un code de lois.

Quant à savoir pour quelle cause elle monterait en première ligne, il n’y a pas loin à aller: c’est la laïcité. Un sujet dont elle est spécialiste, et qu’elle analyse tant dans sa manifestation en France qu’au Liban. Car le pays du Cèdre a sa propre laïcité, qui n’a rien à voir avec celle que nous connais- sons. « La laïcité à la libanaise, c’est quelque chose de très curieux, explique-t-elle, car le Liban est connu pour fonctionner avec plusieurs religions – il y a là-bas 18 communautés religieuses qui se répartissent les postes publics selon les cultes, à tous les échelons de la société, de la fonction publique, de la magistrature, du conseil constitutionnel, du gouvernement, du Parlement… Tout est communautarisé ; et pourtant, l’État est laïc ». Résultat, un système législatif « d’une sophistication incroyable » où en plus d’un scrutin proportionnel sur liste bloquée, la moitié des sièges du Parlement va aux chrétiens et l’autre aux musulmans ; puis, au sein de chaque grande confession, les places sont attribuées au prorata de l’importance de chaque communauté : druzes, Arméniens, grecs orthodoxes… Ce à quoi il faut ajouter la possibilité de voter, dans une liste pour un candidat préférentiel, mais qui ne bénéficiera à ce dernier que s’il est originaire de la circonscription où il a reçu ce vote. Comme on le devine, le système libanais favorise les jeux d’alliance politique et « une démocratie consensuelle » … du moins jusqu’à un certain point, car une fois l’élection acquise, les coalitions se rompent « car chaque parti veut obtenir le ministère le plus régalien possible ». Du coup, « impossible de former un gouvernement ! D’ailleurs, nous n’en avons pas depuis mai », mais seulement un Premier ministre, Saad Hariri.

Sans parler des influences étrangères qui sont à l’œuvre : « la France, la Russie, la Turquie, les États-Unis, l’Iran… Tout le monde est présent au Liban ! » Face à Hiam Mouannès, le journaliste demande alors, avec toute sa naïveté occidentale, si les Libanais ne seraient pas parfois tentés par une laïcité à la française, « qui libère et protège » – selon les mots de la juriste. De renvoyer une bonne fois pour toutes les religions dans la sphère privée ; « justement ! La Constitution libanaise oblige le législateur à arriver à une déconfessionnalisation de la vie politique. Par exemple, on pourrait créer un Sénat avec une représentation religieuse, mais avec un Parlement déconfessionnalisé ; eh bien non. Car à chaque fois qu’on avance, on consolide le confessionnalisme! La meilleure preuve en étant ce code électoral» adopté en juin 2017, qui conforte le communautarisme. Une organisation qui régit la vie de tout individu, le renvoyant à sa « religion d’origine » – fut-il athée – dès lors qu’il s’agit de faire des démarches administratives, de se marier ou d’hériter… Aussi, si Hiam Mouannès aime toujours autant son pays et estime que son système marche parfaitement parce qu’il ne vaut que pour le Liban, une laïcité à la française aurait toutefois ses faveurs, « mais il n’y a pas aujourd’hui les éléments préalables à la déconfessionnalisation du Liban. Comme disait un philosophe libanais, il n’y a que le Bon Dieu qui peut enlever le confessionnalisme au Liban ! »

Parcours

1957 Naissance à Louaizeh, près de Baabda au Liban
1975 S’engage dans la résistance
1983 Maîtrise en droit de l’université de Beyrouth. Jusqu’en 1989, elle sera conseillère juridique au ministère des Télécommunications
1989 Arrive en France
1994 Doctorat en droit public obtenu à l’université de Toulouse 1 Capitole
2012 Nommée vice-présidente d’UT1 en charge du développement en région