Haro sur le gaspillage alimentaire

La plateforme de dons aux associations regroupe sur l’Hexagone 6 000 points de vente et 1 400 associations.

Cofondée en 2014 par le toulousain Jean Moreau, la start-up Phenix, déjà déployée dans 22 villes en France dont Toulouse, poursuit son rayonnement à l’échelle nationale et européenne notamment avec sa nouvelle application destinée aux consommateurs.

Seize Mds€. C’est le montant annuel estimé du gaspillage alimentaire en France. Combattre ce fléau tel est en substance le projet de la start-up Phenix, cofondée en 2014 par deux jeunes trentenaires, Jean Moreau, et Baptiste Corval.

Le premier, toulousain d’origine issu d’une école commerce, a quitté le costume de banquier d’affaires avec l’ambition de servir une cause à impact environnemental, économique et social. Le second, diplômé de l’école d’ingénierie informatique Etna et créateur de la marque de prêt-à- porter Ballistic, a rejoint l’aventure, au moment où la lutte anti-gaspillage ne résonnait pas encore comme une urgence dans la conscience collective. « Nous souhaitions digitaliser l’aide alimentaire et permettre aux invendus de bénéficier d’une seconde vie auprès des acteurs de la grande distribution et des associations. Nous n’avons rien inventé. Nous avons simplement repéré les bonnes pratiques qui existaient déjà au sein des collectes alimentaires, en vue de mieux les gérer, les outiller, et systématiser le process. L’objectif est de lever les freins logistiques et opérationnels, grâce au digital », explique Jean Moreau, qui a obtenu en février le Prix Espoir du Leadership 2020.

150 MILLIONS DE REPAS SAUVÉS

De fait, le binôme a investi près de 1 M€ pour créer une plateforme de dons aux associations, qui aujourd’hui regroupe sur l’ensemble de l’Hexagone 6 000 points de vente partenaires de toute taille et 1400 associations. L’antenne toulousaine regroupe, elle, 22 supermarchés de grandes et moyennes surfaces et une cinquantaine d’associations. « La plateforme permet de déclarer les invendus en gros volumes. L’offre est diffusée aux associations limitrophes qui viennent ensuite récupérer la marchandise. Nous mutualisons quelques collectes en interne, mais uniquement pour les magasins de proximité. »

L’initiative représente 125000 repas sauvés par jour soit près de 150 millions de repas depuis la création. La start-up ne compte cependant pas s’arrêter en si bon chemin, sachant que parmi les acteurs montrés du doigt, la grande distribution génère 14 % de gaspillage contre 32 % pour la production agricole et 21 % pour les usines de transformation. « Il existe 22 000 magasins en France. Nous visons 30 % de part de marché en plus. Notre objectif est de généraliser la pratique et, en parallèle, d’élargir notre démarche aux industriels de l’agroalimentaire. » Le train est déjà en marche auprès d’une quarantaine d’acteurs, le projet ayant trouvé un bon écho notamment depuis que le groupe Danone est devenu, en 2020, actionnaire minoritaire de Phenix, via son fonds Danone Manifesto Ventures.

En 2020, la loi Garot anti-gaspillage pour une économie circulaire a réaffirmé l’objectif de réduire le gaspillage alimentaire de 50 % d’ici 2025 par rapport à son niveau de 2015. Déjà sur de bons rails, la pépite garde également dans son champ de vision les produits non-alimentaires, un projet impulsé par la loi qui s’étend désormais aux produits neufs et non-alimentaires (shampoing, cosmétiques, etc.)

1,7 MILLION D’UTILISATEURS

La start-up, basée à Paris, qui emploie 195 collaborateurs dispatchés dans 22 villes – dont 10 à Toulouse – a aujourd’hui tout d’une grande : elle arrive en 11e position dans le Palmarès 2021 des 500 Champions de la croissance (publié le 5 février dans Les Echos).

Après trois levées de fonds – 500000€ en 2015, 2,5M€ en 2016 et 15 M€ en 2018 –, elle est devenue leader de l’anti-gaspillage en Europe. En 2019, elle a fait le choix de la diversification en créant une application ant-gaspi destinée aux consommateurs. « Nous avions beaucoup d’appels entrants de contributeurs pour lesquels nous n’avions pas de solution car il s’agissait de trop petits volumes. Or, en France, le consommateur est responsable de 33 % du gaspillage alimentaire. Nous voulions l’intégrer dans la démarche, lui permettre ainsi de faire un geste tout en économisant. Les gens n’ont plus honte d’acheter des invendus. Au contraire, aujourd’hui l’idée est ancrée dans les mentalités », précise le cofondateur.

Quid du fonctionnement ? « L’application fonctionne sur la base du click and collect. Le magasin publie ses invendus, à prix bradé, au jour de la date de péremption des produits. Le consommateur récupère son panier surprise acheté en ligne, l’équivalent de 12 à 15 € de valeur, vendu à 5 €. Nous prenons 0,83 € de commission sur les ventes », détaille-t-il.

L’application réunit déjà plus d’un million de citoyens et 6 000 commerçants partenaires : boulangers, épiceries fines, fromagers, primeurs, fleuristes, magasins bios et supermarchés. Disponible dans une cinquantaine de villes en France, mais aussi au Portugal et en Espagne, elle se déploie depuis février en Italie, en Belgique et au Benelux. D’ici 2022, Phenix vise l’Allemagne et le Royaume-Uni. Et la pandémie n’a fait qu’accentuer ce phénomène. « La demande a augmenté de 45 % du côté des associations en raison de la crise, et le nombre de consommateurs, lui, a été multiplié par six en 2020 pour atteindre 1,7 million d’utilisateurs ». Phenix sauve ainsi 60 tonnes de produits alimentaires par jour.

L’entreprise qui a généré 10 M€ en 2020, table sur 15 M€ en 2021 – l’application générant à elle seule 3 M€ – et envisage de gonfler son équipe avec une trentaine de recrutements d’ici la fin de l’année, avec de belles perspectives devant elle.

Jean Moreau, fondateur de Phenix.