Guillaume Gellé : « L’URCA a commencé sa mue »

« Nous avons une responsabilité en matière d’aménagement du territoire », estime Guillaume Gellé, Président de l’URCA. (Photo : Benjamin Busson)

Entretien avec Guillaume Gellé, président de l’Université de Reims Champagne-Ardenne à l’heure d’une rentrée universitaire placée sous le signe des grands projets immobiliers.

Quand vous êtes arrivé à la présidence de l’URCA en mars 2016, vous aviez pour mission notamment de redresser les finances de l’université.

Nous avons réussi à rétablir l’équilibre financier en 2018, soit un an avant ce que nous nous étions fixé comme objectif à notre arrivée. Cela a été un effort de toute la communauté universitaire et ça s’est forcément vu dans certains niveaux de budget, comme les investissements où nous étions descendus à six millions d’euros par an, soit la moitié d’un exercice annuel classique. Cette opération nous a permis de réinvestir depuis 2018. Cela nous a permis notamment de construire un bâtiment destiné aux étudiants situé sur le Campus Croix Rouge et entièrement financé par nous, sous notre maîtrise d’ouvrage. Au-delà de l’aspect financier cela veut dire aussi que les équipes ont réussi à retrouver un niveau de professionnalisme qui avait été un peu perdu avec ces années de difficultés. La situation complexe à laquelle j’ai été confronté à mon arrivée était à la fois financière et administrative avec de nombreux cadres qui avaient quitté l’université et des pertes de compétences dans certaines directions. La reconstruction de l’administration de l’université a sûrement été plus complexe que la restauration de ses finances.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Nous sommes arrivés à un niveau satisfaisant qui nous permet non seulement d’être capable d’anticiper sur le plan budgétaire et d’être capable de piloter l’université réellement – ce qui d’ailleurs est loin d’être simple – mais aussi maintenant de prendre des maîtrises d’ouvrage sur l’immobilier, ce qui nécessite d’avoir des directions opérationnelles assez fortes. Nous avons aussi été bien soutenus par la région Grand Est qui a maintenu son investissement à hauteur de 80 M€ dans le cadre du Contrat de Plan Etat-Région, ce qui nous a permis de construire un pro- jet immobilier à hauteur des engagements précédents. Il faut avoir en mémoire que l’Université est présente sur cinq sites de Charleville à Chaumont en passant par Reims, Châlons-en-Champagne et Troyes, avec de l’immobilier sur chaque site. Notre idée est de rationaliser ce que l’on fait sur nos campus rémois avec des pôles thématiques et de développer nos pôles extérieurs. Nous avons en effet une responsabilité d’aménagement du territoire. Son ADN c’est d’être équilibrée : être à la fois une Université qui conduit des recherches au meilleur niveau avec des formations elles aussi au meilleur niveau mais avec un souci d’aménagement du territoire et une responsabilité sociétale. Il y a également une responsabilité des collectivités qui nous accueillent. Sur les campus délocalisés, la plu- part des bâtiments sont entièrement financés par les collectivités. De notre côté nous finançons les aménagements intérieurs et la montée en puissance sur les sites au travers de la masse salariale, en créant des emplois, et en fonctionnement.

L’URCA affiche son ambition de devenir un leader européen en matière de bioéconomie. Comment y parvenir ?

Il faut rappeler que la bioéconomie comprend tout ce qui va de la production des agroressources, des agriculteurs et des viticulteurs, jusqu’au citoyen. Elle ne peut pas être résumée au seul site du Pole IAR de Pomacle-Bazancourt par exemple, qui concerne surtout la partie transformation industrielle.

On tient vraiment à afficher un projet sur lequel Pomacle-Bazancourt n’est qu’une partie de tout un processus : avant il y a des hommes et des femmes et après il y en a aussi. Cela comprend aussi l’acceptabilité sociale, l’impact sur les politiques publiques et la question liée au développement durable. Notre point fort dans la région c’est la bioraffinerie, le processus de transformation et d’extraction à partir de la biomasse végétale de molécules à fortes valeur ajoutée pour faire des nouveaux matériaux, des biocarburants, des médicaments, etc. Pour être leader européen il faut aussi s’intéresser aux questions d’agroécologie et à la question humaine. Notre objectif est qu’à terme, quelqu’un qui se forme dans la bioéconomie devra, dans son cursus, avoir fait un passage par Reims

Pourquoi avoir ouvert une nouvelle école d’ingénieurs à Reims à la rentrée 2019 ?

L’offre que nous proposons aujourd’hui est une réponse aux demandes des étudiants et des entreprises. Quand on regarde les candidatures des étudiants on s’aperçoit que les étudiants sont à la recherche de filières sélectives et qu’ils candidatent sur ces filières. Ça les rassure. C’est un constat et c’est aussi un des enseignements de ParcourSup. Donc petit à petit, devant cet engouement, nous sommes obligés d’augmenter les capacités d’accueil de ces filières. Les étudiants apprécient les métiers de l’ingénierie avec une appétence particulière pour le métier de l’ingénieur en France, qui est une spécificité française.

Le supercalculateur ROMEO est un des fleurons de l’URCA. Votre objectif c’est aussi le mettre à la disposition de l’écosystème économique régional…

L’avantage que nous avons à Reims c’est que l’on a toujours un temps d’avance sur le calcul haute performance : en travaillant avec les constructeurs pour designer les supercalculateurs en développement, nous disposons toujours des prototypes les plus performants. Maintenant, nous devons être capable de mettre ROMEO à disposition des entreprises et des bureaux d’études, mais aussi de les accompagner. Pour cela, on doit renforcer le Pôle intelligence artificielle et transfert de l’Université – c’est prévu – et on doit aussi créer les conditions d’accueil des entreprises. Nous allons donc créer un Pôle d’innovation pour la simulation numérique et l’IA sur le Campus Moulin de la Housse dans un bâtiment dédié à ces questions avec des espaces de start-up et de co-working entre les milieux économiques et de l’ingénierie et les universitaires. Si on peut le faire entre 2021 et 2027 ça sera bien.

Où en est le projet de Campus 3.0 est annoncé pour 2022 ?

Sur le plan immobilier, 2020 va être une année assez importante avec la livraison de notre nouveau siège et de notre bâtiment dédié à la vie étudiante. De nombreux projets vont arriver en 2020. On a vraiment lancé depuis deux ans la rénovation de l’Université. Elle ne sera pas terminée en 2022 mais plutôt en 2025-2026. L’Université a commencé sa mue et aura un nouveau visage dans 5 ans. Il nous reste à finaliser la rénovation du Campus Croix Rouge en rénovant ou construisant un pole pour la Fac de Droit et de Sciences Eco. Le deuxième gros projet est le Pôle d’innovation pour la simulation numérique et l’IA. On prévoit aussi une Maison de la Simulation en Santé, pour disposer d’un outil où on est capable d’accompagner la formation de toute la prise en charge du patient.

Quel avenir pour la Villa Douce quand le Siège de l’Université rejoindra le Campus Croix Rouge ?

L’avenir de laVilla Douce va se dessiner en partenariat. C’est un site qui a une grande valeur patrimoniale et en terme de projet pour l’URCA. Nous allons créer une Fondation partenariale à qui on va transférer la Villa Douce. Elle sera adossée à l’Université avec une activité dans la formation et la recherche mais qui sera élargie, notamment sur le plan culturel, patrimonial et œnotouristique. Ça sera un lieu qui sera dédié à la Vigne et au Vin en Champagne.

La concurrence entre les établissements d’enseignement supérieur est forte. Comment vous positionnez- vous dans le paysage ?

Déjà on annonce clairement un grand principe : nous ne sommes pas là pour gagner de l’argent, ça n’est pas notre mission. On s’intéresse donc à un public qui correspond aussi à cet objectif en les accompagnant dans des études au meilleur niveau. Pour réussir cette opération il ne faut pas qu’on créée une concurrence sur des secteurs de la formation qui peuvent être rentables, je pense notamment à la formation professionnelle. À Reims, on discute donc pour la mise en place d’un Schéma local de développement de l’enseignement supérieur au niveau local avec les différentes structures qui peuvent l’accompagner. Il y a en a un à Troyes qui fonctionne bien et un autre est en cours dans la Région Grand Est. Par ailleurs, on pèse 82 ou 83% de l’enseignement supérieur dans l’ex-Champagne-Ardenne. Nous ne sommes donc pas réellement en concurrence avec des structures de 200 ou 300 étudiants, par exemple.

Votre mandat de Président s’achève en mars 2020. Allez-vous vous représenter ?

Je n’ai pas encore pris ma décision. Je dois me consacrer à l’Université le plus longtemps possible et je ferai connaître ma décision le moment venu. Elle sera de toute façon prise dans l’intérêt de l’Université.

600 M€ d’impact économique
L’URCA compte près de 26 000 étudiants à la rentrée 2019 (+10% par rapport à 2018). C’est le 5e employeur de l’ancienne région Champagne-Ardenne avec près de 2 400 personnels. L’Université dispose d’un budget annuel de 220 M€ et représente un impact supérieur à 600 M€, générant 12 000 emplois sur le territoire.